Longtemps marginale, l’édition de livres sur les jeux vidéo a le vent en poupe. Parmi les nombreuses sorties de ces derniers mois, voici sept ouvrages qui nous entraînent du Japon (mythique ou contemporain) à la France, terre de magazines de jeu vidéo.
A une époque pas si lointaine, la parution d’un livre, n’importe quel livre, ayant pour sujet le jeu vidéo faisait figure d’événement. Les ouvrages étaient rares, précieux, et pas toujours faciles à trouver sur les étagères des libraires qui ne savaient pas vraiment où les ranger – avec l’informatique, le cinéma ou les jeux et loisirs ?
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Mais les temps ont bien changé et les livres de tous types (essais critiques, travaux historiques, inventaires nostalgiques…) se ramassent désormais à la pelle. Au point que, pour établir cette petite sélection, il a fallu faire des choix parmi une bonne quinzaine d’ouvrages parus au cours des derniers mois. Une partie de l’explication de ce bouleversement figure d’ailleurs dans l’un des plus récents…
Magazines disparus
Il s’appelle Presse Start, sous-titré « 40 ans de magazines de jeux vidéo en France ». Sous la couverture en forme de collage de Unes bariolées se cache une vue impressionnante de cet objet étrange, et aujourd’hui plus ou moins en voie de disparition, qu’est le magazine français sur le jeu vidéo.
Nourri d’une multitude de témoignages en plus d’un travail de recherche rigoureux, l’ouvrage d’Yves Breem et Boris Krywicki dévoile une histoire en plusieurs temps dont chacun semble s’opposer au précédent. Au commencement était Tilt, mensuel lancé en 1982 et qui, avec son approche sérieuse et ses dossiers de fond, avait pour particularité d’être un magazine déjà adulte sur un mode d’expression encore loin de l’être.
Puis vint, en réaction au travail de ces « journalistes qui écrivent très bien, mais qui ne connaissent pas grand-chose aux jeux » (dixit AHL, une figure de la période suivante), le temps de la « passion ». Le mot revient avec une fréquence presque embarrassante dans certains récits de rédacteurs « stars » des magazines ayant émergé dans les années 1990 comme Player One ou Console+. Une époque assez folle où des gamins – dont ni le style ni la capacité d’analyse n’étaient globalement les points forts – gagnaient des fortunes en empilant les piges et en s’adressant à des lecteurs à peine plus jeunes qu’eux comme à des potes de lycée. Et que, citant le philosophe Mathieu Triclot, Presse Start compare aux « YouTubeurs d’aujourd’hui ».
A cet « âge d’or », au moins commercial, qui vit les magazines de jeu vidéo se multiplier jusqu’à atteindre le nombre faramineux de 37 en 2000, succéda une période beaucoup plus délicate et finalement meurtrière sur fond de concurrence croissante d’Internet malgré l’émergence de publications très estimables comme JV ou Canard PC. Sans parler des mooks et revues diverses, dont l’inusable Pix’n Love qui vient de fêter ses 13 ans et qui, vendu en librairie, évite bien des inconvénients de la vente en kiosque (distribution, invendus, prix psychologique…)
De là à en déduire que les livres sur le jeu vidéo ont pris le relais des magazines disparus, il n’y aurait qu’un (tout petit) pas.
Univers et machines
Basée à Toulouse, Third Editions est l’une des maisons les plus actives dans le domaine, avec une spécialité : l’expertise sur un jeu ou une série. Paru cet automne, La Saga Yakuza de Victor Moisan est un bon exemple de ce que cette approche peut donner de meilleur. Fin spécialiste du jeu vidéo japonais, l’auteur montre bien ce que l’œuvre pensée par Toshihiro Nagoshi et riche de huit épisodes (sans compter les remakes et les spin-offs) a de singulier. Au fil de l’ouvrage, il se penche à la fois sur la personnalité de ses créateurs, sur ses influences vidéoludiques (Shenmue, Jet Set Radio) et cinématographiques (de Kinji Fukasaku à Takashi Miike, qui a lui-même mis en scène l’adaptation en film de Yakuza), l’histoire de la mafia japonaise mais, aussi, le contexte dans lequel est sorti chaque jeu.
L’une de ses grandes idées : cette série remarquable pour son « alliage entre la tradition du J-RPG et l’attrait local pour les simulations du quotidien » et qui s’inspire de GTA pour en livrer une sorte de « rectificatif » (pour son « respect de la réalité » et son univers moins étendu mais plus dense) sont aussi des documents sur leur époque et, donc, sur les évolutions du Japon entre 2005 et aujourd’hui. Moisan livre aussi une analyse intrigante du nouveau Yakuza : Like a Dragon, qui sort chez nous le 10 novembre et marque un vrai virage pour la saga.
C’est aussi chez Third Editions que paraît Le Système solaire de Sega d’Aurélien Thévenot qui, lui, se concentre sur un autre aspect du jeu vidéo : la fascination pour ses machines. Et même, en l’occurence, pour celles qui soit n’ont pas rencontré le succès espéré, soit en sont restées au stade de projets abandonnés avant leur commercialisation. Le prétexte, ici, est l’utilisation par Sega de noms de planètes comme appellations provisoires (ou définitive, dans le cas de la Saturn) pour un certain nombre de ses consoles ou de modules d’extension destinés à ces dernières. Drôle de livre qui tient à la fois de l’enquête vaguement gaguesque sur ce mystérieux « système solaire » de Sega et une déclaration d’amour à ce constructeur qui fut régulièrement en avance sur son temps (quand il n’était pas simplement à côté de la plaque). On aime assez.
Les machines à jouer sont également bien représentées dans Générations Jeux vidéo (au pluriel : c’est essentiel) du toujours très informé et rigoureux Régis Monterrin, mais aussi les jeux et un certain nombre de concepteurs pionniers de machines à jouer. On est ici dans le domaine du précis d’histoire vidéoludique grand-public mais, disons, upgradé. Les étapes sont à peu près les mêmes (sauf qu’on démarré avec Willy Higinbotham en 1958 plutôt qu’en 1972 avec Pong), mais tout est plus précis et creusé que dans les autres ouvrages du genre. Une deuxième partie se penche sur un certain nombre de machines qui ont marqué leur époque (et parfois au-delà), de l’Atari 2600 à la Xbox One en passant par la GameBoy, la Dreamcast ou l’Amiga avec, à chaque fois une sélection (forcément discutable) de jeux clés. Avant de creuser éventuellement tel ou tel sujet dans des ouvrages plus spécialisés, c’est une lecture tout à fait conseillée.
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Beaux livres
Parmi les publications sur les jeux vidéo, un autre type d’ouvrage bénéficie d’une belle cote : l’art book réunissant toute une série de documents sur une œuvre, des croquis et documents préparatoires aux captures d’écran soignées, et plus si affinités. Chez Kudokawa, on peut par exemple trouver un Street Fighter Mémorial Archive assez spectaculaire qui, en complément de multiples entretiens et d’une partie aux allures de base de données sur Street Fighter, met à l’honneur les illustrations réalisées par de nombreux dessinateurs étrangers à la série pour l’épisode Street Fighter V Arcade. « L’atout majeur des jeux Capcom depuis toujours, c’est leur design très axé sur le dessin », explique le mangaka Mine Yoshizaki.
Paru chez Mana Books, qui excelle dans le registre de l’art book vidéoludique et vient notamment d’en consacrer un à World of Warcraft et à Overwatch, celui dédié au superbement cruel Sekiro : Shadows Die Twice est une autre preuve que ce qui donne de la valeur à un jeu, ce n’est pas seulement ses interactions et ce qu’il nous amène à faire mais, aussi, son esthétique, son monde. Et, dans l’œuvre exigeante de Hidetaka Miyazaki (Dark Souls, Bloodborne), le médiéval-fantastique Sekiro est bien, plastiquement, un jeu à part. Par ailleurs, les superbes pages de cet ouvrage pourraient combler quelques frustrations de celles et ceux qui, confrontés à la difficulté légendaire de Sekiro, regretteraient amèrement de ne pas profiter autant qu’espéré de ses décors et paysages d’une grande beauté. Sur papier glacé, ça fait moins mal.
Paru au début de l’été, Dans le cerveau du gamer de Celia Hodent est un livre assez différent des autres présents de ce panorama. Il s’adresse d’abord aux développeurs à qui l’autrice entend donner des clés en appliquant un savoir issu des neurosciences à ce que l’on appelle « l’expérience utilisateur », ou UX. Le livre mérite d’être lu même si l’on n’envisage pas de créer un jeu soi-même. Il peut conduire à voir autrement certains jeux aimés ou non et à se regarder soi-même différemment en tant que gamer. On retient tout particulièrement la manière dont Celia Hodent évacue certaines idées reçues et notamment celle selon laquelle ses outils risqueraient d’avoir pour conséquence une certaine standardisation des jeux alors qu’elle milite plutôt pour leur « cohérence » au regard des intentions de leurs auteurs. A l’ère des free-to-play et des achats intégrés, son plaidoyer pour l’éthique et contre les « dark patterns », là où certains de ses concepts pourraient être mal exploités, mériterait aussi de trouver un large écho.
Presse Start : 40 ans de magazines de jeux vidéo en France de Boris Krywicki et Yves Breem (Omaké Books), 404 p., 24,90€
La Saga Yakuza – Jeu vidéo japonais au présent de Victor Moisan (Third Editions), 328 p., 29,90€
Le Système solaire de Sega – Vers la Saturn et au-delà d’Aurélien Thévenot (Third Editions), 248 p., 24,90€
Générations Jeux Vidéo de Régis Monterrin (GM Editions), 288 p., 29,90€
Street Fighter Memorial Archive – Beyond the World (Kudokawa), 264 p., 39,90€
Sekiro : Shadows Die Twice – Official Artworks (Mana Books), 304 p., 29,90€
Dans le cerveau du gamer – Neurosciences et UX dans la conception de jeux vidéo de Celia Hodent (Dunod), 304 p., 32€
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