Emilie Rousset et Maya Boquet revisitent ce procès historique que Gisèle Halimi avait transformé en tribune pour l’avortement. Un sujet et un combat toujours d’actualité.
Alors qu’hier encore, en France, le sénateur Jean-Louis Masson, dans un grand élan d’obscurantisme, associait les femmes voilées aux sorcières d’Halloween, Emilie Rousset et Maya Boquet reconstituent le procès de Bobigny. Non pas, c’est certain, pour coller opportunément à l’actualité, mais en disant que certaines actualités le demeurent malgré les décennies qui passent. Le temps est un sorcier qui nous fait faire des bonds en arrière alors même que nous imaginions avoir avancé à grands pas.
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Moment crucial pour le droit des femmes
Le procès s’est tenu le 8 novembre 1972. Marie-Claire Chevalier et sa mère y étaient jugées pour l’avortement de la jeune fille suite à un viol. Leur avocate Gisèle Halimi a fait de ce moment un marqueur crucial dans l’avancée des droits des femmes, y cristallisant les réflexions et les combats féministes de l’époque et créant un événement médiatique inédit qui contribua fortement à la future dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse en France.
“Nous, les femmes, nous ne voulons plus être des serves”, déclarait alors la brillante amie de Simone de Beauvoir qui, outre l’écrivaine, fit témoigner à ce procès revendiqué politique des personnalités comme Delphine Seyrig, Françoise Fabian, Michel Rocard, le prix Nobel de médecine Jacques Monod…
A partir des sténotypies du procès, publiées par l’association Choisir de Gisèle Halimi malgré l’interdiction qui en était faite, Emilie Rousset et Maya Boquet ont composé une nouvelle dramaturgie mêlant des archives historiques et des témoignages actuels. La force du geste théâtral d’Emilie Rousset qui signe la mise en scène est le renversement. Elle ôte au procès son spectaculaire pour en faire ressurgir son essence, ses bouleversements politiques, militants, sociologiques, philosophiques.
Désobéissance théâtrale
Dans un vaste espace vide, une quinzaine de chaises disposées en arc de cercle accueillent des spectateurs itinérants, comme autant de petites agoras alignées. Libres de leurs choix, ils composent leur parcours au travers des quinze interprètes/témoins de cette Reconstitution bouleversante d’acuité.
De la militante du droit à l’avortement en Argentine, Marie Bardet, qui n’était pas née en 1972, à Françoise Fabian qui se souvient de son témoignage d’alors, comme Claude Servan-Schreiber, journaliste, qui reraconte cette épopée-là. Les quinze acteurs interprètent plusieurs protagonistes, répétant en direct, au souffle près, les entretiens choisis par Emilie Rousset qui défilent dans leur oreillette. Ce processus de duplication – l’acteur répétant la parole des témoins tout en l’interprétant dans une adresse directe aux spectateurs – repositionne le théâtre à son bon endroit.
Le filtre, la distance, la pensée comme une fête. Emilie Rousset invente une forme de désobéissance théâtrale qui sied bien à son sujet, ce procès ayant aussi été un éclatant exemple de désobéissance civique. C’est parce qu’Emilie Rousset aime les filtres que son théâtre dit documentaire est avant tout théâtre. C’est peut-être aussi, comme dit la chanson, qu’elle est une sorcière comme les autres.
Reconstitution : Le procès de Bobigny d’Emilie Rousset et Maya Boquet, le 16 novembre, !POC!, le 30 novembre, Théâtre de Rungis, Festival d’Automne
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