A l’occasion de « Profession : Flic », présenté par Michel Denisot sur Canal +, nous avons posé quelques questions à Ange Mancini, grand flic et patron du RAID de 1985 à 1990.
Dans le dernier numéro de la collection PROFESSION diffusé ce mercredi, Michel Denisot réunit autour de lui sept grandes figures de la police française : Martine Monteil, Danielle Thiéry, Claude Cancès, Ange Mancini, Olivier Marchal, Richard Marlet et Raphaël Nedilko.
Comment est née leur vocation ? Quelles sont les affaires qui les ont marqués ? Ont-il jamais eu des doutes sur certains cas rencontrés au cours de leur carrière ? Ont-ils dû faire face à des situations insolites ?… Parmi ces sept grands flics, Ange Mancini, qui a été le premier chef du RAID, puis commissaire divisionnaire, inspecteur général des services actifs de la police nationale, préfet (de la Guyane, puis des Landes, enfin de la Martinique) et coordonnateur national du renseignement.
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Comment êtes-vous entré dans la police ?
Ange Mancini – Tout à fait par hasard et même « par accident ». En 1963, j’étais en voiture avec un copain. Nous étions partis chercher du boulot en lisant les petites annonces du Figaro. On a eu un petit accident sur la place Notre-Dame à Paris ; à l’époque on pouvait traverser le pont et passer devant la cathédrale. Au milieu de la place, on a ce petit accrochage qui n’avait rien de grave. Pendant que mon ami faisait le constat, je lui ai dit : « Tiens je vais voir en face, s’ils embauchent ». Il s’agissait de la préfecture de police de Paris. Je dis toujours en rigolant qu’ils n’attendaient que moi (rires).
Il faut se remettre dans le contexte : nous vivions alors à une époque de plein emploi. Peu de gens entraient dans la fonction publique du fait de salaires très bas, encore plus bas qu’aujourd’hui. La préfecture de police embauchait beaucoup de contractuels. J’ai été recruté comme officier de police adjoint contractuel puis affecté aux archives de la police judiciaire de la préfecture de police au 36 Quai des Orfèvres. Moi qui voulait de la police très active, j’ai été gâté (rires). Ça n’a pas duré et j’ai fini par adorer le métier.
Quel était l’état de la relation entre la police et les citoyens à l’époque, compte-tenu du climat de défiance actuel ?
Je pense que vous vous laissez abuser par les images actuellement. A chaque sondage, la population exprime son appréciation positive des forces de police. Je me rappelle d’un sondage, peu après Mai 68, où l’on essayait de savoir ce que les gens pensaient de la police. Il leur était tellement favorable qu’il n’avait pas été publié. Les gens disaient, et c’est peut-être un peu vrai, que la police est le dernier échelon humain : vous restez au contact de personnes physiques.
Bien sûr, il peut arriver que ça ne se passe pas bien ; comme partout, certains ne respectent pas les règles mais c’est excessivement rare et puni très sévèrement par la hiérarchie. Cette image qu’on a d’une supposée opposition entre la police et la population, c’est comme dans la Caverne de Platon : c’est surtout des ombres qu’on aperçoit dans le fond. Je crois sincèrement que les Français aiment leur police. D’ailleurs mon slogan c’est : « La police, la connaître c’est l’aimer ».
On a tout de même pu visionner des images assez choquantes des deux côtés ces derniers jours…
Les images choquantes, ce sont ces policiers frappés par des manifestants. Je ne comprends pas qu’on ne stigmatise pas plus ces actions-là car le simple fait qu’un policier intervienne devrait faire cesser le désordre. A partir du moment où il faut employer la force pour faire cesser le désordre, on est dans une relation qui n’est pas de société mais de sauvages.
Durant votre longue carrière, vous avez occupé la tête du RAID durant cinq ans…
Je l’ai rejoint à sa création en 1985 et je l’ai quitté cinq ans plus tard en effet.
Comment et pourquoi s’est décidée la création de ce service à l’époque ?
Le RAID répondait alors à un besoin qui est encore évident aujourd’hui : intervenir dans des situations extrêmement difficiles. On parle beaucoup de terrorisme aujourd’hui mais ça n’a rien de nouveau. En 1985, il y avait des prises d’otages, des prises d’avions, etc. Cela répondait à un besoin de spécialiser les agents, non pas seulement pour faire de « l’intervention », mais pour gérer des situations de crise. C’était la principale idée émise par Pierre Joxe à la création du RAID, sur proposition de Robert Broussard. Joxe m’avait dit : « Je veux que le RAID soit la Formule 1 de la police nationale. Et que chaque police rêve un jour d’en faire partie. » Il fallait que ce soit une sorte de symbole pour donner envie aux plus jeunes d’entrer dans la police.
Quel est votre souvenir le plus marquant à la tête du RAID ?
J’en ai beaucoup, on peut toujours revenir à ses premières amours. Le premier bien entendu est celui de la prise d’otages de la cour d’assises de Nantes en décembre 1985. C’était quelque chose de très fort et intense à vivre : il s’agissait de la première intervention du RAID. Il y avait un mélange de jeunes et d’anciens et je me rappelle que ça avait formidablement bien fonctionné. Puis il y a eu l’arrestation de membres d’Action directe, etc.
Récemment le RAID a été employé pour interpeller un gilet jaune suspecté de violences contre des forces de l’ordre. Pensez-vous que cela reste dans le cadre de ses prérogatives ?
Je ne vois pas en quoi porter un gilet jaune fait une différence. Le RAID est une unité spécialisée pour réaliser, entre autres, des interventions difficiles. S’il y avait une certaine difficulté avec cette intervention je n’en connais pas tous les éléments et il ne m’est pas possible de l’analyser. Ce dont je suis sûr c’est que si le RAID a été envoyé, c’est par nécessité.
Que pensez-vous de la représentation de la police dans le cinéma français ?
Si les représentations étaient réalistes, elles n’auraient aucun intérêt (rires). La réalité de la vie de policier, bien qu’exaltante, ne présente pas toujours un intérêt à montrer face caméra. Ce qui fait la force et l’intérêt d’un film ou d’une série policière, c’est au contraire de raconter une histoire et de faire rêver les gens. Mais ça ne se passe pas souvent de la façon dont c’est raconté. Et c’est pour ça aussi que ça plaît. Reproduire la réalité est en général embêtant pour ne pas dire pire… Après il faut savoir laisser rêver les gens (sourire).
Pensez-vous que la police fasse encore rêver de jeunes aspirants ?
Je pense que c’est toujours aussi vrai mais que c’est un peu plus compliqué. Il y a peut-être des réflexions à avoir de façon globale pour redonner un sens de respect de cette fonction qui est souvent vilipendée au quotidien. Redonner l’honneur, la fierté de faire ce métier. Quand les gens vous disent que c’était mieux avant, c’est souvent parce qu’ils regrettent leur jeunesse, rien d’autre.
Propos recueillis par Julien Rebucci
Profession : Flic, présenté par Michel Denisot, le 16 janvier à 23h heures sur Canal +