Troisième volet de la trilogie du mal du cinéaste, consacré à un “vénérable” moine bouddhiste initiateur de pogroms antimusulmans en Birmanie. Edifiant.
Après Général Idi Amin Dada et L’Avocat de la terreur (consacré à Jacques Vergès), Barbet Schroeder complète avec ce film ce qu’il appelle une trilogie du mal. Remarquons par parenthèse que malgré toute l’antipathie que nous inspire Vergès, il nous semble exagéré de mettre dans le même sac que deux dirigeants sanguinaires un avocat qui a certes défendu des infréquentables en suivant une boussole anticolonialiste parfois déréglée par l’antisémitisme mais qui n’a fait après tout que son métier dans le cadre juridique d’un Etat de droit.
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Cette parenthèse refermée, venons-en donc au vénérable W, un moine bouddhiste très influent dans le sud-ouest de la Birmanie, écouté et suivi par des milliers de fidèles, bref, a priori tout ce qu’il y a de plus “vénérable”. A un petit détail près : W est violemment, tranquillement, radicalement islamophobe.
Il appelle de ses vœux une épuration ethnico-religieuse
Marine Le Pen ou Eric Zemmour ont donc un lointain cousin en toge orange plutôt vénère que vénérable. Non content de considérer les musulmans comme une sorte de virus, un corps étranger menaçant l’identité birmane bouddhiste, il appelle de ses vœux une épuration ethnico-religieuse et passe aux actes – ou du moins approuve ceux qui transforment les mots en actions.
Il y a là une impressionnante démonstration de l’efficacité d’une parole performative, un peu comme dans 120 battements par minute, sauf qu’ici, contrairement au film de Robin Campillo, cette parole est univoque, non discutée, et mise au service d’une cause ignoble.
Le résultat, c’est que les populations bouddhistes mènent des pogroms, incendient des quartiers musulmans entiers, faisant des centaines de victimes, comme le montrent de flippantes images prises sur le vif. Elément troublant suggéré par le film, l’ex-dissidente et prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, qui est maintenant au pouvoir, semble couvrir ces agissements ou du moins les tolérer, ce qui est à désespérer.
Montrer sans juger
Comme dans les deux précédents volets de sa trilogie, Barbet Schroeder montre sans juger, faisant entière confiance à l’intelligence du spectateur. De même, devant sa caméra, le mal a toujours l’apparence du bien. Amin Dada ressemblait à un bon gros nounours enfantin, Vergès était un rhéteur séduisant et brillantissime, W a le charisme tranquille d’un sage bouddhiste, l’apparence d’un dalaï-lama.
Schroeder nous rappelle une fois encore que les pires horreurs ne sont pas étrangères à l’humanité mais lui sont consubstantielles. Les salauds ne sont pas des monstres ou des extraterrestres mais des êtres humains, ce dont on peut tirer deux leçons possibles mais opposées : désespérer totalement de l’humanité ou au contraire se renforcer dans ses convictions et combats humanistes.
Ce film questionne aussi la relativité des faits d’actualité selon les distances géographiques et culturelles. Ainsi, en France, où islamophobie et question palestinienne suscitent des débats passionnés, le massacre en cours des musulmans birmans ne rencontre qu’indifférence. On peut même avouer que c’est ce film qui nous informe et nous fait prendre pleinement conscience du problème.
Le cinéaste s’est depuis longtemps converti au bouddhisme
Enfin, derrière son apparente observation froide d’une situation politique lointaine, Le Vénérable W revêt aussi une étoffe très personnelle. D’abord parce que la voix off est assurée par le timbre doux de Bulle Ogier, actrice chère à nos cœurs et compagne au long cours de Schroeder ; ensuite parce que le cinéaste s’est depuis longtemps converti au bouddhisme, religion supposément la plus pacifique et moins violente du monde.
Derrière la figure du détestable W qui salit et abîme le bouddhisme, nul doute que le cinéaste se livre à une introspection douloureuse, même s’il a l’élégance ou la pudeur de la laisser hors champ, dans le filigrane de ses images.
Le Vénérable W de Barbet Schroeder (Fr., Sui., 2017, 1 h 40)
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