Groupe séminal, se réinventant continûment depuis près de quarante ans, le groupe de Michael Gira publie un splendide quinzième album studio.
A rebours des tristes fonctionnaires du rock répétant ad libitum la même formule, Swans, apparu à New York au début des années 1980, a développé une identité foncièrement évolutive à travers près de quatre décennies d’existence. Après une première période pleine de bruit et de fureur, dans la mouvance de la no wave, du post-punk et de l’indus, le groupe s’est orienté à partir de l’album Children of God (1987) vers une musique moins chaotique, mais non moins remuante, fondée sur un songwriting plus classique.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Oscillant plus ou moins intensément entre néofolk gothique, post-rock et post-punk, dans une sphère proche de The Birthday Party ou Current 93, cette deuxième période – dont The Great Annihilator (1995) constitue l’acmé – s’est achevée en 1996 avec Soundtracks for the Blind, double lp très expérimental et provisoire chant du cygne. Swans va entrer ensuite en pause longue durée jusqu’à la réactivation du groupe en 2010 avec My Father Will Guide Me Up a Rope to the Sky, superbe disque à la fois majestueux et aventureux.
Tel le phénix, Swans renaît sous une autre forme
Dans la même veine, ô combien ardente, trois albums fleuves (chacun autour de deux heures) vont lui succéder : The Seer (2012), To Be Kind (2014) et The Glowing Man (2016) – ce dernier faisant figure d’éblouissante apothéose. Au fil de ce parcours, Swans a connu pas mal de remaniements internes, le seul élément stable étant son meneur, le chanteur et guitariste Michael Gira, gaillard à la stature aussi imposante que la voix.
“Je ne porte aucun regard sur notre parcours, ça ne m’intéresse pas vraiment, déclare Michael Gira. Je suis content que des gens puissent trouver du sens, de l’authenticité dans les disques des Swans, en retirent une forme de satisfaction mais, quant à moi, je continue simplement de travailler et de chercher à créer des morceaux susceptibles d’exaucer tous mes désirs en matière de musique.”
“Le moment me semblait venu de tendre vers autre chose” Michael Gira
A la sortie de The Glowing Man, Michael Gira a annoncé qu’il avait décidé de dissoudre la formation avec laquelle ont été conçus les quatre albums sortis entre 2010 et 2016. “Nous avons travaillé tous ensemble pendant sept ans, bien plus de deux cents jours par an, toujours en présence les uns des autres, explique aujourd’hui Michael Gira. D’un point de vue musical, cette période a été la plus satisfaisante de ma vie jusqu’à présent, mais je crois que nous étions arrivés au bout – comme si nous avions répondu à toutes les questions possibles entre nous.”
“Le moment me semblait venu de tendre vers autre chose. En tant qu’auteur-compositeur et producteur de Swans, j’ai décidé d’aller de l’avant en réunissant autour de moi des personnes dont j’apprécie la compagnie et dont j’admire les talents musicaux. Pour moi, Swans n’est plus un groupe au sens classique du terme, mais une conjonction de personnes choisies spécifiquement pour chaque morceau. Cela induit une façon de travailler totalement différente.”
Parmi les invités de marque, les faramineux The Necks
Enregistré sur une période de six mois, principalement à Berlin, leaving meaning. a ainsi été réalisé avec un large aréopage de musiciens. On y distingue plusieurs invité.e.s de marque, à commencer par The Necks, faramineux trio australien de post-jazz qui déploie ses sortilèges sonores sur la chanson-titre et The Nub, deux des pics de l’album.
“J’ai vu le groupe en concert pour la première fois en 2009 et j’ai trouvé ça phénoménal, raconte Michael Gira. Une expérience fantastique. Quand j’ai relancé Swans en 2010, nous avons fait deux concerts en Australie et je leur ai proposé de nous accompagner sur ces deux concerts. De nouveau, j’ai été impressionné, transporté par leur musique. Suite à cela, nous sommes restés en contact. Je rêvais de les faire jouer sur ce nouvel album de Swans.”
Ben Frost, les sœurs Anna et Maria von Hausswolff (dont les chœurs célestes s’élèvent sur trois titres), la chanteuse Baby Dee (fidèle compagne de route) ainsi que Jeremy Barnes et Heather Trost (du duo A Hawk and a Hacksaw) comptent parmi les autres contributeurs majeurs de Leaving Meaning. S’il n’atteint peut-être pas tout à fait l’éclat de The Glowing Man, l’album se hisse tout de même à une altitude élevée – très au-dessus de la moyenne – et semble trouver un équilibre idéal entre classicisme et avant-gardisme.
“L’essentiel est toujours là : aller vers ailleurs.”
S’écoulant sur une heure et demie, il démarre avec un court instrumental, suivi de onze chansons panoramiques (entre cinq et douze minutes), accidentées et tourmentées. Portées par la voix si puissante et expressive de Michael Gira, ces chansons sonnent pour la plupart comme de noires et vibrantes incantations, d’incandescentes prières païennes, jaillissant d’insondables profondeurs.
“Quand la musique entre en résonance intime avec quelqu’un, il s’agit assurément d’une expérience spirituelle, avance Michael Gira. En concert, particulièrement depuis 2010, il m’est arrivé de sentir une sorte de conscience universelle au-dessus de nous : ce n’est pas nous qui jouions la musique mais quelque chose de beaucoup plus grand que nous.” Réputé pour ses performances scéniques de grande amplitude (temporelle et sonore), le groupe sera en tournée eu Europe au printemps 2020, Michael Gira étant pour l’occasion accompagné de cinq partenaires – tous jouant assis sur scène.
“Le live et le studio sont deux expériences totalement différentes, presque deux univers parallèles, observe Michael Gira. En concert, la musique enregistrée est un point de départ pour tenter de trouver une vérité dans le son des gens réunis pour jouer ensemble. Idéalement, ça doit nous emmener ailleurs. L’essentiel est toujours là : aller vers ailleurs.”
Album leaving meaning. (Young God Records/Mute/PIAS)
Concerts Le 15 mai 2020, Belfort (Poudrière), le 19 mai 2020, Paris (Trabendo)
{"type":"Banniere-Basse"}