Le 9 novembre, Vîrus avait carte blanche à la Maison de la Poésie. Il s’en est donné à cœur joie, reprenant des poésies d’auteurs libertaires oubliés : Jehan-Rictus, Paul Paillette et Lil Boël. Un concert puissant.
“La Maison de la Poésie m’a donné carte blanche. C’est risqué”. Sourire en coin devant la salle pleine de la Maison de la Poésie, ce 9 novembre, Vîrus savoure son plaisir. Ce soir, le rappeur de Rouen fait acte de liberté – une habitude chez lui. Il nous avait promis une expérimentation, “quelque chose de solitaire, littéraire, et disons libertaire”. C’est un combo gagnant.
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Derrière lui, une photographie truquée de l’artiste La Rouille (qui dessine les pochettes de Vîrus) est projetée en grand.
Jehan-Rictus
Elle représente une silhouette maigre et floue s’éloignant, de dos, dans une ruelle sombre. C’est Jehan-Rictus (1867-1933), le poète anarchiste auquel Vîrus a lié son destin en adaptant, en 2017, son recueil, Les Soliloques du pauvre (et Jehan-Rictus savait de quoi il parlait).
C’est sous son patronage que Vîrus dégaine L’hiver, titre coup de poing qui décrit de façon quasi anthropologique et pamphlétaire, dans un argot authentique, les effets du froid sur la chair des vagabonds. Avant que Vîrus le découvre par hasard, le poète était largement tombé dans l’oubli, effacé des anthologies et des manuels scolaires au profit de contemporains plus policés que lui, comme Victor Hugo. Entendre ses vers résonner aujourd’hui fait du bien, car la vérité crue qu’il décrit traverse les époques, comme son insolence. Vîrus ne s’en prive pas, enchaînant avec Espoir, Songe-mensonge, La Journée, qui remuent tout autant les tripes. Dans le public – et c’est notable -, certains connaissent les paroles par cœur.
“Ça m’fait rigoler”
Mais Vîrus a plus d’un tour dans sa besace. Revenant régulièrement à sa chaise d’écolier fixée en face d’un petit bureau sur lequel il éparpille des feuilles, le rappeur met en lumière d’autres “poètes de rue” qui n’ont pas voix au chapitre au sein de l’Académie. Comme Paul Paillette (1844-1920), auteur anarchiste et “amour-libriste”, dont il reprend un texte furibard, issu du recueil Les Tablettes d’un lézard (ne cherchez pas, vous ne connaissez pas). Il s’intitule Ressauteur (un mot qui signifie “en colère”, “énervé”), et percute comme un grand coup de surin : “Malice, bêtise, habitude / Crétinisme et perversité / Tout m’impose la servitude / Et je veux vivre en liberté”.
Après quelques morceaux à lui, dont le fort à propos Champion’s League (un regard réaliste et froid sur les aficionados des manifs), Vîrus exhume une poétesse faite du même bois que Paillette et Rictus : Lil Boël (1900-1982), auteure de La Fosse commune des misères. Le texte s’intitule “Ça m’fait rigoler”, et on rigole avec elle, de rage et de désespoir. “J’ai qu’un œil-de-bœuf, c’est la lune ! / Et j’Iaiss’ les autr’s se torturer / à s’cacher derrière des faillites / pour taire des bénefs illicites. / Alors, moi, ça m’fait rigoler !”, écrit-elle.
“Tout l’monde est pas heureux en France”
“Tout l’monde est pas heureux en France, Gn’en a qui sont d’mauvaise humeur”, prévenait dans son argot rocailleux Jehan-Rictus dans Le Furtif et le Mystérieux. Vîrus, lui-même passablement fâché (même s’il prend son pied ce soir-là, ça se voit), poursuit la recension de ses alter-ego disparus. Il propose même d’effacer tout simplement leur date de mort. “Pour sûr, je vais continuer de creuser et alimenter cet étrange édifice de cette étrange poésie… c’est un régal”, nous promet-il. On a hâte de découvrir la suite.
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