Selon ses détracteurs, le Planning familial serait en train de basculer dans un certain « relativisme religieux ». Un procès d’intention absurde selon les militantes interviewées par « Les Inrocks ». Alors que l’organisation féministe organise son congrès national du 25 au 27 octobre, à Niort, retour sur les polémiques dont elle fait l’objet depuis quelques années.
« Basculement vers le relativisme religieux », « entrisme »… Publié fin septembre, un article de Charlie Hebdo tire à boulets rouges sur le Planning familial, qu’il accuse d’être en passe de renoncer au principe de laïcité. En cause, un document interne qui présente différents objets de débats en amont du congrès national qui doit se tenir à Niort du 25 au 27 octobre. Parmi les thèmes abordés, la question de l’intersectionnalité, terme qui désigne la prise en compte de multiples discriminations subies par une personne ou un groupe de personnes et qui est de plus en plus utilisé dans le militantisme féministe. Pour l’hebdomadaire, l’organisation, qui défend le droit d’accès à la contraception et à l’IVG, est ni plus ni moins en train de revenir sur ses fondements.
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Des révélations contestées
Véronique Séhier, co-présidente du Planning familial commence à avoir l’habitude de ces controverses. Selon elle, cela fait trois ans que Charlie Hebdo s’acharne. Plus récemment, c’est Le Point qui dénonçait des « errances » de l’organisation. « On en a un petit peu marre de cette polémique », affirme-t-elle aux Inrocks. Pour elle, l’article en question se base sur des « on-dit » et des « ragots ». “Au Planning familial, on est traversé par un certain nombre de débats. Le fait que ces débats aient lieu, ça voudrait dire qu’on est ‘gangrené’ ? », s’étonne-t-elle. « Charlie Hebdo a effectivement sorti un texte interne issu de toutes les propositions des associations départementales, car oui, c’est comme ça que l’on travaille ! Ce n’est pas le bureau national qui définit la ligne du Planning, c’est une ligne qui part des réalités de terrain, qui donne la parole à toutes les associations départementales.” Pour Véronique Séhier, cet article révèle une profonde méconnaissance du fonctionnement du Planning familial et de la façon dont sont menées les réflexions en interne.
« Qui veut tuer le planning ? et pourquoi ? », a répondu vertement l’organisation après la publication de l’article. « Diffuser le texte interne de synthèse préparatoire au débat de notre mouvement, et l’utiliser pour faire un scoop et remuer la fange est éthiquement répugnant », peut-on lire dans le communiqué du 5 octobre qui déplore une énième attaque à l’encontre du mouvement. Attaque qui a suscité des réactions en haut lieu : la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa a fait parvenir un courrier au Planning familial mais aussi à l’hebdomadaire Marianne, demandant expressément des explications. Les deux parties se sont finalement rencontrées le 11 octobre, entretien à l’issue duquel la secrétaire d’État a « réaffirmé le soutien du gouvernement français aux actions du Planning familial ». Affaire réglée ?
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Sur le terrain, des certitudes et des questionnements
Qu’est-il arrivé pour que Charlie Hebdo dénonce un risque de retrait du mot « laïcité » de la charte de Planning familial ? « Ce qu’il se passe, c’est qu’il y a une association départementale qui demande à ce qu’on réfléchisse sur le terme laïcité, sur comment on l’utilise », résume Laetitia Hamot, présidente du Planning familial des Deux-Sèvres. « Une association départementale a jugé bon de dire qu’en ce moment on a mis trop de choses négatives derrière ce terme de laïcité donc il faut l’enlever de la charte du planning. » Si elle rejoint le constat d’un dévoiement du mot laïcité, Laetitia Hamot est formelle : un retrait de la laïcité des principes du Planning n’est pas à l’ordre du jour. « C’est important qu’on se repositionne sur ce qu’on met derrière ce mot, comment on le transpose à nos actions. On y réfléchit. On est évidemment pour la laïcité, mais telle que dans sa définition primaire, la capacité de porter sa croyance et la permission dans l’état français que chacun puisse avoir sa liberté de culte. » [Mise à jour du 28/10/19 : le retrait du terme « laïcité » a été rejeté par 90 voix contre 13 lors du congrès national] Pour elle, c’est davantage l’opposition entre universalisme et intersectionnalité qui peut susciter des débats, et qui était justement un des enjeux présentés dans le document interne. « Il y a des militantes qui pensent que le voile est forcément une ingérence dans la vie d’une femme et qu’il faut absolument le bannir. Mais au Planning, on a chacune notre féminisme. Notre point d’ancrage, c’est l’accès à la santé sexuelle, la liberté, l’émancipation des femmes. Parfois, ça rencontre des débats de société comme celui-là, mais ça n’empêche pas nos actions. »
Le principe de laïcité ne fait aucun doute non plus pour Ghislaine Dejean, présidente du Planning familial dans le Vaucluse. Pour elle aussi, il n’y a aucune remise en question en vue du congrès : « On a étudié ce sujet au même titre que tous les autres et en ce qui concerne la laïcité, il n’y a aucun souci sur les valeurs que nous défendons. En accord avec la loi de 1905, nous accueillons toutes les personnes que nous recevons quelle que soit leur religion ou leur non-religion. » La militante est plus réservée sur l’opposition entre féminisme universalisme et intersectionnalité. « Nous sommes très attachées à un féminisme universaliste qui défend tous les droits des femmes sur le terrain. L’intersectionnalité est apparue il y a quelque temps dans nos questionnements. Je le comprends, c’est une grille d’analyse : une personne est discriminée sur plusieurs terrains. Ça me dépasse un peu, c’est vrai, j’ai un peu de mal avec ces termes qui arrivent, mais je suis peut-être un peu âgée… » Pour Véronique Séhier, opposer l’universalisme et l’intersectionnalité ne mène pas loin. « On nous accuse d’être intersectionnelles, mais ça veut dire quoi ? On n’arrive pas en disant ‘on va faire de l’intersectionnalité’ ! Pour moi, c’est prendre en compte les différentes situations que vivent les personnes et faire un bout de chemin avec elles avec un objectif : avoir les mêmes droits pour tout le monde. » Elle récuse aussi l’idée d’une fracture générationnelle à l’origine du débat : « Dire que ce sont les ‘jeunes intersectionnels’ qui ont mis le bazar au planning, c’est un faux procès. »
Un acharnement médiatiquement
Ce n’est pas la première fois que le Planning familial est accusé de renoncer à la laïcité. A chaque fois, c’est la religion musulmane qui est visée. En septembre 2018, le Planning familial de Marseille est sous le feu des critiques après la publication sur Facebook d’un visuel pour l’empouvoirement des femmes. « La nudité empouvoire certaines femmes, la modestie empouvoire certaines femmes », peut-on lire à côté d’illustrations montrant une femme blanche grosse en sous-vêtements et une femme noire portant le hijab. Ont alors fusé des accusations de complaisance et de tolérance envers des pratiques comme l’excision. En octobre 2018, le Planning familial publie une photo d’une des bénévoles de l’antenne de Blois, Nadya, qui porte le voile. Il n’en faut pas moins pour que l’organisation soit soupçonnée d’être phagocytée de l’intérieur par des islamistes. En juillet 2019, c’est au tour du Planning familial de Grenoble de prendre la lumière en pleine nouvelle « affaire du burkini », en dénonçant la stigmatisation des femmes qui portent le voile et en soutenant l’accès aux piscines de celles qui souhaitent porter un maillot de bain couvrant la tête, les bras et les jambes.
Selon les contempteurs du Planning, il s’agit presque d’une guerre qui couve au sein de la structure féministe, d’une menace insidieuse qui aurait déjà réussi à s’infiltrer dans les plus hautes instances. La réalité de terrain donne un autre aperçu. Dans son antenne départementale de Niort, Laetitia Hamot cherche encore « ces femmes voilées qui viendraient faire de l’entrisme au Planning ». Elle voit plutôt les choses d’une manière inverse : « On voit bien aujourd’hui qu’on ne s’adresse pas forcément à tout le monde. On aimerait bien que nos militantes soient un peu plus diverses car si on accueillait en notre sein des femmes voilées, on saurait que quand on reçoit une jeune fille voilée, elle pourrait se sentir mieux accueillie par quelqu’un en qui elle se reconnaît. Ça permettrait de dire que oui on peut être voilée et féministe, on peut être voilée et défendre le droit à l’accès à l’avortement, à la contraception, le droit à la liberté de choix. Ce serait un formidable message. »
Vraies inquiétudes
Les polémiques sur le Planning familial sont, à chaque fois, en lien avec la religion musulmane, mais quid des catholiques qui s’opposent frontalement aux missions du Planning familial ? « Les communautés musulmanes ne disent pas grand chose sur l’avortement, alors que les catholiques en font un combat », observe Laetitia Hamot. De son côté, Véronique Séhier ne décolère pas de voir que les médias semblent ignorer d’autres menaces qui lui paraissent au contraire bien réelles : « Je suis hallucinée du procès qui nous est fait, alors que pendant ce temps, on a des anti-choix qui érigent une statue à Menton sur la voie publique et personne n’en parle, personne n’a relayé les efforts faits pour dénoncer cette statue ! » L’œuvre en question, signée Daphné du Barry, représente une Vierge et des bébés morts à ses pieds dans le but de dénoncer le recours à l’IVG. Elle a été installée début octobre en plein centre-ville dans le cadre de la Biennale d’art contemporain sacré.
La co-présidente du Planning familial s’inquiète d’ailleurs d’un possible recul en matière de droits sexuels et reproductifs. « En France, nos lois les protègent pour le moment, mais il est très facile de réduire l’accès à ces droits par des convictions personnelles. » Elle prend pour exemple la double clause de conscience des médecins sur l’avortement, qui a une réelle incidence sur l’accès à l’IVG, ou les cours d’éducation à la sexualité qui rencontrent encore de vives oppositions. « Comment on fait pour garantir la liberté des femmes à disposer de leur corps, quelle que soit leur situation administrative, territoriale, économique et sociale, comment on travaille sur l’émancipation, mais aussi sur les assignations qui pèsent sur les épaules des filles comme des garçons, pour moi, c’est ça notre combat. »
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