Evocation d’un récent scandale d’Etat en Espagne autour de la figure fascinante d’un espion insaisissable.
La Isla mínima, le précédent long métrage d’Alberto Rodríguez, était une sorte de True Detective andalou tourné avant la célèbre minisérie. En attendant La Colère d’un homme patient (le 25 avril), excellent revenge movie réalisé par Raúl Arévalo, acteur principal de La Isla…, voici le nouveau film de Rodríguez, un thriller frénétique à la John Le Carré. L’Homme aux mille visages est inspiré par l’histoire vraie d’un espion espagnol, Francisco Paesa, qui avait déclenché un scandale d’Etat aboutissant à la chute du gouvernement socialiste de Felipe González.
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Cette affaire qui avait défrayé la chronique outre-Pyrénées dans les années 1990 est peu connue chez nous, mais peu importe tant le film de Rodríguez évoque n’importe quelle actu récente ou passée sur les grandes magouilles en hautes sphères. Guidé par une aigreur vis-à-vis de son gouvernement, par le goût de l’argent et par on ne sait quel recoin de sa personnalité, Paesa avait organisé la fuite d’un chef de la police corrompu puis sa protection pendant des années, arnaquant tout le monde au passage.
Il n’a jamais été arrêté et vit aujourd’hui en exil à Paris dans une semi-clandestinité. Figure intensément romanesque voire modianesque, Paesa tient à la fois d’Arsène Lupin, de Ziad Takieddine, de Fantômas et de Frank Abagnale Jr. (Arrête-moi si tu peux, DiCaprio/Spielberg), un type capable de se jouer de toutes les frontières, de toutes les polices, de tous les contrôles sociaux et sociétaux.
Narrée par Rodríguez à 150 à l’heure, enchaînant les simulacres, les combines, les faux papiers, les montages et les stratégies duplices qui s’emboîtent comme des poupées russes (si bien que le spectateur s’y perd parfois, mais ce n’est pas si grave), la trajectoire de Paesa indique qu’il est épuisant d’être toujours libre et riche, de ne rendre de comptes à personne, et qu’une telle existence se paie lourdement mais pas en liquide : parano de tous les instants, vie affective réduite à néant, éternelle fuite en avant…
Le style de Rodríguez est nerveux, dense, rapide (presque trop, on aimerait parfois appuyer sur pause) et il sait donner à ce monde interlope chic de la barbouzerie et de l’espionnage une consistance à l’américaine que pourraient lui envier bien des cinéastes français. Vivre illégalement demande beaucoup de boulot et d’ingéniosité, telle pourrait être l’“amorale” de ce film parfois exténuant de virtuosité.
L’Homme aux mille visages d’Alberto Rodríguez (Esp., 2016, 2 h 03)
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