Dans une interview pour Allociné, la journaliste de Mediapart Marine Turchi est revenue sur son enquête concernant les accusations d’Adèle Haenel à l’encontre de Christophe Ruggia, et plus globalement sur le mouvement #MeToo en France.
Dans un article de Mediapart, publié le 3 novembre 2019, la comédienne Adèle Haenel accusait le réalisateur Christophe Ruggia de « harcèlement sexuel » et d' »attouchements » lors du tournage de son deuxième long-métrage, Les Diables, et pendant la période de promotion du film. Des faits présumés qui auraient été commis entre 2001 et 2004, alors qu’elle était âgée de 12 à 15 ans et qu’il avait entre 36 et 39 ans. Pour écrire cet article, la journaliste de Mediapart Marine Turchi a mené une enquête de longue haleine (de sept mois !) et depuis, on peut le dire, elle est devenue l’une des références nationales en matière d’enquête sur les violences sexuelles (à l’image de Ronan Farrow aux Etats-Unis).
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Un an après avoir signé ce papier d’une précision exceptionnelle, Marine Turchi fait le bilan pour Allociné. Quelles ont été les conséquences de notre MeToo, “plus taiseux et plus petit” qu’aux Etats-Unis ? La journaliste cite l’historienne Laure Murat pour résumer la spécificité française : “#MeToo reste, en France, une succession d’affaires, plus qu’un problème systémique qu’on analyse de façon concertée, globale, et dont on tire les conséquences.” Et des affaires, il y en a eu depuis novembre 2019.
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Une prise de parole…
La patineuse artistique Sarah Abitbol a accusé de viol son ex-entraîneur dans un livre, l’éditrice Vanessa Springora a raconté dans un livre, le Consentement, l’emprise de Gabriel Matzneff et leur relation abusive quand elle était mineure… En l’espace d’un an, les témoignages et les accusations se sont multipliés, venant de toutes parts. La prise de parole d’Adèle Haenel a sans aucun doute incité de nombreuses femmes à sortir de l’ombre et “provoqué beaucoup de réactions, de questionnements, de prises de paroles sur le sujet”. Par ailleurs, cette affaire en particulier a profité d’une exceptionnelle mise en lumière :
« Un cap important a été franchi, à savoir la mise en examen de Christophe Ruggia pour ‘agressions sexuelles sur mineur de 15 ans’, le 16 janvier dernier. C’est une étape importante que beaucoup d’affaires de violences sexuelles que je couvre (Luc Besson, Gérald Darmanin, etc.) ne franchissent pas. C’est donc un signal fort. Mais il ne faut pas être dupe du fait que cette affaire a bénéficié d’une attention que toutes n’ont pas : une forte médiatisation, des réactions de plusieurs ministres et de Brigitte Macron.”
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… et un retour de bâton
Bien qu’Emmanuel Macron a déclaré que les violences faites aux femmes étaient la “grande cause du quinquennat”, Marine Turchi rappelle comment il a “nommé un homme accusé de viol au ministère de l’Intérieur (Gérald Darmanin, ndlr), et donc à la tête des services qui sont chargés d’enquêter sur lui” et placé Eric Dupond Moretti au ministère de la justice sans se préoccuper des propos anti-MeToo que ce dernier a pu tenir. Du côté du cinéma, le bilan est tout aussi contrasté. Non seulement Roman Polanski – qui est accusé de viol par plusieurs femmes – a reçu le César du Meilleur réalisateur en 2020, mais il a été reconduit en tant que membre de l’Académie.
“On l’a vu aussi avec les déclarations de plusieurs personnalités du cinéma français après les César, ou, tout récemment, de la réalisatrice Maïwenn : elles montrent à quel point ces questions de violences sexuelles sont incomprises.” Dans la profession, on revendique encore “la liberté artistique, le nécessaire désir du réalisateur pour ses comédiens, le fait que celui-ci doit pouvoir les malmener pour obtenir certaines émotions”. Malgré tout, les mentalités changent. Comme le souligne la journaliste, le CNC vient ainsi de rendre obligatoire une formation contre les violences sexistes et sexuelles à destination des employeurs du cinéma et de l’audiovisuel, laquelle est obligatoire pour obtenir le versement des aides sélectives et automatiques.
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