Animal Collective fête le 15e anniversaire de son album phare, “Merriweather Post Pavilion”, avec une réédition vinyle deluxe. L’occasion de revenir sur l’un des disques les plus importants de l’histoire de la musique indépendante.
Il y a beaucoup de musiciens qui passent leur vie à courir derrière le succès, à façonner, maltraiter leurs morceaux pour accéder à la gloire et la postérité. À l’opposé, Animal Collective a depuis ses débuts à l’aube des années 2000 joué au chat et à la souris avec les formats et les contraintes de la musique populaire et, par extension, avec les attentes de son public. Merriweather Post Pavillion, huitième album du groupe américain, le plus populaire à ce jour, fête ses 15 ans en 2024 et garde un rôle de pivot essentiel dans la musique indie du XXIe siècle.
Pavement et LSD
Au vu du parcours du groupe, il est extrêmement difficile d’imaginer qu’il ait pu être question de calculs dans la carrière d’Animal Collective. Il est d’ailleurs amusant de constater que la naissance même du groupe est flou : Spirit They’re Gone, Spirit They’re Vanished, considéré comme lepremier album du groupe, est d’abord sorti en 2000 sous le nom de Panda Bear & Avey Tare.
La véritable préhistoire d’Animal Collective prend la forme d’un groupe de lycée monté à Baltimore par Avey Tare et Geologist avec Brendan Fowler (plus tard derrière le projet culte BARR) dans une veine slowcore typique des années 1990. Les trois ados sont alors influencés par Pavement et (j’imagine) Slint. C’est Deakin qui fera le lien entre Panda Bear et les deux membres du groupe. À quatre, les désormais jeunes étudiants découvrent le LSD, la musique africaine, Can et Silver Apples.
Des années 2000 à 2008, Animal Collective sort des albums à un rythme régulier, fonde le label Paw Tracks (à qui l’on doit notamment l’éclosion d’Ariel Pink) et profite de ses années new-yorkaises pour créer une petite bulle de musique expérimentale à Brooklyn en marge du revival rock qui envahit peu à peu Manhattan. Pendant que The Rapture, The Strokes et Yeah Yeah Yeahs revissent le rock’n roll dans la tête des gamins, Animal Collective développe une musique beaucoup plus protéiforme qui se passionne autant pour l’héritage expérimental de Sonic Youth que pour la musique électronique européenne et le freak folk de Sun City Girls. Avec à leurs côtés Black Dice (plus noise) et Gang Gang Dance (plus pop), ils remettent les machines et une science visuelle colorée et acide au devant de la scène.
Pente ascendante
En 2007, Domino annonce la signature d’Animal Collective qui sort Strawberry Jam. Propulsé par le micro-hit Peacebone, le disque met le groupe sur la pente ascendante. Les quatre musiciens enchaînent les concerts et font même leur apparition à la télévision américaine. A contre courant des guitares des baby rockers et des beats saturés de l’écurie Ed Banger, Animal Collective séduit un public indie, attiré par leur science mélodique, leurs visuels psychédéliques et leur attitude de hippies décontractés (on ne parle pas encore de “normcore” mais ça ne saurait tarder).
Une musique électronique purement américaine
Après Strawberry Jam, Animal Collective doit composer avec le départ de Deakin (et donc de son guitariste). Influencée par l’approche de Panda Bear qui, après la perte de sa guitare à l’aéroport de Lisbonne, utilise un sampler et un set up proche de celui de Quasimoto pour composer l’essentiel Person Pitch,le groupe se lance dans une oeuvre plus électronique. Ils convoquent Ben Allen, producteur estampillé rap (qui sort de la production de Gnarls Barkley) et enregistre en 6 semainesMerriweather Post Pavilion)) en studio).
On y retrouve ces vocalises à la résonance extrême, qui deviendront une marque de fabrique des groupes indie pour les 10 ans à venir. Mais le désormais trio décide d’aborder la production de ces morceaux sous un angle différent:
“Avant, on avait tendance à charger nos morceaux et accumuler les sonorités, encore et encore. Avec cet album, on a essayé de faire quelque chose de beaucoup plus minimal”, confiait ainsi Avey Tare au magazine en ligne Rockfeedback peu après la sortie du disque en 2009.
Si le disque contient trois singles forts, c’est avec le titre My Girls sorti par Domino en mars 2009 qu’Animal Collective va accéder à la célébrité, pour le meilleur et pour le pire. Composé par Panda Bear, ce titre, initialement mis de côté par le groupe, devient l’hymne de cette fin des années 2000 en même temps que le nouveau mètre étalon de la musique indie contemporaine. Souvent copié (et rarement égalé), le morceau entraîne sans trop le vouloir la naissance de la chill wave et l’émergence de toute une clique de hipsters barbus qui se prennent d’amour pour les percussions africaines, sans se poser plus de questions que ça sur l’appropriation culturelle .
Merriweather Post Pavilion est presque un cas d’école dans sa capacité à lier mélodies pop (et culture rock) avec une approche de la musique jouée avec des machines. Il faut aussi reconnaître à ce disque et ses sonorités aquatiques (un terme qui revient en permanence dans les critiques de l’album) qu’il donne à entendre une musique électronique typiquement américaine, qui s’insère parfaitement entre une approche nouvelle de la production, quelque part entre le cloud rap naissant (Clams Casino en tête) et les bedroom producers qui s’apprêtent à prendre leur envol (Flying Lotus, Odd Future ou Knxwxledge). Merriweather Post Pavilion est la vision de la dance music d’Animal Collective et remporte le pactole par accident. Désormais, le groupe doit enfiler son costume de superstar montante.
Un succès impossible à digérer
Pendant que toute une génération de musiciens poussés par Pitchfork et munis de synthétiseurs déferle, Animal Collective joue dans des salles et festivals de plus en plus gros. Avec un album vendu à 550 000 exemplaires (en comptant le streaming) dans le monde (dont 15 000 exemplaires en France), le groupe touche ses premiers cachets à 6 chiffres et fait son plus gros concert parisien en 2011 au festival Villette Sonique devant 3200 personnes. Seulement, il y a un petit souci. Animal Collective refuse de jouer ses hits.
Déjà au travail sur la suite, le groupe n’a visiblement aucune envie d’enfiler les pantoufles de Radiohead. La presse et le public sont cois. À ce sujet, Geologist confiait en 2011 à Spin :
“Certains fans nous disent: ‘pourquoi vous ne voulez pas de nous ? Pourquoi vous nous rejetez ?’ Quand on a sorti ODDSAC (ambitieux album visuel ndlr) en 2010, on nous a dit : ‘est-ce que c’est un gigantesque FUCK YOU ? Pourquoi vous nous faites ça après Merriweather Post Pavilion?’”
Animal Collective, à partir de cette époque, continuera de jouer à presque chacune de ses apparitions lives des morceaux de l’album suivant (pas encore édité), rompant avec les tournées tiroirs caisses et décevant le public mainstream qui n’attend qu’une seule chose un gobelet de bière à la main : que le groupe joue My Girls.
Les trois albums suivants, et le retour de Deakin au bercail, confirment une orientation plus abstraite et expérimentale, qui laisse perplexe une bonne partie de leurs fans. Sabordage volontaire d’un groupe mal à l’aise avec la célébrité ou retour à la normale de musiciens underground ayant touché le pactole par erreur? Difficile de trancher. Panda Bear confiait à Variety fin 2009 : “Je suis très heureux de ce qui s’est passé avec la sortie de Merriweather Post Pavilion. Mais après cela, je veux passer à quelque chose de plus sombre et ésotérique.”
De la puissance de l’intime dans la musique d’Animal Collective
La beauté de la musique d’Animal Collective, souvent passée inaperçue, est sa capacité à convoquer l’intime au milieu de ses recherches sonores. My Girls a ainsi été composé par Panda Bear à une époque où la précarité de sa situation et celle de sa famille l’inquiétait :
“Je ne suis pas très matérialiste, mais posséder une maison, un lieu sûr où je pouvais vivre avec ma femme et ma fille est devenu vital à une époque”, raconte-t-il ainsi, toujours à Variety.
Le morceau, initialement intitulé House, évoque cela sur fond de proto-house à la Frankie Knuckles secoué par des percussions tribales. Brothersport, autre tube en puissance du disque évoque lui la relation de Panda Bear avec son frère. On peut sûrement trouver ici une explication de l’attachement à Animal Collective du public indie rock, amoureux des confessions de la pop à guitares.
Groupe de potes de lycée, profondément humain et étranger à tout calcul marketing, Animal Collective a trouvé avec ce disque la plus belle expression de sa personnalité. Le titre de l’album fut choisi en hommage à une salle où les membres du groupe avaient vu beaucoup de concerts pendant leur jeunesse. Ils ont fini par s’y produire en 2012. Un bel adieu à l’adolescence en quelque sorte.
Merriweather Post Pavilion (15th Anniversary Edition) (Domino/Sony Music). Sortie le 28 juin 2024.