Avec un Vincent Lindon solide comme un roc sur lequel s’appuyer, le cinéaste s’intéresse surtout au travail sisyphien du sculpteur et à sa relation aux femmes. Un beau biopic.
Tout commence par un plan saisissant. Rodin est cadré de dos, face à l’immense panneau de plâtre en chantier qui deviendra La Porte de l’enfer. Tout le film est déjà là : le face-à-face de l’artiste avec son œuvre, la dimension charnelle, la sculpture comme un sport de combat.
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Faire un biopic sans tomber dans l’imagerie pieuse ou le récit édifiant n’est pas chose aisée et Jacques Doillon a eu la bonne intuition de faire des choix. Se limiter à une période donnée (le Rodin d’après 40 ans et sa première commande officielle), zapper ou passer rapidement sur certaines œuvres archiconnues (Le Penseur, Les Bourgeois de Calais…) pour se focaliser sur Balzac, statue monumentale (corps drapé monolithique, tête hallucinée…), dont l’histoire fut une saga, entre multiples ébauches, retards de livraison, scandales, long purgatoire, réhabilitation et point de bascule vers la sculpture moderne.
Doillon a aussi choisi le travail. Le plus souvent filmé dans son atelier, son Rodin a la carrure dense, le regard intense et sévère, les mains robustes et l’intériorité puissante de Vincent Lindon. L’acteur et le cinéaste composent à deux un artiste habité, concentré, toujours en recherche, aux aguets, l’esprit et le corps tout entiers tournés vers l’œuvre à accoucher, à peaufiner, à reprendre, dans une éternelle quête sisyphienne. Cette obsession du travail laisse peu de place à la vie intime mais Doillon, cinéaste du rapport amoureux, filme aussi les femmes de Rodin : Rose, l’épouse austère, terrienne, quasi statuaire, incarnée par une impressionnante Séverine Caneele, à rebours de l’image que l’on avait gardé d’elle dans L’Humanité (Bruno Dumont, 1999) ; et Camille Claudel, l’assistante amante puis concurrente, jouée par la vivace Izia Higelin. La relation Rodin-Claudel, c’est la promesse de mariage toujours repoussée par lui, le tressage explosif entre leur amour et leur condition de sculpteurs dans un univers sous domination masculine…
Doillon filme cela, mais presque calmement, sans pathos. La mise en scène ne se départit jamais de sa fluidité, de sa précision, et d’un certain flegme, bien épaulée par les lumières et les travellings élégants de Christophe Beaucarne. Les tensions entre le travail et la vie affective, entre la recherche inlassable et le résultat incertain, entre la solitude de l’artiste et les idées dominantes de son époque, sont au cœur de ce film et tracent le lien en miroirs successifs entre Balzac et Rodin, Rodin et Doillon, Doillon et Lindon… De l’un à l’autre, de l’écriture à la sculpture puis au cinéma, le même beau travail parfois écrasant (le premier plan du film) qui consiste à incarner l’idée, à faire advenir l’œuvre.
Rodin de Jacques Doillon (Fr., 2017, 1 h 59)
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