Avec Positive Mental Health Music, Tiña plonge son indie folk dans les méandres du cerveau torturé de son leader, Josh Loftin.
Josh Loftin a la dégaine d’un slacker made in America. Le genre à jouer les figurants dans un Richard Linklater avec, comme toile de fond, un bar à Austin, Texas, où la musique s’écoute live. La légende raconte qu’il porte parfois un chapeau de cow-boy rose, sans doute pour contrarier les clichés virilistes associés à cette figure mythique de l’Ouest. A moins que ce ne soit une façon détournée de rendre hommage à Ariel Pink.
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Par l’entremise des moyens de communication modernes en vogue depuis la normalisation d’un état d’urgence sanitaire permanent, le Britannique nous reçoit chez lui, à East London. Il arbore un T-shirt fabriqué en Chine sur lequel on peut lire “Going to therapy is cool !” dans un lettrage post-hippie. Un slogan fun, qui rappelle le “I hate being bipolar it’s awesome !” de Kanye West et fait nécessairement écho au titre du premier album de Tiña – cette formation indie rock touchée par la grâce et dont il est le leader –, Positive Mental Health Music.
Des années à tâtonner
“C’est vrai qu’on a l’impression qu’on discute beaucoup de santé mentale depuis quelques années, déroule-t-il. Tu vois cela sur les réseaux sociaux, dans les médias : les artistes en parlent et, par conséquent, tu peux être amené à penser que c’est une tendance, alors qu’en réalité, c’est un truc nouveau et minoritaire.”
“Si les gens de ma génération semblent s’intéresser à ces questions, c’est parce qu’on est entrés en conflit avec ce que j’appellerais ‘les normes’. Dans mes chansons, il s’agit surtout d’interroger ma place dans le monde. Et ça passe par interroger les luttes que l’on mène contre nous-mêmes qui, finalement, rejoignent des combats plus universels.”
Autrefois membre d’une formation post-punk foutraque connue sous le nom de Bat-Bike, signée chez Trashmouth Records et acoquinée à ces escrocs de Fat White Family, il traîne dans les rades du sud de Londres, épicentre d’une scène musicale bouillonnante, mais qui peine à traverser la Manche : “J’ai grandi là-dedans, c’est génial d’avoir été témoin de ça, mais je ne me rends pas compte. J’imagine que vu de l’extérieur, ça doit être magique de s’y projeter. Quand tu as de l’or sur le pas de ta porte, il t’arrive de ne pas y faire attention”, rigole-t-il, en rappelant que le point fort de tous ces musiciens reste l’intégrité.
Après quelques années de bons et loyaux services, Bat-Bike met la clef sous la porte et Loftin remise sa guitare au placard. Jusqu’à ce qu’une histoire de cœur ne l’oblige, dans un geste à la Nick Drake, à la ressortir : “Je me suis mis à écrire pour moi, sans réfléchir à la façon dont les chansons devaient sonner. Je n’avais pas de restriction, je n’avais pas à me demander si mes influences correspondraient à tel ou tel genre”, poursuit-il. Les premiers morceaux de Tiña voient le jour.
Une vie en apesanteur
Les épisodes dépressionnaires mettent votre vie en apesanteur, avec un bourdonnement incessant qui vient engourdir votre oreille interne. Josh aurait ainsi pu la jouer Sunn O))), histoire de conjurer le sort en mettant drone music et dépression au diapason, mais a préféré tracer son chemin à travers les sentiers lumineux déblayés par les losers de l’indie bordélique : “J’ai beaucoup écouté Daniel Johnston, Yo La Tengo, Sonic Youth, mais aussi les types qui ont influencé ces types, comme Neil Young, Velvet Underground ou des mecs qui ont un caractère à part, comme R. Stevie Moore”.
“L’antifolk est un cool mouvement aussi, avec des artistes comme Jeffrey Lewis ! Je ne me rappelle pas avoir écouté un album des Pixies en entier, mais j’ai un peu écouté Pavement. J’aime aussi des trucs dans le genre de Broken Social Scene, ou les groupes de Seattle, comme Nirvana. Sans oublier les Country Teasers !”
On pense aussi à Adam Green ou aux punk-folkeux de Violent Femmes, notamment sur Golden Rope, cavalcade de western dans laquelle Josh clame voir des cordes dorées suspendues dans toutes les pièces – clin d’œil à peine appuyé à nos pulsions suicidaires. On pense surtout à la plume de David Berman et à son désespoir hystérique, qui ne trouvait de répit que dans l’exaltation de l’humour noir et de l’autodérision.
Merci pour la déglingue
Comme sur I Feel Fine, quand il dit qu’il ne se sent bien que lorsqu’il écrit “Bites dans le ciel, vagins dans ma tête”, ou sur Buddha, morceau d’ouverture drôle et désabusé, dans lequel Loftin décrit son quotidien, entre glande, apitoiement sur soi, méditation et psalmodies vaines pour se convaincre d’être un type qui vaut le coup d’être fréquenté. “I hope this song does something for someone / And if not then at least I’ve done a song”, chante-t-il. On n’avait pas entendu un truc sonnant aussi vrai depuis un bail.
“Quand t’es honnête et vrai avec toi-même, les questions que tu poses dans tes chansons deviennent universelles”, nous dit-il. Positive Mental Health Music est le premier long format sorti chez Speedy Wunderground, la rutilante écurie de Dan Carey (producteur de black midi, Squid, Goat Girl ou encore Fontaines D.C.), qui fait ici des merveilles à la production. “Le mec a une vision incroyable”, confie Josh. On te retourne le compliment, Josh. Merci pour la déglingue et le bruit des glaçons au fond du verre.
Positive Mental Health Music (Speedy Wunderground/PIAS)
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