Trois ans après Le Film, disque introspectif sur son père disparu, Philippe Katerine publie un immense dixième album qui mélange les styles, les thèmes et les interprètes. Œuvre d’un quinquagénaire génialement touche-à-tout et sans limites, Confessions est à la fois moderne et iconoclaste, dansant et politique, frontal et touchant. La parole à son auteur, libre et instinctif.
Un mois avant la sortie de son nouvel album, le déjà important Confessions, on retrouve Philippe Katerine à l’heure dînatoire dans un bouchon lyonnais à… Lyon, dont le nom – Daniel & Denise – nous donne l’impression d’être invités chez des amis. C’est aux alentours de la capitale des Gaules que le chanteur césarisé pour son second rôle dans Le Grand bain tourne le prochain film d’Antonin Peretjatko (La Fille du 14 Juillet, La Loi de la jungle), La Pièce rapportée, aux côtés de Josiane Balasko (dont il joue le fils), William Lebghil et Anaïs Demoustier. Entre réunion de travail sur le sommaire du numéro dont il est notre rédacteur en chef invité, anecdotes de tournage, souper roboratif et arrosé, Philippe Katerine est tel qu’en lui-même : bavard, drôle et imprévisible. Avant d’entamer nuitamment “la converse”, comme il le chante magnifiquement dans Confessions, le quinquagénaire vendéen se prête de bonne grâce à une séance d’autographes et de selfies avec les clients et le personnel de l’établissement. L’interview peut commencer.
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Il y a vingt ans exactement, paraissait ton quatrième et double album, Les Créatures et L’Homme à 3 mains, qui marque une vraie rupture discographique entre le chanteur dandy et l’artiste dadaïste posant nu sur la pochette.
A chaque disque depuis Les Mariages chinois (1991), j’ai l’impression d’effectuer un virage sans connaître la trajectoire finale. J’enregistre toujours un album comme si j’allais mourir le lendemain. D’ailleurs, pendant le mastering de Confessions à Los Angeles, j’ai vécu un séisme de 7,1 sur l’échelle de Richter, mais j’avais la satisfaction de savoir qu’il était fini, quoi qu’il advienne. Un disque, c’est à la vie, à la mort. J’ai le sentiment d’avoir rempli autant qu’effacé quelque chose, un peu comme lorsqu’on écrit des lettres sur le sable avant la marée.
Quels souvenirs gardes-tu précisément de l’enregistrement de ce double album ?
Je quittais Nantes pour m’installer à Paris, avec la sensation sans doute exagérée de partir en “exil”. J’étais extrêmement agité dans ma tête par ce déménagement. C’est d’ailleurs un double album assez malaisé. Car j’étais en déséquilibre complet à cette époque, exactement comme pour mon nouveau disque. C’est un cliché de le dire, mais un album est toujours une photographie du moment. Et pour continuer dans les clichés, Confessions reflète ma crise de la cinquantaine. J’ai bien été obligé de constater qu’à 50 ans je n’étais toujours pas stable. Un disque sert souvent à ranger ses affaires, à commencer par sa chambre.
Avec ce dixième album, Confessions, prends-tu conscience du chemin parcouru, entre des tubes radiophoniques, le succès public de Robots après tout (2004), des collaborations multiples et une carrière discographique étalée sur trois décennies ?
Je ne regarde jamais dans le rétroviseur. Je suis comme une souris de laboratoire qui avance obstinément jusqu’à sa mort, sans la moindre arrière-pensée. J’avance en suivant le chemin qui s’ouvre à moi. Je suis simplement plus actif aujourd’hui qu’à 30 ans. Il faut dire qu’avec la cinquantaine, j’ai des problèmes de prostate qui m’obligent à vidanger plus souvent (sourire). Ça vaut aussi pour les chansons et pour les mots dans toutes leurs orthographes possibles.
Quelle était la genèse de l’album ?
Depuis le temps que je fais des disques, je vois des personnes autour de moi qui font de la musique assistée par ordinateur. Je me suis enfin senti mûr pour essayer la MAO. Aidé par Sébastien Moreau, un ami qui jouait de la basse sur Philippe Katerine (2010) et qui a monté son projet, Velours, j’ai ainsi commencé à composer mes premières chansons sur GarageBand. Pendant trois mois, j’ai enregistré de manière compulsive sur mon ordinateur. J’ai dû faire une soixantaine de titres car j’en avais gros sur la patate. Partout où j’allais, je faisais mes déjections. BB Panda, qui ouvre l’album, est ainsi né dans un hôtel aux Sables-d’Olonne, Les Roches Noires, là où Georges Simenon s’était réfugié pendant la Seconde Guerre mondiale et où il a écrit un roman (Les Vacances de Maigret – ndlr). D’ailleurs, je ne me considère pas comme un artiste, mais comme un enquêteur. C’est pour cela que j’ai accepté avec joie votre proposition d’être rédacteur en chef d’un de vos numéros. Car journaliste fait partie des métiers que j’aurais aimé exercer.
Confessions est un disque très en prise avec son époque, passant au crible un contexte politique, sociétal, technologique, culturel…
Mon disque précédent, Le Film (2016), était le fruit d’une introspection consécutive à la mort de mon père, tandis que Confessions est inspiré par l’actualité, que je suis attentivement en tant que père de deux enfants de 7 et 8 ans. Je m’intéresse moins au monde dans lequel je vis qu’à celui dans lequel ils vont grandir et évoluer. Et quand je me retrouvais dans des hôtels, j’allumais le téléviseur et je mettais BFM sans le son. Par exemple, une chanson comme BB Panda est née en regardant Brigitte Macron baptiser un bébé panda prêté par la Chine au zoo de Beauval. Confessions mélange ainsi des sujets piochés dans les chaînes télévisées d’information en continu et mon journal intime de la crise de la cinquantaine.
Entre l’écriture d’un nouvel album et l’enchaînement des tournages de films, comment cette crise se manifestait-elle ?
A part la prostate tu veux dire (sourire) ? Je suis surtout sur le front de la chanson. Au cinéma, je suis simplement acteur, entouré d’une équipe d’une trentaine de personnes. C’est avant tout de la pratique. Avec le cinéma, j’ai enfin compris qu’il fallait que je sorte de ma chambre. Les tournages permettent de me confronter aux autres. Après la frayeur des premiers contacts sur un plateau, je commence à apprécier la compagnie. C’est une aventure humaine assez incroyable.
As-tu un film de prédilection parmi ceux dans lesquels tu as joué ?
J’ai un faible pour Gaz de France (2016) de Benoît Forgeard, où j’interprète le rôle d’un président de la République. C’est un film intestinal, qui se déroule dans le transit de la République et dont je suis le réceptacle. J’étais l’anus de la République. C’est un long métrage unique, qui invente presque un genre de cinéma. Je te parle évidemment en tant que spectateur. D’un point de vue personnel, le film de Thierry Jousse, Je suis un no man’s land (2011), a été un choc de vie, puisque j’y ai rencontré ma compagne et la mère de mes deux derniers enfants.
En février dernier, tu as obtenu le César du meilleur acteur dans un second rôle pour Le Grand Bain (2018) de Gilles Lellouche.
C’est une récompense que j’ai prise pour tout le monde. Le casting était dingue, et j’étais l’acteur le moins connu de la distribution. Ce César m’a rendu complètement parano pendant une semaine. J’étais dans le même état que lorsque j’ai obtenu mon bac. Il ne faut pas que j’obtienne trop souvent une récompense (sourire).
Te considères-tu toujours artistiquement comme “un touriste” ?
Je suis arrivé au cinéma par hasard, sans même passer par le conservatoire. Je me balade derrière les caméras pour observer en enquêteur et enrichir mon expérience. Je suis comme en stage Afdas pour les intermittents. Un jour, j’aimerais bien réaliser un film de fiction. Peau de cochon (2003) commence à dater, et le film écrit et réalisé avec Gaëtan Chataigner pour l’album Magnum (2014) est passé plutôt inaperçu. J’ai écrit une dizaine de scénarios qui prennent l’eau rapidement à l’aune d’interminables réunions. Un film, c’est autre chose que de faire un disque. En attendant d’être mûr pour me lancer, je multiplie les rôles et je fais progressivement gonfler la voile.
Au générique pléthorique de Confessions figurent Camille, Gérard Depardieu, Angèle, Chilly Gonzales, Lomepal, Clair, Oxmo Puccino, Dominique A et Léa Seydoux. Etait-ce des collaborations mûrement réfléchies ou plutôt circonstancielles ?
Je n’avais aucune idée préconçue. En faisant les « instrus”, comme on dit aujourd’hui, j’ai éprouvé le besoin d’ouvrir les fenêtres et de faire intervenir naturellement d’autres artistes sur mes chansons. Dès les premiers jours au studio Ferber avec le producteur Renaud Letang, j’ai songé à enregistrer des duos. Entendre d’autres voix que la mienne était comme une bénédiction. Mais j’ai d’abord essuyé un certain nombre de refus d’interprètes auxquels j’avais pensé et dont je tairai bien évidemment les noms. J’étais forcément décontenancé, comme un réalisateur obligé de réfléchir à un autre casting. Mais c’est souvent un mal pour un bien. Lomepal a été le premier à me dire oui, ça m’a réconforté.
Ce nouveau disque marque justement les retrouvailles avec le producteur à succès de Robots après tout.
Renaud Letang m’a d’abord appelé pour participer à son premier album de compositions originales, où il m’a invité à chanter avec Feist, Gonzales, Connan Mockasin, Benny Sings ou encore Peaches. J’étais estomaqué par le son d’inspiration hip-hop West Coast de sa production. C’est exactement celui que je recherchais pour mes chansons.
Par certains aspects et quelques concordances proverbiales ou mélodiques, on pourrait considérer Confessions comme le prolongement de Philippe Katerine.
Ce disque où je posais avec mes parents sur la pochette était plutôt conceptuel, je m’amusais avec les formes, et les paroles tenaient à peine sur quelques feuilles A4. Confessions est bien plus écrit. J’ai noirci d’encre des carnets et des carnets… Le morceau essentiel est Aimez-moi, où j’évoque ouvertement ma paternité et le narcissisme, qui est le fléau du siècle et qui m’atteint autant que les autres. Ce n’est pas un hasard si cette chanson se situe au milieu de l’album.
Aimez-moi précède le titre avec Angèle et Chilly Gonzales, Duo, où tu signes cette métaphore sur le couple : “On a le même tempo, mais pas le même pattern.”
J’ai demandé à Gonzo d’expliciter le sens du pattern pour ma maman. Car le choix des patterns, c’est notre quotidien, comme choisir le menu de notre dîner. Je n’ai rien inventé, ça m’amuse de jouer avec la langue française et de percuter les clichés par des collages lexicaux. Il n’y a pas de poésie sans mots crus.
“Avec le temps, j’ai fini par m’accepter moi-même.”
A quoi tient ta métamorphose physique et stylistique d’un album à l’autre ?
Je suis timide comme l’était mon père. Quand il avait 20 ans, il rougissait dès qu’on lui adressait la parole. Puis il a fini par s’ouvrir et à aller vers les autres. Comme il était commerçant, il avait une clientèle, pas comme moi. Aujourd’hui, j’ai un contact plus facile avec les gens. Quand on me sollicite pour un autographe ou une photo dans un lieu public, comme tout à l’heure au restaurant, je suis très content. Certains de mes collègues détestent ça. J’adore toucher les corps. Plus jeune, le contact avec les autres me dégoûtait. Avec le temps, j’ai fini par m’accepter moi-même.
T’accepter ou te remettre en question ?
J’ai aussi une fille de 25 ans, qui réalise certains de mes clips et qui m’a complètement remis en question. Même si elle n’ose pas me le dire d’une manière aussi frontale, j’ai bien été obligé de constater que je suis d’un autre temps. Le monde avait changé. L’image dans le miroir qu’elle me tend est assez violente. On vit aujourd’hui sur les débris des années 1970, une décennie que l’on pensait pourtant géniale. Je parle de la crise de la cinquantaine avec le sourire, mais je dois surtout changer mes habitudes. Au fond, dans Confessions, je suis confronté à mes insuffisances, mes inepties, mes contradictions. Même si je ne changerai sans doute jamais, j’ai le mérite de me poser la question. Et je vis avec une femme et des enfants qui ne me laissent jamais en repos. La contradiction, c’est finalement ce que je pouvais espérer vivre de mieux. Dans la vie de tous les jours, je ne m’appelle pas Philippe Katerine. C’est sans doute la meilleure décision que j’aie prise de choisir un pseudonyme.
En 2007, tu publiais ton premier livre, le journal graphique Doublez votre mémoire. Quel rapport entretiens-tu avec le dessin ?
Je n’ai jamais souhaité être chanteur ou acteur. Mon rêve aurait été de dessiner dans un atelier, en écoutant la radio, en lisant les journaux et en profitant de mes enfants, et de ne jamais en sortir. Cela dit, j’aurais fini dépressif. J’ai toujours dessiné, mais je n’ai jamais progressé. Je dessine aujourd’hui comme à 17 ans. Aucun progrès d’un point de vue technique, aucun… En musique, j’ai l’impression d’avoir progressé et acquis une technique de composition. Ce qui permet de m’amuser en studio. En maquettant sur GarageBand, je jouais du synthé ou de la guitare à partir du clavier de l’ordinateur. Ce n’était plus des noires et des blanches, ni des cordes, mais des lettres. C’était une nouvelle exploration.
“Au sol comme dans les airs, je me prenais pour Travolta.”
Dans BB Panda, tu chantes : “Comme un con, j’écoute Kanye.” Tu t’es toujours passionné pour le rap ?
J’en ai toujours acheté. Etudiant à Rennes, j’achetais des cassettes d’Eric B. & Rakim et de Public Enemy, ça faisait partie de ma consommation musicale autant que les Pastels ou Léo Ferré. J’alliais tout le temps les deux. Parce que j’adore danser. Dans les boîtes de nuit en Vendée, je gagnais des prix sur le dance-floor. Mon morceau de prédilection, c’était The Magnificent Seven des Clash. Au sol comme dans les airs, je me prenais pour Travolta. Et on m’applaudissait pour ça (sourire). Souvent, quand je suis tout seul, je branche ma sono et je danse, souvent à poil d’ailleurs. Avec Le Film, j’avais été frustré de ne pouvoir danser puisque je jouais du piano tout en chantant. Cette fois, j’ai eu envie de renouer avec des morceaux dansants, en pensant aussi aux concerts. Avec ces chansons, je meurs d’envie de remonter sur scène. Si on m’avait dit ça quand je m’efforçais de relever le menton dans les années 1990… Au fond, j’ai bien fait d’insister. Dans la vie, il faut parfois forcer sa nature.
Quand tu retournes en Vendée, ça te rappelle tes premiers pas musicaux ?
Bien sûr. Quand j’ai commencé à faire mes premières maquettes, les gens rigolaient. La musique était comme un handicap. Lorsque j’étais encore projectionniste itinérant à Angers, un collègue avait acheté Les Mariages chinois et m’avait dit à quel point cet album était horrible à écouter. Je me souviendrai toujours de ses propos : “Tu es un handicapé de la musique.” Je pensais au contraire que c’était une chance, une force. J’avais un plaisir immense à enregistrer mes premières chansons. Exactement le même que j’ai pris pendant un an aux studios Ferber. Chaque matin, j’allais enregistrer avec une joie impensable. J’ai toujours été passionné et investi. Les enregistrements d’albums sont toujours des grands moments dans ma vie.
Un mot sur la pochette de Confessions réalisée par Théo Mercier et Erwan Fichou ?
C’est parti d’une réflexion de Théo Mercier à propos de la pochette de mon précédent disque, Le Film, celle avec le piano et le hérisson, que j’avais dessinée au crayon de bois. Théo l’avait trouvée “faible”, un adjectif qui m’avait meurtri sur le coup, parce que j’y tenais beaucoup. Ce jour-là, je m’étais dit intérieurement qu’il ferait la pochette de l’album suivant. Et quand il m’a montré cette photo, je lui ai dit : “C’est fort !”
“J’ai eu une enfance très catholique en Vendée, j’adorais aller à confesse.”
Pourquoi d’ailleurs ce titre de Confessions ?
C’était quasiment le point de départ du disque. J’ai eu une enfance très catholique en Vendée, j’adorais aller à confesse. Je m’exprimais librement et, d’une certaine manière, j’avais l’impression d’être la vedette. Une confession, c’est un peu comme une interview. Avant d’acheter mon ordinateur, je traînais dans une église à Paris et j’ai demandé au prêtre de me confesser. J’y suis resté au moins un quart d’heure, ce qui est énorme pour une confession. Comme à chaque fois, j’ai reçu une lumière bienveillante. Allez dans la paix du Christ et vous êtes pardonné (sourire). Au sortir de l’église, j’ai acheté un carnet et j’ai écrit Confessions au pluriel sur la première page. J’étais soudain libéré. Le titre est donc survenu avant les chansons, à l’inverse du Film, un intitulé qui ne me satisfait plus d’ailleurs.
Comment pourrait-on résumer Philippe Katerine en un seul album ?
Peut-être les 52 reprises enregistrées avec Francis Et Ses Peintres (52 Reprises dans l’espace, 2011 – ndlr) pour quelqu’un qui serait complètement ignorant de ma discographie. Ce serait une bonne entrée en matière pour répondre à cette question – que je ne me pose jamais. Quand je m’appelle Philippe Katerine, je ne pense pas aux autres. C’est la politique de la terre brûlée. Je suis irresponsable artistiquement parlant, et j’y tiens beaucoup.
Envisages-tu déjà la suite après Confessions ?
Tu sais, j’ai une vision de l’avenir très limitée, qui ne dépasse pas une semaine ou quinze jours (sourire). Je n’en suis même plus à organiser mon emploi du temps. J’utilisais en début de conversation la métaphore de la souris de laboratoire, mais mon parcours ne répond absolument à aucune logique. A part l’instinct.
Album Confessions (Cinq 7/Wagram), sortie le 8 novembre
Concerts Le 29 novembre, La Rochelle ; le 1er décembre, Reims ; le 3, Strasbourg ; le 4, Lille ; le 5, Rouen ; le 6, Nancy ; le 10, Nantes ; le 11, Toulouse ; le 12, Lyon ; le 13, Marseille ; les 16 et 17, Paris (La Cigale) ; le 19, Bordeaux ; le 20, Rennes
(Set design Nicola Scarlino Assistant numérique Julien Dauvillier MUA Ophélie Secq Styliste Marion Brillouet Costume, cravate et chaussures Les Mauvais Garçons)
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