Un jeu doux et sensible imaginé par Nina Freeman, Jake Jefferies et Ryan Yoshikami.
Sur la plage abandonnée, la journée était déjà bien avancée lorsque nous nous saisîmes du paquet de chips et commençâmes à en répandre le contenu sur Jake. Les chips tombaient, tombaient, et nous ne pouvions les quitter du regard, fascinés. “Nous”, c’est le joueur, mais aussi Nina, personnage qui ressemble énormément à Nina Freeman, jeune game designer américaine en vue et co-créatrice de We Met in May avec son boyfriend Jake Jefferies. We Met in May est leur histoire. Ou, plutôt, une réinterprétation à deux de ses débuts, romanesque et triviale, parcellaire et stylisée, rieuse et saisissante.
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Quatre mini-jeux parfaitement complémentaires
We Met in May, qui se « boucle » en moins d’une heure mais méritera d’être régulièrement revisité, est constitué de quatre mini-jeux possédant chacun son titre, son décor et son mode d’interaction. Dans le premier, Nina emmène pour la première fois Jake chez elle et réalise qu’elle aurait peut-être dû ranger son appartement avant. Devrait-elle faire disparaître en vitesse sa collection de mangas, ce soutien-gorge qui traîne, ou encore son dakinmakura, coussin japonais à décoration érotique et à taille humaine, avant que Jake ne les remarque ? Que va-t-il penser s’il les voit ? Le deuxième chapitre est dédié à leur journée à la plage avec, donc, un paquet de chips, et nous laisse découvrir les règles du jeu tout seul.
Dans le troisième, Nina enfile différents vêtements dans une cabine d’essayage puis, telle une Pretty Woman de l’ère numérique, sort montrer le résultat à celui qui l’attend. Non sans choisir au préalable, comme dans l’un de ces jeux de rôle japonais dont Nina Freeman est friande, « l’attaque » qu’elle va opérer sur lui. “Intensely Lovely Gazing Helix” ou “Amethyst Psychic Charge Beam” ? (Aucune de ces formules ne gagnerait à être traduite.) “Vos tenues ont produit des dégâts massifs”, nous complimentera-t-on à la fin.
Dans le quatrième mini-jeu, Nina hésite sur ce qu’elle va dire à Jake, qui prépare le dîner. Et qui, soudain, se retourne et commence à se trémousser. Nina essaie alors de lui pincer les tétons. Et si la vérité de cet événement apparemment dérisoire et burlesque dépassait celle qui aurait pu se passer vraiment ?
“We Met in May” est léger, doux, pop et aérien
En matière de jeux autobiographiques et/ou expérimentaux, Nina Freeman n’en est pas à son coup d’essai. En 2014, elle évoquait par exemple la découverte de la sexualité féminine à travers la manipulation de poupées par une petite fille dans How Do You Do It. Deux ans plus tard, l’impressionnant Cibele nous mettait à sa place (littéralement : installé devant son ordinateur) pour faire la connaissance d’un garçon par l’intermédiaire d’un jeu en ligne.
Sur son site web Nina Says So, une bonne quinzaine de jeux – pour certains très courts et minimalistes, mais toujours inspirés et audacieux et conçus, pour les plus récents, parallèlement à son travail sur des productions plus établies comme le jeu de SF indé Tacoma – sont ainsi référencés.
L’idée générale, dont le plus étonnant est qu’elle ne soit pas davantage partagée, est que le médium vidéoludique se prête à merveille au partage d’expériences, de sensations et d’idées pour la bonne et simple raison que, sa grande affaire étant la création de dispositifs interactifs, il permet en théorie de mettre le joueur dans à peu près n’importe quelle situation (littérale ou métaphorique).
Ils sont cependant de plus en plus nombreux à s’engager dans cette voie, dont l’exemple à la fois le plus récent et le plus déchirant est sans doute le superbe Lie in My Heart de l’enseignant et chercheur français Sébastien Genvo, qui nous confronte dans son « rôle » à lui au suicide de la mère de son fils.
We Met in May est évidemment beaucoup plus léger et doux, plus pop et aérien. C’est la célébration joueuse et plus profonde qu’il n’y paraît d’une rencontre à laquelle le joueur est invité à participer. Sur la plage abandonnée, on a lâché le paquet de chips, balancé le téléphone, arrosé Jake de sable et vidé la bouteille de vin. Et puis, soudain, nos yeux ne se sont plus quittés. C’était bien.
We Met in May, de Nina Freeman, Jake Jefferies et Ryan Yoshikami, sur Mac et PC (Windows), 3,99 €
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