Vingt-neuf ans après son premier disque solo, Sean O’Hagan, leader des merveilleux High Llamas, revient enfin avec un nouvel album. L’attente fut longue, le rendez-vous est immanquable.
“Certains artistes cultivent le même lopin de terre toute leur vie. Pierre Soulages (le noir), Modiano (Paris) ou les Broadway songs pour les jazzmen. Sean O’Hagan (The High Llamas) est de ceux-là : le même lopin de terre toute sa vie. Le terreau ? En provenance de Californie et datant de 1968. Un album sous-estimé des Beach Boys, le bien nommé Friends, dont Brian Wilson dira : “Je voulais de la musique sentimentale et joyeuse.” Depuis 1990 et le long d’une dizaine d’albums, Sean O’Hagan ouvre l’éventail de Friends plus grand que prévu, nous faisant entendre ce qu’aurait pu aussi être Friends et parfois même ce qu’il aurait dû être.” Philippe Katerine
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Si la sortie d’un second album est un moment redouté par beaucoup de musiciens, Sean O’Hagan s’est offert le temps d’affronter sereinement cette épreuve. Doux euphémisme, l’attente record entre ces deux sorties en solitaire affiche vingt-neuf années au compteur. Un grand écart temporel qui nous ramène en 1990, date où l’Irlandais termine High Llamas, premier disque qui offrira son nom au groupe avec lequel il sortira onze albums au cours des décennies suivantes.
“Radum Calls, Radum Calls” s’est abreuvé du sang frais des jeunes musiciens
“Cela fait tellement longtemps que je suis dans la musique… J’en suis arrivé à me demander où j’en étais avec The High Llamas, et si les gens avaient encore réellement besoin de mes chansons. J’ai décidé qu’il était temps d’assumer mon nom et de tenter quelque chose de complètement libre en termes de création. D’ailleurs, le titre Radum Calls, Radum Calls est une invention complète, un nom qui a surgi spontanément dans ma tête. J’imagine Radum sous la forme d’une figure autoritaire ou d’une âme solitaire », nous explique-t-il par téléphone depuis Londres.
La discographie de Sean O’Hagan n’a eu de cesse d’affirmer son goût pour les musiques de films, la bossa-nova, l’easy listening, ainsi que son admiration quasi obsessionnelle pour Brian Wilson. Une fixation stylistique qui a pu finir par lasser certains fans, notamment sur les tout derniers disques des High Llamas. Ici, la surprise n’en est que plus belle !
Cette longue maturation semble avoir nourri l’originalité et l’élégance des compositions de Radum Calls, Radum Calls. Sean O’Hagan y trace les contours délicats d’un univers introspectif, où se côtoient vignettes instrumentales électroniques, orchestration luxuriante et morceaux chantés sur fond de piano. En suivant l’appel (de Radum) jusqu’à sa source, on croisera les figures tutélaires que sont Brian Wilson (oui, encore), Van Dyke Parks, Ennio Morricone, Burt Bacharach ou François de Roubaix. Pourtant, la plus grosse méprise concernant ce disque serait de ne voir en lui qu’une énième technique de collage inspirée, alignant les références savantes, pour dessiner la formule pop parfaite.
Encyclopédiste musical
Radum Calls, Radum Calls s’est abreuvé du sang frais des jeunes musiciens avec lesquels Sean a collaboré récemment (frYars, Mount Kimbie, James Righton des Klaxons…), et cela s’entend. “Ma manière de composer change constamment. Elle est le reflet de mon état d’esprit, et la musique qui m’a le plus influencé ces derniers temps est la musique noire américaine : Solange, Frank Ocean, pour ne citer qu’eux. Je voulais des morceaux plus simples, plus directs, plus énergiques et construits autour de deux ou trois instruments seulement. » Radum Calls, Radum Calls est également un disque placé sous le signe des retrouvailles de Sean O’Hagan avec Cathal Coughlan, son ancien acolyte au sein de Microdisney. Sa fille, Livvy, ainsi que Nora Bramms viennent compléter les chœurs.
Si Sean O’Hagan aime à jouer de son image d’encyclopédiste musical, il livre ici un album totalement dépoussiéré. Des pépites telles que Sancto Electrical ou Better Lull Bear ancrent le disque dans l’époque, sans renier leurs influences sixties. “Je ne suis pas encore définitivement lassé d’être comparé à Brian Wilson, car c’est d’abord un honneur, et je le considère toujours comme mon mentor musical. Quand je suis perdu ou à court d’idées, j’écoute de vieux amis pour m’aider. En revanche, je ne supporte plus le discours de certaines personnes de ma génération qui relie systématiquement la bonne musique au passé. C’est extrêmement irrespectueux pour les musiciens actuels ; surtout quand on connaît le nombre de groupes ternes et ennuyeux que l’Angleterre a pu enfanter durant l’avènement de la britpop !”, lâche-t-il.
Retour au présent, donc. Sous les notes ciselées des claviers, derrière les arrangements soyeux, on chante aussi bien les illusions perdues, la ville de Coventry et la révolution iranienne, la révolte contre la médiocrité, ou une ode à l’armée invisible des agents d’entretien à travers le monde. Humour, onirisme, gravité et légèreté sonique tout à la fois, le songwriter livre un disque généreux, l’un de ses plus beaux. Celui qu’il devait écrire “pour se sentir de nouveau en accord avec soi-même”. On comprend chez lui que le temps importe peu.
“Radum Calls, Radum Calls” (Drag City/Modulor)
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