Une histoire d’amour rocambolesque par temps de guerre dans le style dépenaillé et foisonnant de son auteur.
Pour les cinéastes comme Kusturica qui ont un univers fortement identifié, la difficulté est de durer. Comment évoluer sans donner l’impression de se répéter ou de se trahir ? Comment rester pertinent en demeurant campé sur son pré carré esthétique et thématique alors que tout bouge autour de soi ? Avec On the Milky Road, le double palmé d’or n’a pas résolu cette quadrature du cercle mais persiste et signe dans un genre unique dont il est le seul praticien : le “Kustu movie”.
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A quoi reconnaît-on un Kustu movie ? D’abord à son territoire, ces Balkans magnifiques et sauvages où l’on boit, l’on chante, l’on danse, l’on s’aime, l’on se bat, l’on se fait la guerre entre nations-tribus mais dans un tel barouf que l’on ne sait plus trop qui se bat contre qui et pour quelle obscure raison originelle.
Un cinéma de bordel, de chahut mal peigné
Ensuite, justement, le barouf, autre vertu du Kustu movie : alors que tant de cinéastes aiment l’ordre, le rangement, l’épure, le trait sec (et nous aussi d’ailleurs), on sait gré à Emir d’être le dernier à pratiquer un cinéma de bordel, de chahut mal peigné, de désordre métèque, de pulsions tsiganes, qui fait l’effet d’une irruption anarchique de Roms dans le jardin à la française de notre cinéma bien ordonné et de notre bon goût.
Le style du cinéaste est toujours d’une telle générosité qu’il présente parfois le revers de cette qualité : un effet de trop-plein qui parfois étourdit à force de larges rasades de musique, d’agitations, de lyrisme baroque et surréel. Il arrive ainsi que l’on sature, mais non sans avoir savouré quelques trésors d’imagination et de mise en scène comme cette grande horloge incroyable qui résume le mix de bricolage et de complexité du geste cinématographique de l’auteur. Une des définitions de l’art est : “mettre en forme le chaos du monde”. Ça vaut pour Kustu même si chez lui, le chaos déborde parfois la mise en forme.
On the Milky Road d’Emir Kusturica (Serb., G.-B., E.-U., 2017, 2 h 05)
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