Sur Netflix, le retour d’Eddy Murphy dans la biographie enlevée et drôle d’un comédien iconique de la blaxpoitation.
Depuis quand n’avions-nous pas ri de bon cœur avec Eddy Murphy ? Il y eut bien le sympathique (et sous-estimé) Casse de Central Park en 2011, ou bien le musical Dreamgirls, qui lui avait valu quelques lauriers, mais pour ce qui est d’un rire franc et puissant, il faut remonter à Bowfinger, roi d’Hollywood, en 1999, où Frank Oz l’y figurait en star du cinéma d’action (Kit Ramsey), impliqué malgré lui dans une série Z tourné en loucedé par un fantasque producteur (Steve Martin).
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Par une heureuse coïncidence qui n’en est peut-être pas une, c’est avec la même idée que Craig Brewer (réalisateur des excellents Hustle and Flow et Black Snake Moan) remet en selle le génial comique, dont l’étoile avait pâli ces dernières années : en le trempant dans le bain de l’excès et de la parodie, en le frottant à sa propre mythologie, en le lustrant d’une réflexion sur la place du cinéma dans la culture.
Dolemite, le personnage, serait en quelque sorte la fusion entre Bobby Bowfinger et Kit Ramsey : le producteur et la star, la débrouille et la dérouille. Rudy Ray Moore, c’est son vrai nom, fut cette icône tardive de la blaxplotation, qui explosa en 1975 avec Dolemite, le film, mélange opportuniste, dans un brouet parodique et fauchée, de polar, de comédie, de kung-fu et d’érotisme.
A l’origine stand-upper, puis disquaire quand la bise fut venue, Moore inventa le personnage éponyme à partir de racontars de clochards, récits de rue qu’il retranscrit une première fois sur 33 tours, avant de les adapter lui-même sur grand écran. L’homme fut ainsi un sacré précurseur : du multisupport (de la scène au disque, du disque au cinéma), de la logique de franchise (il sortit plusieurs suites), du Do It Yourself (il faisait tout, y compris la distribution), et même du rap (ses slams salaces auraient inspiré les premiers MC à la fin des seventies).
Du cinéma pour le ghetto, par le ghetto
C’est sans doute cette modernité qui a motivé la mise en chantier de ce biopic, écrit par la paire de scénaristes Scott Alexander and Larry Karaszewski, à qui l’on doit déjà trois des meilleurs (et rares bons) films du genre : Ed Wood, Man on the Moon, et Larry Flint. Sans atteindre ces sommets, Dolemite is My Name s’inscrit dans cette lignée de portraits d’hommes du Spectacle ayant intégré sa plus importante règle : la réversibilité. Ce qui est fumeux un jour peut devenir génial le lendemain ; ce qui est ringard, désirable ; ce qui est outrageux, acceptable.
A condition de savoir le vendre. Et le rire, pour ceci, reste la meilleure arme. Dans une scène capitale du film, Moore va voir The Front Page (Spéciale Première), une comédie de 1974 de Billy Wilder, et contrairement au reste de la salle, hilare, il ne décoche pas un sourire. Pourquoi ? Parce qu’il existe, se dit-il, un humour pour blancs et un humour pour noirs. Et c’est sa mission, à lui, de promouvoir ce dernier. De faire du cinéma pour le ghetto, par le ghetto.
Un quasi-manifeste
Mais qu’est-ce que tout cela raconte en 2019 ? Le fait est que l’humour, même s’il demeure segmenté — il y a par exemple tout un pan de la comédie noire américaine qui ne traverse pas l’océan, à peine le périph’de LA —, s’est largement décloisonné ces trente dernières années. Eddie Murphy, dans les années 80, fut d’ailleurs un des premiers artisans de ce crossover, qui permet aujourd’hui à Dave Chappelle de triompher partout — et d’abord sur Netlfix.
Pour la plateforme de streaming, qui a fait de la massification de multiples niches son modèle économique, Dolemite is My Name est le meilleur véhicule possible, presque un manifeste. En remontant à la source primitive de son fameux algorithme (un peu d’action par ci, un peu de cul par là, une pincée d’humour et surtout un ciblage laser des publics), tout en livrant une comédie réussie et consensuelle, populaire dans le meilleur sens du terme, elle réussit le hold-up parfait : celui où tout le monde trouve miraculeusement son compte, la banque comme l’assurance, la police comme les voleurs, tous unis dans un grand éclat de rire.
Dolemite is my name, Un film de Craig Brewer, avec Eddie Murphy, Wesley Snipes, Keegan-Michael Key, 1h58, 2019, Netflix.
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