Deux ans après l’album « La Rivière Atlantique », Nicolas Ker, toujours accompagné d’Arielle Dombasle, revient avec un nouveau projet : « Empire ». Portrait d’un rock’n’roll hero.
« Il y a des gens qui aspirent au travail, n’importe quelle sorte de travail, si pénible ou répugnant qu’il soit, pour chasser l’âpreté de leur vie et bannir les pensées qui tuent », écrivait Philip Roth, en 2008, dans Indignation. Et puis, il y a les autres qui sanctifient l’épitomé d’Oscar Wilde et élèvent leur existence au rang d’œuvre d’art. Nicolas Ker est bien sûr de ceux-là. Il fait partie de ces irréductibles qui ravagent leur vie pour la reconstruire à l’infini. Mais ne nous limitons pas à cette affirmation trop réductrice et reprenons depuis le début.
Le 17 avril 1975, les forces armées de Pol Pot, les Khmers rouges, débarquent à Phnom Penh pour renverser le régime militaire de Lon Nol et instaurer, durant quatre années, un régime terreur où près de deux millions de Cambodgiens (20 % de la population d’alors) trouvent la mort.
Né d’un père français et d’une mère cambodgienne, Nicolas Ker a 4 ans lorsque sa famille maternelle est exterminée. Le trauma est immense et l’enfance mutilée à un point tel que le gamin oublie la langue khmère. Rapatrié par l’ambassade française, le rejeton de la guerre grandit entre Le Caire, Istanbul, La Réunion et arrive en France à l’âge de 16 ans.
Nous sommes en 1986 et Jean Genet vient de mourir. Éclipse totale à Tchernobyl : oui, oui, les ondes radioactives se sont arrêtées à la frontière française, contrairement à celles des radios libres qui irradient le territoire depuis 5 ans. L’une d’entre elles s’appelle La Voix du Lézard. Avant de devenir la formatée Skyrock, la station créée par Pierre Bellanger en 1983 était le sanctuaire des amateurs de rock, de musique indus et de new wave. L’adolescence de Nicolas Ker vire à 90 degrés le jour où il y entend Upside Down, le premier single du groupe écossais The Jesus & Mary Chain.
Plus tard, un de ses amis de maths sup’ lui fait écouter, raide stone, le White Light / White Heat d’un Velvet intemporel, éternellement sublime. Et voilà, notre héros échoué sur l’autel de la musique du diable entre Bo Diddley et Hasil Adkins matant Jeffrey Lee Pierce, bouffi d’alcool et de dope, invoquer les sorciers vaudous devant David Bowie en arbitre des élégances et Jim Morrison en héraut de l’option destroy.
Pendant des années, Nicolas Ker erre dans les dédales de la lose sans jamais trébucher dans l’escalier d’Igitur : il s’obstine, enchaîne les petits boulots et les concerts dans des bars miteux. Là, réside son étonnante force : celle d’avoir su dès le début que la musique guiderait sa survie avec le rock en ligne de mire, encore le rock, toujours le rock.
En 2004, Olivier Forest le filme dans le documentaire White Noise. Le réalisateur saisit les saillies cathartiques d’un musicien qui ennoblie l’idée sartrienne que « le génie n’est pas un don mais l’issue qu’on invente dans les cas désespérés pour retrouver le choix qu’un homme fait de lui-même, de sa vie et du sens de l’univers ». Et Nicolas Ker de déclarer :
« Je ne fais pas de la musique, je fais du rock’n’roll. Le rock, c’est un mode de vie dans lequel tu es déjà mort. »
Et si le rock n’était que cela : une musique de damnés emportant le corps et l’âme dans de vertigineuses montagnes russes d’intensité ? Après tout, on y vainc sans gloire, on n’y triomphe pas sans péril.
Vagabond Rock’n’Roll
Le salut arrive à l’âge de 35 ans. En 2005, Nicolas Ker rencontre les membres de Poni Hoax. La suite, on la connaît : près de 15 ans de carrière, 4 albums et un succès d’estime immédiat. Etienne Daho décrit le leader du groupe comme un garçon « attachant » ; Arielle Dombasle comme « le dernier des vrais rockeurs ».
Entre le musicien et la cinéaste, la relation est teintée d’admiration mutuelle. Ensemble, ils signent l’album La Rivière Atlantique, sorti en 2016, et le film Alien Crystal Palace, en salle le 23 janvier prochain.
« Nicolas, c’est la figure de la vérité », nous confie Arielle Dombasle. Constamment sur la brèche, tantôt hyper flamboyant, tantôt hyper défoncé, Nicolas Ker est un vagabond de la dévastation à qui l’on pardonne aisément ses excès, parce qu’ils sont la sève d’une singularité qui enivre au-delà du raisonnable et qui ne concerne que les vrais de vrais du rock.
Empire
Il y a quelques mois, le musicien venait de ressusciter d’une saison en enfer. Il nous invitait durant l’enregistrement des titres d’Empire, son nouveau projet, toujours avec Arielle Dombasle, dont nous vous proposons de découvrir le premier extrait, Lost Little Street Girl, ci-dessous.
C’était le temps de la rehab. On observait un homme qui tentait de flinguer les démons de la déchéance, mais s’y heurtait continuellement. Avec lui, nous passions des moments drôles, émouvants, passionnants, à discuter des imaginaires schizo qui fossoient les livres de Philip K. Dick, de son amour pour les comics underground américains de la fin des années 1960 et des figures maudites du rock, évidemment.
Nicolas Ker réveille le saccagé mythe rock’n’roll et nous rappelle qu’il est avant tout affaire d’odyssée souterraine. Le rock n’a jamais cessé de frémir dans les interstices les plus secrets de la société et survit grâce à ceux qui résistent à tout, sauf à eux-mêmes.