Dans le Missouri, le National WWI Museum and Memorial dédie une exposition à l’innovation et à la symbolique des styles arborés par les Françaises pendant la Grande Guerre.
Musée spécialisé dans l’histoire de la Première Guerre mondiale, le National WWI Museum and Memorial, dans le Missouri, accueille actuellement une exposition dédiée à la mode et aux femmes françaises pendant cette époque.
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Intitulée Silk and Steel : French Fashion, Women and WWI, celle-ci provient du Bard Graduate Center de New York et de la Bibliothèque Forney à Paris, et résulte d’un travail de longue haleine des chercheuses Maude Bass-Krueger et Sophie Kurkdjian. Le show explore l’évolution stylistique de cette période, son rôle de soutien moral, mais aussi le reflet des normes et des genres.
Pour Les Inrockuptibles, nous avons discuté avec la Curator of Education de l’institution, Lora Vogt, de la fonction symbolique, pratique et génératrice de changement de cette industrie, mais aussi du rapport que les femmes entretenaient à leur garde-robe.
Le vêtement a évolué avec la Première Guerre mondiale, quelles ont été ses évolutions ?
Lora Vogt – Avant la guerre, les Françaises de la haute société changeaient de tenue jusqu’à cinq fois par jour, passant d’une chemise de nuit à un peignoir matinal, puis d’un ensemble de jour à une robe pour le thé, pour enfin vêtir une robe du soir. Pendant la guerre, ce rituel complexe semblait malvenu et peu pratique, et beaucoup de femmes choisirent d’adopter des costumes sur-mesure pour la journée. Celles qui travaillaient portaient depuis longtemps des robes droites ou des costumes le jour, mais la quantité de femmes privilégiées à adopter, à leur tour, des costumes, fut sans précédent.
Ces ensembles, importés de l’Angleterre, étaient composés d’une jupe, d’une blouse, et d’une veste. Ils étaient déclinés dans une grande variété de styles et de tissus, certains imitant les uniformes des soldats. Deux nouvelles silhouettes furent introduites pendant la guerre. La première, courte et en forme de cloche, fut présentée par les plus grands couturiers Parisiens de l’époque en août 1914, le mois de l’invasion Allemande qui marqua le début de la guerre. Sa jupe abondante, composée de sept mètres de tissu, fut surnommée, la « crinoline de guerre ».
Bien que la presse de mode vantât le vêtement comme une forme de libération, les femmes se plaignaient que leurs bottes hautes et leurs jupes lourdes étaient peu commodes. Puis, en janvier 1917, les créateurs français introduisirent collectivement la silhouette dite « tonneau », qui nécessitait moins de tissu. Si les femmes voulaient rester à la mode, elles devaient mettre à jour leur garde-robe, une initiative onéreuse même si ce nouveau style utilisait moins d’étoffe. Les catalogues des grands magasins montraient que les silhouettes haute couture à la mode étaient reproduites à prix réduit dans des patrons prêt-à-porter et destinés aux classes moyennes.
Pendant la Belle Epoque, les chapeaux des Françaises étaient habituellement larges et décorés d’une profusion de rubans et de plumes. A l’arrivée de la guerre, la taille de ceux-ci diminua considérablement. Les plus petits chapeaux complétaient les proportions de ces jupes cloches plus larges, devenues à la mode. Certains des chapeaux les plus en vogue étaient influencés, dans leur design, par les casquettes militaires et les casques des soldats. Certains étaient décorés de cocardes bleues, blanches et rouges. Les styles bicornes et tricornes, et les calottes furent également adoptés.
Comment la notion de vêtement fonctionnel est-elle née ?
De plus en plus de femmes intégraient le marché du travail, leur garde-robe devait donc s’adapter à leurs nouveaux métiers. Le costume, pratique et qui s’adapte facilement, devint l’option par défaut des femmes de toutes classes sociales. Celles des classes ouvrières portaient aussi de simples blouses et des robes-chemises. Certaines d’entre elles, et plus particulièrement celles travaillant dans le secteur des munitions, devaient recourir à des combinaisons. Néanmoins, beaucoup d’entre elles relevaient leurs tenues avec des bijoux, des cols en dentelle blanche, afin d’exacerber leur féminité. Une façon de s’opposer à la critique récurrente selon laquelle les rôles genrés avaient été subvertis par le travail de guerre des femmes.
Les hommes craignaient que les femmes occupant des professions masculines menacent les rôles genrés traditionnels. Des articles et des photos mises en scène permirent de rassurer la société française : les femmes pouvaient assurer leur rôle de mère et leur profession. Les femmes portant des combinaisons étaient critiquées et ridiculisées par les hommes. De nombreuses sources d’information continuaient à rappeler aux hommes et aux femmes que la contribution à l’effort de guerre était assez importante pour justifier cette subversion des codes établis de la féminité.
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Qu’a créé Coco Chanel pendant cette période ?
Gabrielle Chanel entra dans la période de guerre en tant que jeune chapelière. A la fin de la guerre, ses créations à la simplicité radicale, beaucoup réalisées en jersey, commençaient à attirer l’attention en France comme à l’étranger. Chanel débuta par vendre des pièces basées sur un style personnel : des jupes simples, des blouses avec des cols marins, des manteaux en jersey avec d’amples poches et ceintures. Ses vêtements furent aussi bien reçus que ses chapeaux, et en 1915, elle ouvrit sa première boutique couture à Biarritz. Si elle devient connue pendant la guerre pour ses ensembles en jersey, le tissu en lui-même n’était pas une innovation : le jersey était déjà porté par les classes privilégiées pour faire du sport avant 1914. Chanel transporta ce tissu humble, auparavant utilisé exclusivement pour les vêtements de loisir, dans la sphère de la mode quotidienne. En 1918, elle ouvrit sa première maison de mode à Paris. Une boutique qui existe toujours.
Certaines marques ont-elles dessiné des uniformes ?
A Paris, la Première Guerre mondiale éclata en plein défilés estivaux. Des couturiers comme les Sœurs Callot, Louise Chéruit, Maison Premet, Agnès-Drecoll ou encore Redfern, purent présenter leurs collections à quelques acheteurs étrangers qui étaient restés dans la ville. D’autres maisons de mode, telles que Worth ou Beer, et des grands magasins comme les Galeries Lafayette, modifièrent leurs activités afin de produire des uniformes, des textiles et des accessoires pour l’armée. Worth contribua également à l’effort de guerre en transformant son garage de livraison en centre d’ambulances de la Croix Rouge. Les stylistes, les couturiers et les fournisseurs continuèrent d’exercer ce qu’ils savaient le mieux faire : coudre et créer. Les maisons de mode, les ateliers, et les grands magasins étaient transformés en ateliers produisant des bandages, des chemises, des chaussettes destinées aux soldats au front. Un soldat porta une ceinture Hermès sur son uniforme. Il fait aujourd’hui partie de la collection du musée.
D’autres changements ont eu lieu à l’époque. Ont-ils eu un impact sur la société ?
Tous les couturiers français étaient affectés par la guerre, certains de façon plus directe que d’autres. Les couturiers masculins furent enrôlés et durent fermer leur maison de mode, certains dessinèrent leurs collections depuis le front, mais les créatrices continuèrent à mener leurs sociétés imposantes et internationales depuis Paris.
Les périodes de deuil étaient marquées par des règles sociétales complexes autour des couleurs, des tissus et des accessoires convenables. La plus longue période de deuil dura deux ans : une année de deuil profond en noir mat, suivi de neuf mois de deuil en textile noir brillant avec des touches de blanc, puis trois mois de demi-deuil, ou le port de vêtements blancs et de bijoux étaient autorisés. Ce deuil de masse imposé par la guerre accéléra un style épuré dans les pratiques de deuil, et tout signe ostentatoire était perçu comme inapproprié.
Au XIXe siècle, les veuves se retiraient de la société pendant les deuils profonds, une pratique incompatible avec le travail des femmes pendant la guerre. Celles-ci ne prêtaient soit pas attention à ces codes de deuil, soit trop, et étaient accusées d’être de « mauvaises veuves » ou au contraire des « veuves joyeuses » – des épithètes qui masquaient l’anxiété ressentie par les hommes craignant d’être oubliés ou remplacés. Les jeunes veuves étaient particulièrement critiquées : ordonnées de se remarier afin de repeupler le pays, elles étaient vues comme trop « disponibles », comme de trop grandes connaisseuses du sexe.
La Première Guerre mondiale fut une période de transition capitale pour les vêtements d’extérieur et les sous-vêtements. Un mouvement vers une libération du corps féminin hors des couches étouffantes, vers une silhouette plus émancipée. Dès 1911, le terme « brassière » fut adopté par le Oxford English Dictionary. En 1919, des centaines de milliers de femmes actives pendant la guerre, des soignantes et des ouvrières, refusèrent le corset. En soutien aux alliés, des milliers d’entre elles se rendirent à Paris et participèrent à la diffusion de ces sous-vêtements révolutionnaires.
Propos recueillis par Alice Pfeiffer
« Silk and Steel: French Fashion, Women and WWI », du 25 septembre 2020 au 11 avril 2021 au National WWI Museum and Memorial
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