Maladies incurables, pressions politiques, modes de production… Comment peut-on sortir du glyphosate ? C’est ce que tente d’expliquer « Envoyé Spécial » dans une soirée consacrée à cet herbicide considéré comme dangereux par plusieurs scientifiques.
Il y a ce jardinier américain atteint d’un cancer, mais aussi ce petit garçon français qui a dû subir une trachéotomie, ou encore ce cultivateur de riz sri-lankais qui tente de vivre malgré son insuffisance rénale. Tous ont approché de près ou de loin des litres de glyphosate. Ils sont les visages de la lutte contre Monsanto, le géant industriel qui commercialise cet herbicide. Et c’est aussi à eux que s’intéresse Envoyé Spécial dans une soirée événement consacrée au glyphosate et qui interpelle : « Comment s’en sortir ? ». Pourquoi l’interdiction de ce produit considéré comme dangereux par plusieurs scientifiques est-il encore utilisé un peu partout dans le monde ? Politiques, scientifiques, modes de productions… A travers une série de cinq enquêtes et reportages, France 2 donnent des éléments de compréhension sur un sujet brûlant.
La force des lobbys sur les politiques et les scientifiques
Elle est l’une des molécules les plus utilisées dans le monde. Pourtant, en 2015, une agence de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le CIRC, a déclaré que le glyphosate était un cancérogène probable. Novembre 2017, Emmanuel Macron s’engage via un tweet à interdire le glyphosate d’ici trois ans. Quelques semaines plus tôt, c’est 54 députés de la majorité qui demandaient son interdiction « le plus rapidement possible », via une tribune publiée dans le journal Le Monde. Malgré cette volonté affichée dans les médias, les équipes d’Envoyé Spécial montrent à quel point tout a été fait pour que cette interdiction ne soit pas inscrite dans la loi. Sous la pression des lobbys agricoles, tout sera mis en place pour que les députés évitent d’aller voter…
Assemblée nationale, 4h du matin. La réunion des députés LREM qui a fait basculer le vote glyphosate.
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📺 Jeudi 21h00 pic.twitter.com/xYfHYtv79E— Envoyé spécial (@EnvoyeSpecial) January 16, 2019
Si l’influence de Monsanto sur les politiques est forte, elle l’est aussi largement sur les scientifiques. Tristan Waleckx, lauréat du prix Albert-Londres 2017, a enquêté sur le modus operandi de Monsanto pour faire croire au monde entier que non, le glyphosate n’est pas dangereux. Eté 2017, les Monsanto Papers permettent l’accès au grand public de dizaines de milliers de documents internes au géant de l’agrochimie déclassifiés par la justice américaine. Et les révélations sont édifiantes : la firme a instauré une stratégie du doute à grande échelle. France 2 montre alors comment tout un tas d’études publiées dans des journaux ou des revues influentes et signées par de grands chercheurs indépendants sont en fait commandées, voire parfois co-rédigées directement par Monsanto. Et il n’est pas rare que tout ça se conclut par des échanges d’argent.
Alors que le journaliste confronte l’un de ces scientifiques à des documents prouvant qu’il a modifié l’une de ses études à la suite d’annotations de l’un des employés de la firme, la scène dégénère. « Maintenant vous me donnez toutes vos images parce qu’elles ne seront jamais diffusées. Je ne vous l’autorise pas », ordonne David Kurklang, consultant en toxicologie. Pire encore, à chaque fois qu’une étude sérieuse est réalisée par un universitaire et dont les résultats accablants pour le glyphosate sont publiés, Monsanto fait tout pour la ridiculiser. Par tous les moyens. C’est ce qui s’est passé pour le professeur caennais Giles-Eric Seralini. En 2012, il publie les résultats de ses trois années de recherches réalisées dans le plus grand des secrets : des rats nourris au maïs OGM traité au Roundup (le nom de l’herbicide de Monsanto) ont été empoisonnés jusqu’à la mort. « Même à très faible dose, le Roundup est un produit mortel », insiste encore aujourd’hui le scientifique. Pourtant, son étude sera finalement retirée par la revue dans laquelle elle a été publiée. Les Monsanto Papers révéleront plus tard qu’un contrat de 16 000 dollars a finalement été signé entre le directeur de la revue et la firme américaine.
De la difficulté de passer au bio
Envoyé Spécial s’intéresse aussi aux modes de transformation d’une production agricole basée sur le glyphosate. Et pour mieux comprendre ses difficultés, on nous emmène à la rencontre de deux céréaliers français. L’un produit 100% bio, l’autre est un défenseur acharné du glyphosate. Ils vont tous deux aller dans l’exploitation de l’autre pour en comparer les fonctionnements. Résultats : les bénéfices des exploitations sont légèrement supérieurs pour celle qui privilégie le labour de la terre plutôt que l’utilisation des herbicides. « C’est une révolution totale », explique Vincent, qui utilise régulièrement du glyphosate. Pour s’en passer, « il faudrait tout remettre à plat. Le matériel, les contrats… Repartir à zéro. C’est le projet d’une vie, voire de plusieurs générations. » Un modèle économique possible ?
En 2015, le Sri Lanka fut le premier pays au monde a totalement interdire le glyphosate suite à une mystérieuse épidémie d'insuffisance rénale dans les régions du nord.
(par @EliseMenand et @SwannyThiebaut )🌿#Glyphosate #EnvoyeSpecial
📺 Jeudi 21h00 pic.twitter.com/MLxjSvj9Zt— Envoyé spécial (@EnvoyeSpecial) January 16, 2019
C’est en tout cas le pari fait par le gouvernement sri lankais qui a interdit le produit depuis 2015. C’est le premier pays au monde à avoir pris cette décision radicale. Et pour cause, dans le nord, près de 20% de la population de la région souffre d’insuffisance rénale. C’est la première maladie chronique de la région, les centres de soins sont débordés. L’eau y est cinq fois plus riche en métaux lourds que dans le reste du pays et retient davantage le glyphosate. Dans cette région de rizières, il s’infiltre dans les nappes phréatiques et l’eau que les gens utilisent pour boire ou faire la cuisine en contient beaucoup. Alors dans les plantations de thé, des ouvriers doivent désormais arracher les mauvaises herbes une par une, à la main. Un gérant parle de coûts de production multipliés par dix, et avoue continuer à utiliser encore un peu d’herbicide acheté sur le marché noir. Le Sri Lanka a-t-il abandonné ce produit trop rapidement ? Un scientifique du pays et auteur d’une étude révélant le lien entre le glyphosate et les maladies rénales parle en tout cas d’un « crime contre l’humanité ». Outre-atlantique, sept nouveaux procès se tiendront prochainement contre Monsanto. En Europe, la bataille se poursuit.
« La Spéciale d’Envoyé » Glyphosate, comment s’en sortir ? Jeudi 17 janvier, à 21 heures, sur France 2.