Le film nigérian “Lionheart” de Genevieve Nnaji, qui concourait à l’Oscar du meilleur film international, a été disqualifié en raison de l’emploi prédominant de l’anglais, qui est pourtant la langue officielle du pays.
Lundi 4 novembre, l’Académie des Oscars a envoyé un mail inhabituel à ses membres. Les votants, qui visionnent actuellement les films participants, depuis Los Angeles ou ailleurs grâce à un système de streaming mis en place récemment, ont appris que le Nigeria était finalement disqualifié.
Réalisé par la Nigériane Genevieve Nnaji, Lionheart concourait à l’Oscar du meilleur film international, aux côtés de 92 autres candidats (un record), dont vingt-huit réalisés par des femmes et neuf originaires d’Afrique. Il était à ce titre la première candidature du Nigeria à la compétition, qui n’avait encore jamais soumis de film jusque-là.
L’anglais, langue officielle du Nigeria
La cause de cette disqualification surprise ? Sa langue. En effet, l’Académie stipule qu’“un film international est un long-métrage (défini par une durée supérieure à quarante minutes) produit en dehors des Etats-Unis d’Amérique avec une piste sonore aux dialogues essentiellement non-anglophones”.
Or l’anglais est la langue officielle du Nigeria. Ava DuVernay, qui a réalisé le film Selma, la série Scandal ou encore la minisérie Dans leur regard, a exprimé sa surprise sur Twitter, soulignant l’absurdité du choix de l’Académie : “Vous avez disqualifié la première candidature historique du Nigeria à l’Oscar du meilleur film international parce qu’il est en anglais. Mais l’anglais est la langue officielle du Nigeria. Cela signifie-t-il que ce pays ne pourra jamais concourir à l’Oscar dans sa propre langue ?”
https://twitter.com/ava/status/1191481642734387200?s=20
Un commentaire auquel Genevieve Nnaji a répondu en remerciant sa collègue pour son soutien et en détaillant le rôle que joue la langue anglaise dans son pays : “Ce film représente la manière dont on parle en tant que Nigérian. Cela inclut l’anglais, qui joue une fonction de pont entre les plus de 500 langues parlées dans notre pays, et fait du Nigeria un pays uni”, a-t-elle posté sur Twitter, ajoutant que ce n’était “pas différent de la façon dont le français connecte les communautés des anciennes colonies françaises. Nous n’avons pas choisi qui nous a colonisés. Comme toujours, ce film, comme d’autres, est nigérian et fier de l’être.”
1/1 1/2 Thank you so much @ava❤️.
I am the director of Lionheart. This movie represents the way we speak as Nigerians. This includes English which acts as a bridge between the 500+ languages spoken in our country; thereby making us #OneNigeria. @TheAcademy https://t.co/LMfWDDNV3e— Genevieve Nnaji MFR (@GenevieveNnaji1) November 4, 2019
Le goût amer du colonialisme
Les dialogues de Lionheart sont pour la plupart en anglais. Seules douze minutes du film donnent à entendre une langue non-anglophone, le lgbo, un dialecte du Sud-Est du Nigeria. La disqualification du film, qui a été produit par Netflix et présenté au Festival de Toronto en 2018, a suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux. Les commentaires rappellent que c’est le colonialisme qui a imposé l’anglais au Nigeria, et que la décision de l’Académie a le goût amer d’un néocolonialisme tout ce qu’il y a de plus ridicule.
Colonialism really is a bitch. https://t.co/OPsSCtW7Cg
— Franklin Leonard (@franklinleonard) November 5, 2019
Un cinéma méconnu
Par ailleurs, Lionheart aurait pu concourir dans d’autres catégories, comme celle du Meilleur film. Mais pour cela, il aurait fallu que le film sorte en salles aux Etats-Unis – un traitement spécial auquel il n’a pas eu droit, contrairement à The Irishman de Martin Scorsese. Le cinéma nigérian devait donc se cantonner à la catégorie spéciale du Meilleur film international, dont les règles ne changeront probablement pas de sitôt.
La question soulevée par Ava DuVernay prend alors tout son sens : le Nigeria, première industrie cinématographique au monde devant Bollywood et Hollywood avec Nollywood, est-il de facto et sine die exclu de la compétition ? S’il avait été sélectionné – parmi les candidats, cinq films choisis concourent à l’Oscar -, le film de Nnaji aurait certainement donné de la visibilité à un cinéma méconnu, auquel la jeune génération donne un nouveau souffle en parallèle d’une production nationale très marquée par la culture locale et majoritairement destinée à être montrée à domicile.
https://www.youtube.com/watch?v=LLu36WaYDfU