Après sept ans sans album studio, l’infatigable et iconoclaste Pascal Comelade poursuit sa route, entre muzak ébouriffante et descentes chromatiques. Du “cut-up populaire”, comme il le résume fort à propos avec son accent catalan.
Comme à chaque nouvel album de Pascal Comelade, il y a un plaisir manifeste à en lire, parfois même à haute voix, les titres, où le natif de l’Hérault, en fils spirituel d’Alphonse Allais et d’Alfred Jarry, explore le champ lexical avec son imagination débordante sinon légendaire : “Je considère que les titres sont des compléments à la musique instrumentale, en persistant à croire que cette musique-là n’est pas destinée à l’image.”
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Sur Le Cut-Up populaire, on trouve ainsi des plages instrumentales intitulées Les radis contiennent du radium, L’Horizon perdu du cornet à gidouille, Stigmates de la ligne crâde ou Don’t Touch My Blue Öyster Shoes, un classique du répertoire comeladien édité sur l’immense Psicòtic Music’ Hall (2002) et aujourd’hui revisité avec Lionel et Marie Limiñana, ses partenaires de jeu catalans depuis leur commun Traité de guitarres triolectiques (à l’usage des portugaises ensablées) il y a cinq ans.
Un album mûrement pensé et agencé depuis quatre ans
De telle sorte que l’intitulé du Cut-Up populaire résume bien l’improbable architecture sonore d’un disque attendu depuis El Pianista del Antifaz (2013), qui préfigurait ce successeur construit autour de “la musique répétitive, d’interventions de guitaristes électriques et de la batterie”.
Un album mûrement pensé et agencé depuis quatre ans, une éternité pour un compositeur habitué à l’enregistrement spontané, irréfléchi. “Depuis 2015, j’ai arrêté les concerts avec le Bel Canto Orquestra, mais j’ai développé depuis le concept du rififi, qui a pris des proportions assez spectaculaires avec six guitaristes, un bassiste, un claviériste et un batteur, en dirigeant l’ensemble et en jouant les plus grands riffs de l’histoire du rock sans les développements.”
Avec les décennies passant depuis l’inaugural Fluence (1974), on a appris à ne plus compter les chapitres discographiques du sexagénaire Pascal Comelade, mais on ne s’est jamais détourné de son ressort inventif, de ses explorations musicales et de ses partenaires historiques, tel son guitariste Richard Pinhas ou le batteur Samy Surfer l’accompagnant depuis 1985.
De Traffic d’abstraction (1993) à El Pianista del Antifaz (2013), de L’Argot du bruit (1998) à Psicòtic Music’ Hall (2002) – quatre albums majeurs qui aboutissent inconsciemment au Cut-Up populaire selon son auteur, toujours aussi sincère, affable, franc et hésitant quand il parle, cherchant le mot juste, le verbe précis –, Pascal Comelade tisse un fil d’Ariane qui en fait l’un des musiciens hexagonaux les plus inclassables, entêtés et iconoclastes depuis bientôt un demi-siècle.
Jamais remis du choc de la musique répétitive américaine
A peine rassasié par sa fameuse anthologie Rocanrolorama 1974-2016, il continue à creuser le sillon d’une musique minimaliste, aux confins de la muzak dégénérée et de l’avant-garde décomplexée. “Il est hors de question d’utiliser des verbes comme progresser ou évoluer, mais dans ma discographie il y a en filigrane quelque chose qui est toujours pareil, entre la manière d’utiliser les instruments, de les jouer et d’être avec les musiciens qui collaborent avec moi.
“Si je devais, de façon très prétentieuse, dresser un parallèle avec d’autres artistes, je rapprocherais mon parcours de celui des Cramps, dont on peut également avoir l’impression qu’ils ont enregistré le même disque toute leur vie. Or, ce n’est qu’une illusion d’optique.”
Jamais remis du choc primal de la musique répétitive américaine en général et de La Monte Young en particulier (Flip Side of Sophism en est un hommage à peine caché sur Le Cut-Up populaire), Pascal Comelade a le goût depuis toujours d’intervenir dans les groupes des autres sans jamais caresser l’envie d’en faire partie, cultivant sa libre singularité depuis sa ville catalane de Céret (Pyrénées-Orientales).
“A soixante-cinq balais, tout est encore possible”
“Tu connais la phrase de Groucho Marx ? ‘Jamais je ne voudrais faire partie d’un club qui accepterait de m’avoir pour membre.’ Dans toutes mes collaborations artistiques, les atomes crochus sont souvent extra-musicaux. La part d’humanité dépasse toute idée de solfège. C’est certainement cette alchimie qu’on perçoit en écoutant mes disques”, lâche-t-il à l’autre bout du téléphone. Avant de préciser sa pensée. “Quand j’étais petit, je lisais Hara-Kiri plutôt que Salut les copains. Partant de là, je n’ai jamais envisagé la musique comme un touriste. C’est un résumé lapidaire qui est suffisamment éloquent.”
rebours de l’époque qui privilégie l’instantané à la longue durée, Pascal Comelade continue à cultiver son amour du support phonographique (“Le plaisir indicible de toucher une pochette ou de retourner les deux faces d’un vinyle”), refusant d’accepter une écoute dématérialisée en mode random.
“Ce qui m’a toujours intéressé dans la musique, c’est le cas par cas, jamais les généralités. Et j’ai du mal à croire que l’intégralité de l’humanité écoute du r’n’b 24h/24. A soixante-cinq balais, tout est encore possible : internet et le reste. Pour ma part, et sans non plus vivre en ermite depuis la Catalogne française, j’ai encore quelque chose à tenter avec le piano.” Qui va piano, va sano…
Le Cut-up populaire (Because/Caroline)
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