Sur un pitch à la Black Mirror, une bluette nostalgique à la fantasmatique glauque.
Deux ans après son coup d’essai (Monsieur & Madame Adelman), Nicolas Bedos revient à la réalisation. Qu’est-ce qui a changé ? Il ne joue plus. Quoi d’autre ? Pas grand chose : La Belle Epoque convoque à peu près le même imaginaire clinquant et surproduit, et la même tentation à peine dissimulée de s’ériger à soi-même une statue.
Sélectionné hors compétition à Cannes, le film est une bouillasse sur la nostalgie, le bonheur enfui et l’amour fané dans lequel Daniel Auteuil, mari éteint, se voit proposer de revivre ses 25 ans et la rencontre de sa femme. La recette de ce miracle : Time Travellers, une étrange société de mises en scène IRL d’époques reconstituées.
L’occasion d’entonner une rengaine qu’on connaît bien : celle du bon vieux temps que le cinéma seul peut reconquérir (Bedos n’y va pas de main morte, en commençant son film par une diatribe anti-nouvelles technologies du niveau d’une version Chérie 25 de Black Mirror), grâce à son affranchissement des limites du réel, son kaléidoscope de souvenirs, ses armées de décorateurs et sa capacité miraculeuse à filmer des brasseries seventies éclairées en jaune Suze.
Mais si cette moitié-ci du récit a eu de quoi nous faire un peu tourner de l’œil, la deuxième nous réservait carrément de violents haut-le-cœur – soit l’autoportrait de Bedos dans la peau du metteur en scène (joué par Guillaume Canet), rêve mégalomane à peine dissimulé par une autodérision de bon aloi (“Tu te prends pour Dieu ? – Je suis scénariste”), et dont les actions laissent transparaître un fantasme glauque : prostituer sa femme.
Doria Tillier joue ainsi l’actrice fétiche de Time Travellers, mais aussi l’amante et muse du metteur en scène, qui lui offre le rôle de la femme d’Auteuil façon girlfriend experience, jouissant à la fois de l’offrir à un autre, de lui vociférer ses ordres à l’oreillette et de la mater derrière des miroirs sans tain.
Une odieuse scène d’engueulade baisée (je te hais mais peut-être pas tant : je te laisse m’enculer…) et 354 références à la pipe plus tard, le diagnostic est clair : Bedos aime le pouvoir, et notamment sur les femmes, et notamment lorsqu’elles le sucent. Qu’il ne compte pas sur nous.
La Belle Epoque de Nicolas Bedos, avec Guillaume Canet, Daniel Auteuil, Doria Tillier (Fr., 2019, 1 h 55)