Déchirée entre ses différentes communautés, la province britannique peine à échapper à l’héritage de la guerre civile (1968-1998). Ainsi, le Brexit réveille la crainte de nouvelles tensions tout en mettant en avant une paix encore fragile.
18 avril 2019. Lyra McKee, journaliste nord-irlandaise de 29 ans, est tuée accidentellement à Derry-Londonderry. Le responsable ? Un membre de la Nouvelle IRA, un groupe paramilitaire actif en Irlande du Nord. Sur la période d’octobre 2018 à septembre 2019, trois personnes sont mortes à la suite d’une attaque terroriste dans la province britannique. Soit le triple comparé à l’année précédente, rapporte le quotidien Belfast Telegraph.
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Ces événements tragiques sont le fruit des tensions qui ont agité les différentes communautés de la province. En remettant la frontière irlandaise au cœur du débat, le Brexit accentue les clivages. En effet, il y a ceux qui se sentent Européens et proches de leur voisine irlandaise contre les autres, qui souhaitent rester à tout prix dans le giron britannique.
Mi-octobre 2019, un autre groupe paramilitaire (l’UVF) se dit prêt à organiser des protestations si l’accord du Brexit ne protège pas leurs intérêts. Alors le Brexit peut-il raviver d’anciennes divergences ? “Il peut encourager d’éventuelles tensions. Nous sommes dans une période transitoire et nombre de personnes restent traumatisées par le conflit”, explique Katy Radford, membre de l‘Institute for Conflict Research.
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Des murs comme “lignes de paix”
Entre 1968 et 1998, l’Irlande du Nord est le théâtre d’un conflit opposant les catholiques républicains – en faveur d’une Irlande unifiée – et les protestants unionistes très attachés au Royaume-Uni. Le conflit tue 3.500 personnes. Vingt ans après l’accord du Vendredi Saint (1998) qui met fin aux Troubles, les Nord-Irlandais commémorent une paix fragile. “Nous avons perdu beaucoup de temps à regarder en arrière, il est temps d’aller de l’avant”, poursuit Katy Radford. Mais pourquoi est-ce si compliqué de gérer ce passé commun ? L’une des raisons est la ségrégation, toujours effective en Irlande du Nord.
“Le système scolaire est très ségrégué, il existe très peu d’établissements qui mélangent les deux communautés”, déclare Katy Radford avant d’ajouter : “Selon l’école où l’enfant étudie, il entendra une certaine version de l’histoire”. A Belfast, on sépare les quartiers catholiques et protestants par des murs – appelés “lignes de paix”. Il s’agit d’une série de barrières de séparations construites pour limiter les violences entre ces deux communautés. “Il n’est pas rare de rencontrer des gens qui n’ont pas échangé avec un membre de l’autre camp depuis des décennies”, explique Joe O’Donnell, membre du Belfast Interface Project, association fondée en 1995 dont l’objectif est de créer des ponts entre les deux communautés.
Mais les Nord-Irlandais souhaitent-ils vraiment vivre ensemble ? “Quand on leur suggère de retirer des murs, ils s’interrogent : ma famille va-t-elle être en sécurité ? Un service de police va-t-il être mis en place ?”, raconte Joe O’Donnell qui habite lui-même dans un quartier délimité par ces murs. Selon le Belfastois, le manque de moyen explique aussi pourquoi les Nord-Irlandais ne parviennent pas à aller de l’avant. En effet, la situation politique et économique de la province ralentit le processus de paix. “Le parlement de Stormont, chargé des affaires internes, n’a pas réussi à former un gouvernement depuis janvier 2017”, soupire Joe O’Donnell.
Créer une Irlande unifiée
Sur le plan politique, les Nord-Irlandais préfèrent rester fidèles aux partis les plus identitaires. Selon le quotidien The Irish Times, 75 % de la population votent soit pour le Sinn Féin (républicain) ou le DUP (unioniste), des formations politiques déjà présentes lors des Troubles. Selon David Mitchell, professeur à Trinity College, les Nord-Irlandais se retrouvent en quelque sorte piégés dans le passé. “Chaque camp détient sa propre version de l’histoire et tente de prouver sa légitimité dans ce conflit”, déclare le spécialiste.
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Si les relations semblent gelées entre les deux communautés, c’est parce que l’accord du Vendredi Saint ne met pas un point final aux divisions. “Nous connaissons toujours beaucoup de désaccords sur ce qui a été fait pendant le conflit. Surtout, le statut constitutionnel de l’Irlande peut changer à tout moment”, signifie David Mitchell. Par ces mots, le chercheur évoque le droit des Nord-Irlandais – si la majorité le souhaite – d’organiser un référendum pour créer une Irlande unifiée. “La population pense toujours qu’elle doit se battre pour ou contre cette idée”, ajoute le spécialiste.
Pendant les Troubles, le conflit absorbe une grande partie des Nord-Irlandais. “On dénombre au total 500.000 victimes. Or la population ne compte qu’1,5 million de personnes. La part de Nord-Irlandais concernée est énorme”, ajoute le spécialiste. A l’époque, le point le plus chaud du conflit se situe au niveau de la frontière irlandaise, surveillée par une flopée de douaniers. Avec le Brexit, c’est un nouveau mur qui menace de s’ériger.
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