Son ouvrage sur la misandrie a fait couler beaucoup d’encre en ce début d’automne, rencontre avec l’autrice Pauline Harmange.
« Ce livre est de toute évidence, tant au regard du résumé qui en est fait sur votre site qu’à la lecture de son titre, une ode à la misandrie (= haine des hommes). Or, je me permets de vous rappeler que la provocation à la haine à raison du sexe est un délit pénal ! En conséquence, je vous demande d’immédiatement retirer ce livre de votre catalogue sous peine de poursuites pénales« . Le 31 août dernier, un article de Mediapart révélait qu’un chargé de mission au ministère délégué à l’égalité femmes-hommes, Ralph Zurmély avait écrit à des éditeur·rices pour faire interdire un livre sur la misandrie.
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Ce livre, dont Zurmély n’a lu que le titre, s’appelle Moi, les hommes je les déteste et il est désormais publié aux éditions du Seuil (reparu le 30 septembre et tiré à 35 000 exemplaires), la maison d’édition associative à l’origine de l’ouvrage n’ayant pu faire face aux demandes qu’a suscitées la médiatisation de l’affaire. Depuis, Pauline Harmange et Alice Coffin – qui a publié le même jour Le Génie Lesbien – sont au cœur de débats houleux dans les médias et victimes de campagnes de cyberharcèlement.
Pour savoir ce qui se cache réellement derrière la couverture violette de cet ouvrage de 80 pages, nous avons interviewé son autrice.
Les féministes ont plutôt tendance à prendre leur distance avec la misandrie. Pourquoi la revendiquer ?
Pauline Harmange – Au départ de ce livre, il y a l’idée que « misandre », c’est avant tout une insulte qui est renvoyée à la tête des féministes dès qu’elles ouvrent la bouche, dès qu’elles remettent en question l’hégémonie des hommes. Je comprends que les féministes n’aient pas envie de fait de se revendiquer « hystérique » ou « radicale »… Ce sont des mots qui ont mauvaise presse, ça prend du temps de se réapproprier ces insultes et d’y trouver du sens. C’est compliqué d’être perçu·es par les gens et notamment par les hommes comme une femme qui a des revendications. Et c’est vrai que la misandrie appelle tout de suite à beaucoup de violence, mais ce que je propose, c’est une mise à distance, un regard critique envers les hommes. Pour moi la misandrie c’est surtout l’occasion de se concentrer sur autre chose.
On reproche à la misandrie de mettre tous les hommes dans le même sac. C’est le fameux « men are trash ». Vous vous reconnaissez dans cette vision ?
La posture misandre se réfère au groupe social. Il y a évidemment des exemples qui confirment la règle et c’est tant mieux. Je trouve ça important de pouvoir dire que certains hommes sont capables d’entendre nos arguments, capables de remettre en question la performance de la virilité par exemple et de réfléchir pour avancer ensemble. Mais il faut que les hommes puissent entendre « men are trash », qu’ils soient, comme les femmes, capables de se remettre en question.
On peut considérer le genre comme une classe sociale qui a ses règles et qui entraîne des rapports de domination. Sauf que les dominants ont du mal à se voir comme tel, et c’est ça qui pose problème. Quand les femmes disent « les hommes violents », il y a toujours un homme qui vient dire « Non pas tous les hommes« . C’est très bien que lui ne viole pas, mais ce n’est pas le problème. Dans une société patriarcale, les hommes ont des privilèges, ils en usent et en abusent, souvent. Le souci c’est aussi qu’être misogyne, ce n’est pas condamné par la société.
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Ralph Zurmély a voulu interdire Moi, les hommes je les déteste sous prétexte qu’il s’agirait d’une provocation à la haine à raison du sexe. Misogynie et misandrie, même combat ?
Cette histoire d’interdiction est assez ridicule parce que ce n’est basé que sur un titre. Un homme qui écrirait « Moi, les femmes je les déteste » ce serait profondément misogyne. Quels arguments aurait-il pour étayer son propos ? Il n’y a pas de faits qui viennent entériner le droit d’être misogyne. Lorsque l’on voit les chiffres sur les violences envers les femmes, on ne peut vraiment pas mettre en parallèle la misandrie et la misogynie.
Il faut savoir que le titre provient d’un passage humoristique dans le livre. Quand j’écris « Moi les hommes je les déteste » je n’écris pas « Les hommes je les hais » ou « il faut les anéantir ». On peut détester plein de choses dans la vie, comme les brocolis par exemple (rires). Et ce n’est pas la fin du monde.
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Est-il acceptable d’être misandre aujourd’hui selon vous ?
Tous les hommes ne sont pas des violeurs, mais quasiment tous les violeurs sont des hommes. On connaît toutes une femme qui a été agressée par un homme, d’une manière ou d’une autre, c’est mathématique. Les hommes qui n’agressent pas, ne font rien d’autre, ils se contentent de ne pas agresser pour qu’on les apprécie. Or, ce n’est pas du tout suffisant. On ne peut pas selon moi avoir du respect par défaut pour une catégorie de personnes qui est paresseuse dans sa manière d’être avec l’autre moitié de l’humanité. Dans la société en général, mais aussi dans les relations interpersonnelles que l’on a avec des hommes qui ne se remettent pas en question dans leur couple ou dans leur famille et gardent des comportements paternalistes ou patriarcales sans s’en rendre compte parce qu’ils ne prennent pas le temps d’y réfléchir.
Pourquoi la misandrie fait-elle autant débat dans ce cas ?
Je pense que nous sommes aujourd’hui à un tournant. Les hommes commencent à craindre qu’on ne leur accorde plus autant d’importance, et donc ils ont forcément un mouvement de recul. Si on leur montre que leur comportement tel qu’il est aujourd’hui ne convient plus, ils vont devoir changer, et ça, ça fait très peur. Les femmes sont aussi moins prisonnières de certains schémas de société comme le mariage, les enfants… en tout cas en France. Il y a plus d’espace pour envisager d’autres relations avec les hommes que celles qui perdurent depuis très longtemps.
https://twitter.com/aPaulineR/status/1316462249909907456
Les autrices féministes et les féministes en général sont fréquemment harcelées sur les réseaux sociaux. Cela a été le cas d’Alice Coffin. Comment les choses se sont passées pour vous ?
Je sais que depuis la réimpression du livre, il y a beaucoup de « tentatives » de cyberharcèlement. Je parle de tentatives parce que j’ai réussi à me protéger très tôt. Les outils sur les réseaux sociaux sont mieux développés qu’il y a quelques années, je ne vois donc presque rien passer. Très tôt, j’ai été en contact avec d’autres autrices féministes, comme Coline Charpentier, qui m’a donné plein de conseils pour me protéger notamment sur les réseaux sociaux. On s’entraide et c’est nécessaire. Mais je trouve que c’est hyper inquiétant de voir ces hommes qui ne veulent pas lâcher ne serait-ce qu’un pouce de leur hégémonie, alors que l’on parle de choses relativement anodines. C’est inquiétant parce que plus le mouvement féministe est fort, plus le backlash (le backlash est un concept de Susan Faludi qui prouve que chaque avancée féministe est généralement suivie d’un retour de bâton, ndlr) est violent, il faut absolument que l’on garde des forces pour ne pas se laisser écraser.
Ce blacklash ne justifie-t-il pas le livre que vous venez d’écrire ?
Si j’avais pu douter de la pertinence de mes propos, là, récemment, les faits m’ont prouvé que j’avais raison ! Ce sont principalement les hommes qui m’ont insultée, qui s’en sont pris à mon physique.
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