Vous venez de binge-watcher la mini-série Netflix et vous en voulez encore ? En tant que jeu de stratégie, les échecs ont souvent été un moyen d’exprimer visuellement des rapports de force. De la métaphore sexuelle à l’allégorie politique, voici dix films jouant avec les échecs.
La mini-série Netflix Le jeu de la dame a démontré avec brio à quel point les échecs pouvaient être mis en scène de façon passionnante même pour les non-initiés qui n’y comprennent rien. Mais elle a prouvé également à quel point une action (une partie d’échecs) pouvait prendre mille et une formes différentes. L’héroïne, Beth Harmon, a un rapport particulier avec les échecs, seul moyen pour elle de faire partie de la société, de sortir de son isolement affectif et rencontrer des individus. Tout au long des épisodes, elle cherche dans sa façon de jouer un certain équilibre entre instinct et raison, entre contrôle et lâcher prise, mais chaque partie représente pour elle un enjeu particulier. Leçon de vie, révélation métaphysique, affrontement politique, lutte contre soi-même ou préliminaire sexuel… Les échecs au cinéma sont un jeu de mise en scène avant-tout.
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L’Affaire Thomas Crown (1968) de Norman Jewison : la partie d’échecs comme partie de jambes en l’air
Les échecs n’auront jamais été aussi sexy. Entre Faye Dunaway et Steve McQueen, la tension sexuelle est palpable. Dans le clair-obscur sensuel d’un feu de cheminée, les deux partenaires se toisent, cherchant à faire tomber les défenses de l’autre. Les coups des joueurs, rythmés par une composition de Michel Legrand, sont autant de tactiques de séduction.
Aussi bien par le montage d’une symétrie évocatrice que par un jeu de jambes et de regards, on perd vite le fil de ce qui se passe sur le plateau d’échecs pour se concentrer plutôt sur ce qui se déroule au-dessus et au-dessous de la table. La scène est extrêmement découpée, à la manière d’un film d’action : les très gros plans alternent avec des plans larges, des plongées totales se glissent à l’intérieur d’un champ-contrechamp frontal… La partie est gagnée pour le personnage de l’enquêtrice, qui soupçonnait de vol ce millionnaire désœuvré et divorcé. Un jeu de société, vraiment ?
Le Septième sceau (1957) d’Ingmar Bergman : quand l’homme joue avec la mort
Au Moyen-Age, un chevalier (Max von Sydow) rentre des croisades, absolument dépossédé de toute illusion sur l’âme humaine et la vie. Alors que la peste noire sévit en Europe, il croise la Mort sur son chemin. Mais, il n’est pas question de mourir maintenant, alors qu’il doute plus que jamais de l’existence de Dieu ! Pour gagner du temps, il la défie le temps d’une partie d’échecs sur la plage. Une confrontation aussi comique que métaphysique…
Il faut imaginer La Mort, encapuchonnée de noir et fanfaronnant sur ses talents de joueuse d’échecs. En parallèle, le chevalier fait la rencontre de troubadours et de dévots (autant de personnages incarnant l’impossibilité d’avoir la foi). Du Bergman moins dramatique et psychologique qu’à son habitude, qui aborde de front et sans équivoque la tragique condition de l’être humain, condamné à désirer connaître l’inconnaissable. Et à mourir sans savoir s’il existe ou non un au-delà.
https://youtu.be/6ZKZrmW2GeI
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Blade Runner (1982) de Ridley Scott : quand l’homme créé un adversaire à son image
Dans Blade Runner, les réplicants sont créés à partir d’ADN humain. Ni robot, ni clone, on a fini par les considérer comme dangereux et les interdire tant le risque qu’ils s’humanisent est grand. Roy Batty (Rutger Hauer, mort la même année que son personnage dans le film, en 2019) est le chef d’un groupe de réplicants rebelles, refusant de se faire détruire et de mourir. Personnage fascinant, il est à l’origine de toutes les répliques cultes du film : “Je veux plus de vie, père” ; “J’ai vu tant de choses que vous, humains, ne pourriez pas croire” ; “Tous ces moments se perdront dans l’oubli, comme des larmes dans la pluie”… Dans l’espoir d’obtenir des conditions de vie proches de celles des êtres humains, il bat son créateur aux échecs afin de pouvoir le rencontrer. Mais “son père” n’a aucune pitié, et Roy, plus aucun espoir. Dès le début, les règles du jeu étaient faussées.
Computer Chess, 2001 et The Thing : quand l’homme créé l’adversaire absolu
Computer Chess (2013) d’Andrew Bujalski est un faux documentaire sur la création des logiciels de jeu d’échecs, à l’humour absurde et minimaliste. Kubrick et son 2001, Odyssée de l’espace (1968) pourrait être l’une des sources d’inspiration de cette comédie mumblecore car, dans les deux cas, l’être humain se désagrège face à une intelligence artificielle. Dans ce conte philosophique et farcesque, l’homme devient soit ridiculement médiocre (le cliché du geek), soit superbement dénué de sens et burlesque.
Tandis que le très sérieux personnage principal de 2001 se lance dans une partie d’échecs perdue d’avance contre HAL (l’I.A. contrôlant le vaisseau spatial dans lequel il se trouve et qui finira par se rebeller contre les humains), le héros de The Thing (1982) refuse de se soumettre aux règles d’un jeu qu’il ne peut gagner. Dans la première séquence du film de John Carpenter, nous découvrons en effet Mac (Kurt Russell) en train de disputer une partie d’échecs avec un ordinateur qui, évidemment, finit par le battre. Avec humour, il affirme alors l’indétrônable supériorité de l’homme sur la machine en déversant le contenu de son verre de bourbon dans l’unité centrale de « The Chess Wizard ». L’homme a ainsi littéralement court-circuité l’ordinateur, programmé pour gagner. Echec et mat.
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Les joueurs d’échecs (1977) de Satyajit Ray : les échecs comme allégorie politique
En 1856, deux notables indiens jouent de manière obsessionnelle au chaturanga, l’un des jeux de stratégie considéré comme étant à l’origine des échecs. Leur pays est sur le point de passer sous domination de la Compagnie britannique des Indes orientales, mais rien ne saurait les distraire. Les parties interminables de Mir et Mirza sont mises en parallèle avec cette inexorable emprise britannique : les riches propriétaires terriens ont assisté, indifférents, à la colonisation de leur pays. Les parties s’enchaînent tout au long du film, dans une mise en scène aussi élégante que trompeuse. Car, tandis qu’ils s’adonnent à un jeu innocent, l’ennemi anglais avance ses pions sans rencontrer de réelle opposition. Le film se clôt par une ultime partie d’échecs, tragique, car Mir et Mirza se rendent enfin compte qu’il faudra désormais jouer selon les règles anglaises.
La diagonale du fou (1984) de Richard Dembo : la guerre froide sur un plateau
Réalisé à la veille de la Perestroïka, le film culte de Richard Dembo met en scène l’affrontement entre deux idéologies par le biais de deux champions lituaniens que tout oppose. L’un (Alexandre Arbatt) est un jeune dissident individualiste et mégalomane, l’autre (Michel Piccoli) est soutenu par le régime soviétique. Deux personnages obéissant à un rituel mécanique, tout aussi ambigu l’un que l’autre. Ils apparaissent cadrés selon des plans aussi froids que méticuleux (des plans d’ensemble, frontaux et symétriques). Bien que différemment (le petit génie misant sur l’intuition là où le vieux champion reste fidèle à la technique), ils jouent selon les mêmes règles strictes, sur le même plateau de jeu noir et blanc.
L’un n’étant que le revers de l’autre, ne sont-ils pas finalement les mêmes ? L’ultime partie se déroule sur un lit d’hôpital et à haute voix. Sans plateau, les deux hommes se répondent par des noms de pions et des numéros de case. Il n’y a plus qu’eux pour voir à quoi ils jouent exactement. Le cadre rapetisse, comme si, de loin, tous deux étaient enfermés dans une même case, dans un même manichéisme et une même étroitesse d’esprit. Guerre muette, froide et binaire entre l’ancien et le nouveau monde.
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Bons baisers de Russie (1963) de Terence Young : les échecs comme incarnation des valeurs soviétiques
Les échecs étaient le sport national, la fierté de l’URSS. Il est donc tout à fait pertinent que le deuxième James Bond de l’histoire du cinéma s’ouvre par une partie d’échecs de niveau mondial entre un Canadien et un Soviétique. Ce dernier, le machiavélique Tov Kronsteen, remporte la partie. Il n’est autre que le stratège de SPECTRE, l’organisation clandestine que dirigeait le Dr No dans le premier film, et il a un plan soi-disant imbattable pour se débarrasser de 007. Mais c’était sans compter les nombreuses qualités du fameux espion britannique, à qui le cerveau le plus logique et stratégique du monde ne fait pas peur. Aux valeurs caricaturales de l’Est (l’intelligence froide, mathématique) s’opposent celles tout aussi grossières du monde de l’Ouest (un homme d’action, qui aime certes un peu trop les femmes mais est tellement plus sympathique…).
Harry Potter à l’école des sorciers (2001) de Chris Columbus : les échecs comme principes
A la fin du premier Harry Potter se joue une partie d’échecs pas comme les autres, qui scellera définitivement l’amitié des trois personnages principaux de la saga. Après avoir survécu à un chien géant à trois têtes et à d’autres épreuves mettant leurs vies en danger, le trio fait face à un plateau d’échecs gigantesque.
Cette fois-ci, ce n’est pas l’érudition d’Hermione ni le talent d’Harry qui les sauveront, mais le courage, le sens des priorités et de la stratégie de Ron. Rare moment de gloire pour le rouquin maladroit et flemmard, qui a passé l’année scolaire à jouer aux échecs plutôt qu’à travailler ses cours. Plus qu’aucun autre personnage, celui-ci sait tenir son rôle d’ami, sans velléité d’héroïsme. Car l’on ne gagne jamais seul, et c’est en comptant sur une mise en commun des forces de chacun et sur des valeurs comme la générosité et la solidarité que l’on peut vaincre le mal.
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Le Coup du berger (1956) de Jacques Rivette : l’amoralité des échecs
“Voici la morale de cette histoire, le meilleur joueur d’échecs est celui qui prévoit un coup d’avance sur son adversaire. Nous prendrons l’exemple classique, le coup dit du berger. Seule une débutante peut s’y laisser prendre. A elle de jouer…” Le court-métrage de Jacques Rivette commence par cette voix off digne d’un petit conte moral à la Rohmer, les images d’une partie d’échecs faisant office de générique d’ouverture.
Une femme cherche un stratagème pour pouvoir porter en public le manteau de fourrure que son amant lui a offert. Mais, comme le dit l’expression, “tel est pris qui croyait prendre”. Les personnages, comme autant de pions dans un jeu de stratégie, tentent des avancées pour venir à bout de leurs désirs. Tous leurs désirs : comment avoir le mari, l’amant et ses avantages ? Ce jeu de rôles conjugal s’achève par une morale de l’histoire, mais qui repose davantage sur des considérations stratégiques que des sur valeurs ou des jugements moraux. Un conte léger et ironique.
Le joueur d’échecs (1997) de Bob Peterson : le potentiel comique des échecs
Oscar du meilleur court-métrage en 1997, ce petit film muet met en scène un attendrissant vieux monsieur qui joue seul aux échecs. En une trentaine de minutes, c’est toute l’esthétique tendre et rigolote de Pixar qui se déploie à travers des jeux de cadre, de montage et de rythme.
Lorsque Geri se met dans la peau de son opposant et joue les pions noirs, il devient quelqu’un d’autre, une version “mauvaise” et inattendue de lui-même. De l’autre côté du plateau, il semble soudain plus vif, sûr de lui, impitoyable, comme un véritable champion d’échecs. L’histoire est simple, sans paroles, fondée uniquement sur un effet de surprise et la mise à mal de certains préjugés à l’encontre des personnes âgées. Tout repose sur la mise en scène, qui se situe entre le burlesque des films muets et l’efficacité d’un dessin animé numérique. Pas de doute, c’est bien une partie d’échecs 100% Pixar.
https://youtu.be/QaRbM8TMAAs
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