Co-réalisateur des excellents “Life is Strange” 1 et 2 (et par ailleurs co-fondateur du studio d’animation Capsule), Raoul Barbet est aussi un grand admirateur des productions de Rockstar Games et plus particulièrement de “Red Dead Redemption”. Il explique pour les Inrocks ce qu’il aime dans ces jeux et dresse un parallèle avec sa propre vision de la création vidéoludique (et de son rapport au monde réel).
Quel regard portez-vous, en tant que développeur et que joueur, sur les jeux de Rockstar Games et sur Red Dead Redemption en particulier ?
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Raoul Barbet – Les jeux de Rockstar sont vraiment au dessus de la moyenne dans la catégorie des jeux “open world“. Ils ont une culture cinématographique et une technique narrative incroyable alors qu’ils créent des univers dans lequel le joueur est complètement libre. C’est un tour de force impressionnant. En tant que joueur, prendre du plaisir juste en ralentissant son cheval et en regardant le monde autour de soi est unique. Je me souviens de ces moments comme si j’y étais allé moi-même et avait décidé de prendre mon temps. Red Dead Redemption est une expérience inoubliable, je crois que c’est un des rares jeux que j’ai fait deux fois.
Beaucoup de studios se mordent les doigts à essayer de reproduire cette formule, en sacrifiant sur le gameplay, le réalisme ou l’histoire. Chez Rockstar tout semble fonctionner parfaitement. GTA V reste pour moi une des meilleures œuvres sur les Etats-Unis tous médias confondus. Elle a ce cynisme et cet humour propres aux jeux de Rockstar, qui dénoncent sans se montrer moralisateurs. Savoir que des milliards de joueurs ont été mis dans ces situations et ont porté un jugement sur cette histoire, je trouve ça génial.
Le premier épisode de votre nouveau jeu, Life is Strange 2, amorce un virage “politique”, avec la prise en compte de ce qui a changé aux Etats-Unis avec l’élection de Donald Trump. Quelle est à vos yeux la meilleure façon d’aborder ce genre de sujets contemporains clivants, qui apparaissent aussi chez Rockstar, dans un jeu vidéo ?
J’ai du mal à comprendre la réaction de certains joueurs : “Nous ne voulons pas de politique dans les jeux !” Comme si créer un Call of Duty du point de vue américain n’était pas politique… Alors oui, certains soirs, on préfère regarder un film de super-héros qu’un documentaire mais il faut les deux. Lorsque l’on raconte une histoire comme Red Dead Redemption ou GTA, on parle de sujets de société, de l’histoire humaine. C’est naturellement que certains thèmes s’immiscent dans le scénario, qui en devient politique. Et évidemment qu’en tant que créateur, il y des sujets dont on a envie de parler.
Pour Life is Strange 2, le racisme ordinaire, les violences, ce n’est pas propre aux Etats-Unis, c’est juste que notre histoire s’y déroule et que l’on en parle. Mais les problèmes d’adolescents du premier Life is Strange ont aussi touché des ados du monde entier, c’est cela qui est intéressant. Pour ce qui est de la manière d’aborder ce genre de thèmes, je n’ai pas la formule idéale, mais ce que l’on essaye de faire en général, c’est de ne pas dire ce qui est bien ou mal, mais plutôt de mettre le joueur dans une situation où il va devoir y réfléchir et interagir. C’est toute la force du media : l’interactivité. Beaucoup de scènes de Life is Strange ont marqué les gens car ils se sentaient responsables de ce qui se passait, contrairement par exemple à un film où l’on reste plus passif.
Étrangement, Red Dead Redemption 2 possède un certain nombre de points communs avec Life is Strange 2 : un rapport à l’espace américain, à l’histoire des Etats-Unis, une idée du voyage… Est-ce que, pour vous, le rapprochement entre les deux jeux a du sens ?
Merci de la comparaison, mais je ne pense pas que l’on joue dans la même cour… Personnellement j’ai très envie de jouer à Red Dead Redemption 2 en effet pour toutes ces raisons mais surtout pour profiter de l’expérience sans trop faire de veille technique.
A son modeste niveau, j’espère que Life is Strange 2 donnera ce sentiment que l’on peut avoir lorsque l’on voyage dans un pays comme les Etats-Unis : ces grands espaces, la petitesse de l’humain dans ces contrées et la dureté de la vie sauvage. Red Dead Redemption, par son époque et son histoire est au cœur de cela. L’origine de l’histoire des Etats-Unis et la conquête de l’Ouest amènent tellement de problématiques humaines, toujours d’actualité… C’est unique de pouvoir jouer cette période et d’y faire des choix.
Lorsque nous avons commencé à travailler sur Life is Strange 2 avec l’équipe du premier et notamment Michel Koch et Jean-Luc Cano, co-réalisateur et scénariste, nous voulions parler de thèmes que l’on trouvait importants comme l’éducation mais aussi de ce que signifie vivre “en marge”, différemment. C’est, j’espère, quelque chose qui fera réfléchir les joueurs. Cette personne que je croise, qui vit dans la rue ou qui a décidé de faire partie d’une communauté différente, est ce que je n’aurais pas pu être à sa place ? Et donc la considérer différemment.
Propos recueillis par Erwan Higuinen
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