Directeur du TNS de Strasbourg, le metteur en scène Stanislas Nordey fut l’élève de Jean-Pierre Vincent. Il l’avait invité à créer Antigone de Sophocle cette année. Il réagit à sa disparition.
“Je suis par terre, la mort de Jean-Pierre me dévaste. On savait qu’il n’allait pas bien du tout depuis son Covid au printemps dernier, mais on n’imaginait pas qu’il parte si vite. C’est la personne la plus importante de ma vie théâtrale. D’abord parce qu’il a été mon professeur. C’était un pédagogue extraordinaire qui n’a jamais cessé d’enseigner. Pour lui, la transmission était au centre de tout. Ce que j’ai beaucoup aimé chez lui, c’est qu’il n’a jamais mis en scène sa postérité, contrairement à des gens comme Jean Vilar ou Antoine Vitez qui ont énormément écrit, ce que je trouve très respectable aussi. Jean-Pierre construisait obstinément le théâtre français, allait énormément au théâtre et suivait les jeunes compagnies avec bienveillance. C’était quelqu’un qui était toujours au premier plan dès qu’une crise se produisait liée à la culture et il le faisait toujours avec mesure, justesse et en même temps, si nécessaire, avec emportement.
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Il était partageur. Il a commencé sa première aventure avec Patrice Chéreau, a continué avec Jean Jourdheuil, puis avec Bernard Chartreux. Il a marqué le théâtre français par des aventures théâtrales énormes. Le TNS de Strasbourg dirigé par Jean-Pierre Vincent, c’était quelque chose. Il a fait venir des philosophes, des peintres, il a créé un collectif d’artistes, a pris des risques. Ensuite, il se retrouve à la Comédie-Française et continue de prendre des risques. Le premier spectacle qu’il y monte, c’est Félicité de Jean Audureau et il se met un peu la troupe à dos. Il fait rentrer le théâtre contemporain dans la Salle Richelieu. Quand il reprend le théâtre Nanterre-Amandiers après Patrice Chéreau, ce n’est pas facile. Mais il y va et en fait complètement autre chose. Il fait venir Didier-Georges Gabily, Olivier Py. C’était quelqu’un d’accueillant et d’inspirant.
Ces dernières années, je lui disais pour le faire rigoler : “Tu deviens le Claude Régy du théâtre français” parce que son théâtre allait de plus en plus vers l’épure, que ce soit En attendant Godot de Beckett (2015) ou Iphigénie en Tauride de Goethe (2016). Quand je suis arrivé au TNS, ça avait du sens pour moi que Jean-Pierre soit là au milieu de la jeune génération avec Julien Gosselin, Thomas Jolly et Sylvain Creuzevault. Je l’ai fait venir à l’école et plusieurs fois dans la programmation. Il devait faire Antigone de Sophocle au TNS et créer Fin de partie de Beckett la saison prochaine. Il voulait terminer sa carrière avec ce spectacle au titre prémonitoire.
Surtout, il avait un œil politique sur les choses. Il ne faut pas oublier qu’il a fait Vichy fictions (1980) ou Le Palais de Justice (1981). Pour moi, il n’a fait aucune faute de goût. Jamais Jean-Pierre n’aurait été jouer dans le théâtre privé. Jamais. Je ne dis pas que ceux qui le font ont tort, mais lui a défendu le théâtre public jusqu’au bout des doigts avec une grande conviction. Il m’a tout appris et c’était une épaule sur laquelle on pouvait aller se reposer quand il fallait. Je suis bien triste.”
Propos recueillis par Fabienne Arvers
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