Comment s’est célébré le Goncourt de Michel Houellebecq, ou le récit de la soirée qui a suivi le dîner qui a suivi le cocktail.
Les Inrockuptibles lancent une nouvelle série consacrée aux figures emblématiques suivies par le magazine. Premier artiste mis à l’honneur : Michel Houellebecq. Un choix qui paraissait évident, l’auteur et les Inrocks partagent une histoire commune : depuis la critique de son premier roman jusqu’à son entretien avec Emmanuel Macron, en passant par sa playlist labellisée ou la critique de son dernier ouvrage.
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Pour le quatrième épisode de la série « Houellebecq et Les Inrockuptibles« , Nelly Kaprièlian nous raconte la soirée qui a suivi l’attribution du prix Goncourt à Michel Houellebecq en 2010 pour La Carte et le territoire.
« J’étais devenu une cause », constate Michel Houellebecq quand on lui demande comment il se sent, vraiment, quelques heures après avoir reçu le Goncourt. Et c’est vrai : s’il ne l’avait pas eu, ce « prix français le plus prestigieux », on ne l’aurait pas ressenti comme une déception mais comme une défaite. Sans parler des blogs, les soutiens les plus virulents de l’auteur, qui auraient explosé…
Il est minuit, lundi 8 novembre, et nous sommes au Montana à boire de la vodka avec un truc bleu à la menthe, une petite bande embarquée par Frédéric Beigbeder après le dîner car il n’est pas question pour ce garçon débordant d’énergie de laisser son ami Michel aller se coucher le soir de son Goncourt
« Entre Michel qui a eu le Goncourt, et Virginie Despentes le Renaudot, c’est une génération, notre génération, qui a enfin gagné ! » s’exclame, heureux, Beigbeder.
Un ange passe, et on doit tous penser la même chose sans oser le dire : le futur s’annonce d’un ennuyeux !
A moins de considérer que Michel Houellebecq devrait à présent avoir le Nobel ? « Après la France, le monde ! » s’amuse Beigebder, et bien sûr, personne n’est en retard pour trinquer. Emily Barnett nous rejoint et entreprend une intense conversation avec Michel et quand je demande à Sylvain Bourmeau de quoi ils peuvent bien parler avec tant de passion, il me répond : « De charcuterie ! »
Déjà dans la voiture de Michel Denisot où je me suis incrustée avec Houellebecq pour aller au Montana, déclinant l’invitation d’un Beigbeder prêt à me laisser son unique casque pour m’emmener sur scooter – si on avait eu un accident, s’il était mort, tout le monde m’aurait accusée, non ? -, Michel nous parle avec précision de sa voiture (ne me demandez pas la marque, je suis nulle en voitures). Et je me dis que c’est cela qui rend cet être si attachant, et qui en fait aussi, peut-être, l’écrivain puissant qu’il est : sa capacité à être complètement dans le présent, sans ironie aucune, qu’on parle de littérature, de sentiments ou de mécanique.
Beigbeder, Maria… Tous ses personnages sont là
Plus tard, un ange blond venu de Russie nous le subtilisera, déjà à moitié endormi. Il s’agit de Maria, la jeune femme qui a servi de modèle pour le personnage d’Olga dans La Carte et le territoire. « Tous mes personnages sont là », s’amuse Houellebecq pendant le dîner donné en son honneur au restaurant La Méditerranée. Il leur demandera d’ailleurs de se lever : Beigbeder, Maria, et Teresa Cremisi, son éditrice, qui partage ce soir avec Michel un sens très classe de la victoire, c’est-à-dire une joie sereine, sans forfanterie.
« Attention les autres, vous savez ce qui vous attend ! », poursuit l’auteur en désignant tous les convives. C’est vrai que la salle compte ce soir pas mal de personnages qui feraient très bien dans un roman de Houellebecq : l’ultra-chic Bernard Henri-Lévy (son correspondant le temps d’Ennemis publics), Arielle Dombasle (la plus futée : elle avait pensé à se munir d’une cigarette électronique !) Yasmina Reza (qui alliait jean et petit manteau léopard), Olivier Py (qui passe la soirée à me dire que les critiques ne devraient pas donner leur avis…), Philippe Djian (très cuir), David Pujadas (nouveau pigiste Inrocks), Jean-Pierre Elkabbach (qui nous annonce la mort de David Pujadas), Edmonde Charles-Roux (qui a tout bon en mixant Chanel et Saint-Laurent ), Patrick Rambaud et Bernard Pivot (celui sans qui le Goncourt serait encore ringard) François Samuelson (l’agent de tous les artistes qui décrochent un prix en ce moment), Alain Finkielkraut et Sylvain Bourmeau, que Houellebecq essaie de réconcilier tandis que chacun détourne la tête, un brin emmerdé par la situation ; et quand Michel insiste encore « Vraiment, ça me tient à cœur », ils seront sauvés par l’intervention souriante de Teresa Cremisi : « Mais enfin Michel, arrêtez de vous fixer sur ces deux-là… »
Gonzague Saint-Bris descendant le fleuve Congo avec Michael Jackson
Entre-temps, Raphaelle Rérolle (Le Monde) et moi-même, vraies fumeuses de vraies cigarettes, auront déclaré ouvert le fumoir à l’extérieur, vite rejointes par Michel Houellebecq himself.
Ne me demandez pas comment la conversation avec Marin de Viry (La revue des deux mondes) vire sur Gonzague Saint-Bris et sa descente en radeau du fleuve Congo avec Michael Jackson (l’anecdote reste à vérifier…), mais quand dans un dîner on finit par citer Gonzague Saint-bris, c’est signe que l’ambiance a quand même un peu pris. Et c’était bel et bien le cas hier soir pour Michel Houellebecq, rassemblant autour de lui des personnes de bords différents mais partageant tous la même joie de le voir, enfin, justement récompensé. Ambiance chaleureuse, joyeuse, émouvante, donc.
Quant au cocktail au théâtre de l’Odéon qui a précédé, ne m’en parlez pas, je n’ai rien vu, à part une horde de vieilles dames affamées se jetant sur les petits fours. « Des critiques littéraires à la retraite ? » s’est-on demandé avec Nathalie Crom (Télérama). Espérons que quand nous en serons là, Michel Houellebecq nous enverra une boite de raviolis de temps à autre, en souvenir du bon vieux temps.
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