Après quatre jours intenses de comptages, Joe Biden devient (enfin) le 46e président des Etats-Unis. Il va succéder au mandat de Donald Trump et à son héritage.
Rien ne nous aura été épargné, dans cette course folle à la Maison Blanche, débutée fin 2019 par les déjà rocambolesques primaires démocrates. Alors que la victoire de Joe Biden semblait acquise dès les heures tardives d’une interminable nuit électorale (une fois son discours optimiste conclu par le désormais fameux « Keep the faith guys, we’re gonna win this« ), il aura fallu quatre jours supplémentaires pour la célébrer, sans être encore certain, à l’heure où sont écrites ces lignes, du nombre total de grands électeurs remportés — plus que 270 en tout cas, c’est l’essentiel. Au total, quatre jours de comptage minutieux pour aboutir à une victoire certes incontestable — quoique déjà contestée par le perdant — mais terriblement étriquée.
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Quatre jours s’apparentant à un supplice chinois pour Donald Trump, qui aura vu ses espoirs de victoire fondre comme neige au soleil, heure après heure, vote après vote, tandis que son « red mirage » laissait place au « blue shift », par un processus électoral byzantin, que seuls les Etats-Unis, dans leur génie spectaculaire, savent produire. Après le discours de mauvais perdant du Président, le présentateur vedette de CNN, Anderson Cooper résumait ainsi, cruellement, la situation : « C’est comme regarder une tortue obèse sur le dos, se débattant sous le soleil brûlant, réalisant que son temps est terminé. »
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Un pays divisé
Mais passé le soulagement immédiat, le champagne aura sans doute un goût amer. En effet, la vague bleue escomptée par les sondeurs, seule à même d’anéantir le trumpisme, n’a pas déferlé. Plus encore qu’en 2016, les instituts de sondage se sont plantés dans les grandes largeurs, ce qu’on pouvait pressentir sur le terrain, instinctivement, en discutant avec des électeurs de Trump.
Si leur certitude de l’emporter apparait rétrospectivement comme une fanfaronnade, leur capacité de mobilisation sidérante et leur diversité posent question. Lorsqu’on analyse les premiers résultats, on constate en effet que la vague bleue a existé en réalité, mais qu’elle a été contrée par une vague rouge, à peine moins puissante — et c’est ce petit écart, de quelques dizaines de milliers de voix dans une poignée d’Etats-bascule, qui offre la victoire à Biden et à sa vice-présidente Kamala Harris qui devient la première femme noire des Etats-Unis à occuper ce poste.
My absurdly precise forecast of the final popular vote margin is Biden +4.3%, with 81.8m votes for Biden and 74.9m for Trump on turnout of 159.6m.
That's using Edison's estimate of the outstanding vote in each state and my best guesses for how it will be distributed.
— Nate Silver (@NateSilver538) November 5, 2020
Selon les projections, une fois tous les bulletins comptés, la participation devrait dépasser les 160 millions de votes (66% des adultes en âge de voter) : un record absolu, pulvérisant celui de 2016 établi à 136 millions (60%). La bonne nouvelle, c’est que Biden réalise le meilleur score de l’histoire pour un candidat démocrate (près de 85 millions de voix). La mauvaise, c’est que Trump aussi, ayant convaincu plus de 75 millions d’Américains de voter pour lui — contre 63 en 2016. C’est certes une minorité, mais une une minorité élargie et sur-motivée, pour ne pas dire fanatisée, qui va continuer de peser dans la vie politique américaine.
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En outre, les démocrates ne reprendront vraisemblablement pas le contrôle du Sénat (on ne le saura qu’en janvier, à l’issue d’un deuxième tour pour les deux sièges de Géorgie), ce qui va gréver leur capacité à réformer le pays. Sans parler de la cour suprême ultra-conservatrice (grâce à la nomination express d’Amy Coney Barrett), qu’il sera impossible de rééquilibrer avant longtemps.
L’ombre Trump planera
Certes, le scénario fasciste s’éloigne, mais derrière cette victoire étriquée de Biden, plane l’ombre du Lincoln project, ce groupe de Républicains anti-Trump dont on a tant aimé retweeter les vidéos assassines et hilarantes, tout en sachant qu’on pactisait avec le diable. Ils sont de fait les grands gagnants de l’élection. Promis à des postes gouvernementaux, ils vont sans nul doute imposer leur centrisme oligarchique à l’administration Biden, dont l’aile gauche (celle de Bernie Sanders, d’Elisabeth Warren, d’Alexandria Ocasio-Cortez) aura du mal peser dans cette configuration. Il n’est même pas certain que le Président-élu puisse choisir librement son cabinet, qui devra passer par les fourches caudines d’un Sénat rouge…
#Election2020. CNN et NBC déclarent @JoeBiden vainqueur, cris de joie à Boerum Hill, Brooklyn depuis plusieurs minutes. New York va être en fête aujourd’hui. pic.twitter.com/l3cRVzGF8A
— Mathieu Magnaudeix (@mathieu_m) November 7, 2020
Le trumpisme, nous le disions, n’est pas prêt de disparaître. Une contestation autre que timide au sein du parti républicain est improbable, tant ce mouvement en constitue désormais l’ossature idéologique et stratégique. Si son leader n’a pas, à cette heure, appelé à la guerre civile, comme on pouvait le craindre, il s’accroche au pouvoir tel un bigorneau sur son rocher, et va garder toute sa capacité de nuisance, tant qu’il ne sera pas enterré ou derrière les barreaux (ce qui n’est pas acquis). Il a maintes fois promis de créer sa propre chaine de télévision pour concurrencer Fox News la traitresse (le divorce est consommé avec Rupert Murdoch), et va continuer à faire la seule chose pour laquelle il est compétent : faire prospérer son nom, sa marque, ces cinq lettres maléfiques qui sont, qu’on le veuille ou non, inscrites dans l’Histoire et dans nos têtes (un peu à l’instar de Berlusconi en Italie).
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La bulle n’a pas explosé, et la réalité parallèle de Trump va continuer d’exister encore un temps. Le virus QAnon est quant à lui bien ancré (y compris à la Chambre, où une poignée d’élus républicains s’en réclament ouvertement), et va continuer à ravager des cerveaux par millions. Et il ne suffira pas d’ignorer ces cinglés minoritaires pour remettre le pays à l’endroit : la parole de Trump résonne bien au-delà d’eux, parmi une population qu’il serait catastrophique de mépriser, tant elle ne correspond pas à la caricature de rednecks racistes qu’on a voulu en faire (le fameux « panier de déplorables », funeste commentaire d’Hillary Clinton en 2016 qui a, et qui continue de coûter cher au parti démocrate).
Les gains nets du candidat populiste parmi les minorités (selon le sondage sorti des urnes du New York Times : 12% des Afro-Américains, 32% des latinos et des Asiatiques, 28% des LGBT, 42% des salariés modestes, soit plus qu’en 2016) doivent interroger. Le parti démocrate ne peut plus détourner la tête en se bouchant le nez : afin que le cauchemar s’arrête pour de bon, il est impératif d’en analyser les causes profondes. Et de réparer ce qui peut l’être. Patiemment. Sans arrogance.
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