Une succession de salles remplies de scies circulaires prêtes à nous découper en morceaux. Tel est le principe de Disc Room, un jeu plus profond qu’il n’y paraît et dans lequel l’objectif est clair : survivre. Et aussi : la fièvre du Rogue-like avec ScourgeBringer et Gonner 2, l’horreur en sourdine de Clea et un Oddworld de plus sur la Switch.
Au départ, on a cru à une blague. Ou, peut-être, à une sorte d’exercice de style ludique, un peu game jam dans l’esprit : se saisir d’une idée a priori limitée et regarder jusqu’où on peut la pousser. Il faut dire qu’avec Minit, le jeu à la Zelda dans lequel notre personnage meurt toutes les 60 secondes, Jan Willem Nijman et Kitty Calis avaient déjà fait (très) fort en matière de concept improbable.
Cette fois, le principe est à la fois plus simple et plus extrême. Dans Disc Room, que le duo a conçu avec Terri Vellmann et le musicien Doseone, vous vous retrouvez au centre d’une pièce dans laquelle se déplacent des scies circulaires toujours plus nombreuses et qui menacent en permanence de vous découper en morceaux. Le but : survivre. Voilà, c’est le jeu.
Evitement
Evidemment, l’affaire ne s’arrête pas là et tout, dans l’expérience sidérante de Disc Room, est une question de variations, souvent infimes mais innombrables. Parfois, c’est le temps que l’on doit survivre, malgré les disques, qui change. Ailleurs, seules les secondes passées à l’intérieur d’un cercle au centre de la pièce sont décomptées. Parfois, c’est le temps total de survie pour un certain nombre de salles qui est pris en compte. Et puis il y a les combats de boss au cours desquels, en plus de tout le reste, il faut ramasser des orbes qui apparaissent les uns après les autres sur l’écran.
Sans oublier les objectifs “négatifs”, comme celui consistant à se faire tuer par un nombre donné (d’abord quatre, puis quinze…) de disques différents. Car tous ne se comportent pas de la même façon, ce qui rend d’autant plus nécessaire de bien choisir le petit pouvoir spécial dont on préfère disposer pour chaque défi parmi tous ceux que l’on acquiert au fil de l’aventure (ralentir le temps, absorber un disque, se cloner…) A chaque succès, la porte d’une nouvelle salle s’ouvre et une autre épreuve démarre, proche de la précédente et pourtant toujours différente. C’est un éternel recommencement. Par moments, aussi, ce jeu d’action et d’épouvante (car, en découvrant certains tableaux, on est vraiment horrifié) arrive même à nous faire rire, comme lorsqu’il nous demande de rester en vie malgré les disques qui nous tournent autour dans une salle plongée dans une obscurité totale (mais il y a une astuce).
Disc Room est un jeu qui vient de loin. De Super Mario World à Super Meat Boy, la scie circulaire est un grand classique du jeu vidéo qui nous donne des sueurs froides depuis bien longtemps. Quant à la dynamique qui s’installe alors que l’on multiplie les tentatives pour venir à bout de tel ou tel niveau, elle rejoint celle des jeux d’arcade d’antan. On réessaie, on s’acharne, même en pestant : battre notre record (et survivre cinq, dix ou vingt secondes de plus), c’est important. Lorsque l’écran se remplit de disques menaçants, il y a d’ailleurs ici quelque chose des shoot’em up de type “bullet hell” où le tir importe moins que l’évitement des projectiles entre lesquels il reste bien peu d’espace où se glisser. Et ce gameplay dont la base est l’appréciation et l’anticipation de la trajectoire des objets qui se meuvent devant nous, est-il vraiment si loin de l’antique Pong ?
Légèreté
Le véritable coup de génie des auteurs de Disc Room, c’est d’utiliser ces ingrédients d’une originalité toute relative pour produire une expérience-limite, à la fois subtile et dépouillée, qui nous lâche presque nu face à l’adversité. Il faut se lancer dans un niveau un peu délicat, laisser derrière soi les premiers échecs et tenir quelques secondes pour saisir la grandeur de Disc Room. Les scies glissent et se multiplient, foncent sur nous, rebondissent contre un mur pour revenir aussi vite, mais on glisse, on vole. Dans ce jeu qui relève du “die and retry” et dont, par la force des choses, le rythme se révèle haché, heurté, notre destin est une quête de fluidité, de légèreté. Et la récompense se trouve au fond moins dans la réussite officielle d’un défi et l’ouverture de porte qui en découle que dans la performance qui y a conduit. Alors que le jeu vidéo célèbre souvent les plaisirs de la destruction, c’est celui de l’esquive qui règne ici. Et quand tout se passe bien, on ne se sent pas particulièrement puissant : on se sent libre.
On a beaucoup dit qu’Animal Crossing : New Horizons était le jeu du confinement, consolateur, avec son monde plus doux que le nôtre et créateur de liens. Disc Room pourrait bien, de son côté, être celui de la pandémie de Covid-19 et le jeu qui, d’une manière discrète et pourtant éloquente, nous “parle” le mieux de 2020. De ses dangers, de ses contraintes. Des désirs de mouvement, d’envol qui en découlent. De la solitude, aussi. Et des règles, contraignantes et changeantes (mais qui, ici, ont le mérite d’être extrêmement claires et, en conséquence, presque rassurantes). On se cogne et on repart. On frémit, à l’arrêt, sidéré, mais il ne faut surtout pas s’arrêter. C’est un exorcisme, un cauchemar et une célébration à la fois. C’est primaire et philosophique, brutal mais curieusement apaisant, monstrueux et beau. Le plus inattendu des cadeaux.
Disc Room (Jan Willem Nijman, Kitty Calis, Terri Vellmann et Doseone / Devolver Digital), sur Switch, Mac, Windows et Linux, environ 15€
Et aussi :
ScourgeBringer
Dans la foulée du coup de maître Hades, ScourgeBringer vient confirmer que le Rogue-like, genre très en vogue dans la sphère indé depuis quelques années, n’a pas dit son dernier mot. D’autant que l’œuvre du studio messin Flying Oak Games (NeuroVoider) possède un style bien à lui avec son esprit arcade (et ses écrans-tableaux à vider de tout ennemi), son accent sur la verticalité et sa manière subtile de donner du sens à toute cette action frénétique grâce au scénario de la toujours excellente Pia Jacqmart. Subtil et entêtant.
Sur Xbox One, Switch, Mac, Windows et Linux, Flying Oak Games / Dear Villagers, environ 17€
Gonner 2
Au rayon Rogue-like, voici le jeu de plateforme expérimental, aussi déstabilisant au départ que fascinant sur la durée. Ici, on ramasse tranquillement sa tête, son sac à dos et son arme – dont différents modèles se débloquent progressivement – pour se lancer dans des niveaux à l’allure duveteuse mais riches en menaces, dont les pourtours ne se dessinent que lorsqu’on s’en approche. Que l’on aime (et que l’on comprenne) ou pas, Gonner 2, qui développe avec talent les inspirations du premier volet, mérite le détour.
Sur Xbox One, Switch, Mac, Windows et Linux, Art in Heart / Raw Fury, environ 13€
Clea
Un jeu vidéo n’a pas forcément besoin d’effets gores ou de monstres gluants pour se montrer effrayant. Dans Clea du studio australien Invertmouse, une petite fille assez spéciale et son frère qui serre contre lui son nounours arpentent les étages d’un manoir dont les habitants ne leur veulent pas que du bien. Ils avancent sur la pointe des pieds, hésitent devant l’une des nombreuses portes, la franchissent et… oh, mon dieu, il faut fuir ! Et trouver refuge dans le placard le plus proche. Brève mais intense, cette partie de cache-cache aussi touchante que perturbante est une excellente surprise sur le créneau plutôt encombré du jeu d’horreur.
Sur Switch, InvertMouse / Sekai Games, environ 15€. Egalement disponible sur Mac, Windows et Linux.
Oddworld : New ’n’ Tasty
Après L’Odyssée de Munch et La Fureur de l’étranger, un troisième volet de la saga Oddworld débarque sur la Switch : L’Odyssée d’Abe (1997), ou plutôt son remake de 2014, New ’n’ Tasty. Ce dernier fait honneur à cet important jeu de plateforme et d’aventure des années PlayStation, aussi fameux pour ses audaces ludiques (et notamment sa manière de mettre du collectif dans le jeu vidéo en solo) que pour son univers de science-fiction et son propos ouvertement politique. Près d’un quart de siècle plus tard, partager l’odyssée de ce rebelle d’Abe est toujours aussi recommandé.
Sur Switch, Oddworld / Microïds, environ 30€. Egalement disponible sur PS4, Xbox One, Vita, Wii U et Windows.