Toujours aussi acérées dans leur appréhension du fond de violence qui travaille les institutions américaines, les nouvelles aventures du plus expéditif des justiciers Marvel gagnent en humanité ce qu’elles perdent en originalité. (Spoilers)
Cet article comporte des révélations sur la série The Punisher.
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Diffusée fin 2017 et chapeautée par Steve Lightfoot (le showrunner d’Hannibal), la première saison de The Punisher dissimulait derrière ses oripeaux brutaux et virilistes une réflexion singulière sur le fond de violence qui travaille les institutions américaines, de la justice à l’armée. Chevillée au corps martyrisé d’un ex-marine en quête de vengeance et aux méthodes expéditives, elle doublait son thriller de belle facture d’une déconstruction physique, politique et symbolique de la figure du super-héros.
Réduite via Frank Castle à un boulet de canon aussi masochiste qu’implacable, elle exposait au spectateur la part d’ombre de ces justiciers mythiques et, à travers eux, d’une certaine idée de l’Amérique contemporaine : individualisme forcené, éthique douteuse de la justice et interventionnisme irréfléchi.
Du loup solitaire au guerrier protecteur
Après avoir vengé le meurtre de sa famille en mettant fin aux agissements criminels de son ami et ancien camarade de service Billy Russo, Frank Castle s’était vu accorder par le gouvernement une grâce totale et une nouvelle identité. Répondant désormais au nom de Pete Castiglione, il sillonne en solitaire une Amérique de patelins paumés, de motels miteux et de bars de routiers. De passage dans l’un d’eux, il a une aventure avec une serveuse et sauve une adolescente des griffes d’une bande de tueurs à gages. Poursuivis par leurs comparses, ils mettent le cap vers New York en compagnie de l’agent Dinah Madani. Au même moment, Billy Russo, défiguré et prétendument amnésique, s’échappe de l’hôpital…
Débarrassé de sa raison d’être initiale, le personnage est placé face à deux possibilités : renouer peu à peu le contact (amoureux, amical ou professionnel) avec le genre humain, ou trouver une nouvelle croisade à mener. Il choisira les deux (ou refusera de choisir, c’est selon) en prenant sous son aile la mystérieuse Amy, déclenchant une spirale de violence une nouvelle fois dépliée en alternance d’enquête discrète et de scènes d’action nerveuses, auxquelles s’ajoute une couleur de buddy movie plus inattendue.
Une aventure trop schématique
En adoptant une architecture moins sinueuse et torturée et en se conformant plus clairement aux codes de l’univers étendu super-héroïque Marvel, cette seconde saison, malgré d’indéniables qualités d’écriture et de mise en scène, perd un peu en densité psychologique.
Elle se révèle également problématique dans le traitement de ses rôles secondaires. Amante à venger ou ado à protéger, les personnages féminins ont pour fonction narrative première celle de motiver ou de justifier les actes du Punisher, triste contrepoint à celui de Dinah Madani dans la saison 1, davantage extrait des stéréotypes genrés.
Quant aux bad guys, ils n’ont ni la complexité, ni le charisme d’une Mariah Dillard (Luke Cage) ou d’un Wilson Fisk (qui a récemment vampirisé la saison 3 de Daredevil). Au nouveau venu rejouant la partition du prêtre psychopathe obsédé par la notion de péché et adepte d’auto-flagellation s’ajoute un Billy « Jigsaw » Russo défiguré, comme nombre de ses prédécesseurs (de Blofeld au Joker en passant par Dark Vador). On notera à ce titre que le British Film Institute, pour aider à changer le regard porté sur les personnes défigurées, a décidé récemment de ne plus financer de films dont les antagonistes souffrent de traumatismes faciaux…
Le contrecoup de la violence d’État
Malgré ces faiblesses, The Punisher reste fascinante dans sa façon d’envisager métaphoriquement l’Amérique, d’une part, comme un corps masochiste qui se relève après chaque coup en en demandant un nouveau, d’autre part comme un bras armé prompt à sacrifier les exigences de tempérance et d’humanité au nom d’une confusion volontaire entre la justice et la vengeance.
Elle est particulièrement pertinente sur la question sensible des anciens combattants. Jeunes gens plongés dans l’enfer de guerres aux ressors douteux, dévorés puis régurgités sous la forme d’excréments traumatisés, ils incarnent par leurs chairs blessées et leurs âmes tremblantes le contrecoup de la violence d’État, encombrant « pour le mieux », explosif pour le pire… Et l’un de ces gamins détruits de demander, avec un frisson d’excitation, à Billy Russo au détour d’une bière : « Tu ne t’es jamais demandé ce qui se passerait si tous les anciens combattants se levaient en même temps pour faire un bras d’honneur au monde entier ? » On parie, inquiets, sur la levée sinistre et désespérée d’une armée de Punishers.
Marvel’s The Punisher saison 2, disponible sur Netflix.
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