A Brétignolles-sur-Mer (Vendée) et Saint-Père-en-Retz (Loire-Atlantique), des activistes locaux ont fait émerger une Zone à défendre et une Zone à protéger, avec le soutien de militants plus chevronnés. Des initiatives qui provoquent des oppositions musclées.
ZAD partout. Lorsque l’on a commencé à voir ce slogan il y a quelques années, au plus fort de la lutte contre l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), on a d’abord esquissé une moue amusée. Mais aujourd’hui, alors que l’urgence écologique s’impose dans l’opinion et que la précarité, la pauvreté et les inégalités se renforcent – exemple : le taux de pauvreté qui a augmenté en 2018 -, le modèle de la ZAD a beaucoup essaimé. Des petits collectifs s’investissent un peu partout en France contre les grands projets inutiles et imposés (GPII), lesquels ont été récemment recensés par le site Reporterre. Et le pays de Retz et la Vendée, terres pourtant conservatrices et légitimistes, ne sont pas en reste.
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Ainsi, à Brétignolles-sur-Mer (Vendée), certains luttent depuis 2003 contre la création d’un port de plaisance pour plus de 900 bateaux, avec notamment la construction de deux bassins d’eau de mer. Sur un terrain privé, pile en face de la plage de la Normandelière, une ZAD – “La ZAD de la Dune” – s’est ainsi installée début octobre.
Une cabane a été construite, tandis que des extensions sont en cours de création. Les codes culturels des Gilets jaunes ont laissé des traces, de même qu’est palpable l’influence d’Extinction Rebellion. “Nous revendiquons une non-violence absolue, on est éclectiques, c’est ce qui fait notre force, on veut changer cette image de lieu fermé liée aux ZAD. Il n’y a pas que des écologistes radicaux ou des punks, les retraités nous ont beaucoup aidé, ce sont un peu nos grands-parents”, remarque une “gardienne de la dune”, comme se sont baptisés ici les occupants, qui peuvent très bien eux-mêmes posséder un bateau de plaisance ou être surfeurs.
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Une manifestation – qui n’a ni dégénéré en violences policières, ni en crash de façades bancaires – s’est tenue le week-end du 19 octobre à La Roche-sur-Yon. L’idée : protester contre la récente déclaration d’utilité publique (Dup) entérinée par le préfet pour ce port de plaisance d’un budget estimé à 43 millions d’euros hors taxes. L’association la Vigie, qui combat depuis ses prémisses ce projet retoqué par de précédents préfets, évoque un “permis de polluer” et un “massacre” annoncé du littoral. Pour rappel, la zone humide du Marais-Girard, située à proximité, est classée zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique.
Un dialogue difficile
Le chantier prévoit en effet de couper la dune de la plage et de faire pénétrer un chenal à l’intérieur des terres, de façon à ce que les bateaux puissent entrer dans le futur port… Et ce, alors que le traumatisme de la tempête Xynthia – qui avait occasionné en février 2010 une submersion massive et causé 47 morts au total en France, dont 35 en Vendée – est encore dans toutes les têtes. “Ce port sera creusé dans une roche à onze mètres au-dessus du niveau de la mer”, tente de déminer Christophe Chabot, maire de Brétignolles, qui pousse ce dossier depuis le début de son premier mandat, en 2001. En outre, la préfecture assure que des mesures de compensations environnementales sur 150 hectares vont être mises en place.
L’édile (sans étiquette) affirme ceci : “Le préfet nous a dit que le projet ne peut être remis en cause, seuls le Premier ministre ou le président de la République peuvent le faire”. Christophe Chabot, qui se présente comme “un petit gars de gauche portant un projet exemplaire, fils du président d’honneur du comité de soutien de François Mitterrand, en 1981”, a débuté son parcours professionnel dans l’immobilier, tissant ses réseaux de la Chambre de commerce et d’industrie locale à la présidence du club de football du coin. Il est par ailleurs dirigeant d’Akena, une entreprise spécialiste des vérandas, qui est donc amenée à travailler avec des entreprises du bâtiment. “Nous aussi, on a des charpentiers de métier”, glisse une militante de la « Bréti-Zad« . Les compagnons clouent, scient, vissent pour agrandir la salle commune.
Un dortoir est déjà en place, les stocks de vivres s’accumulent : riz, soupes, couscous en boîte, brioche. A l’extérieur, une grappe de tentes est installée près de la tour de guet, tandis que 20 à 30 personnes dorment sur place. “Dès que le projet de port sera arrêté, on pliera les gaules”, assure un zadiste local, originaire des Sables-d’Olonne. “On a beaucoup à apprendre en com’ de ces gens-là, ironise Christophe Chabot. Je les envie beaucoup car, à l’inverse de nous, ils ont pignon sur rue. Mais ils ne nous empêcheront pas de faire le port. Pour l’instant, le chantier est bloqué. Soit le préfet suspend les travaux, soit nous les reprendrons lorsque nous aurons le résultat des appels d’offres, en février ou mars. Nous ne sommes pas à un mois près. Entre-temps, nous serons devenus propriétaires du terrain que les zadistes occupent et ils seront expulsés.”
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En attendant, le dialogue est difficile, les tensions exacerbées. Chaque camp déplore des menaces de mort via les réseaux sociaux, les occupants auraient même été directement inquiétés sur le terrain. “Des personnes sont passées nous dire qu’ils allaient tout brûler, raconte un zadiste. Du coup on devient un peu parano dès qu’on sent une odeur d’essence.”
“Zone à protéger”
Mais il n’y a pas qu’à Brétignolles que des initiatives émergent contre des projets de construction… et que la situation dégénère. Ainsi, à Saint-Père-en-Retz (Loire-Atlantique), la tentative de mise en place d’une ZAP, pour « Zone à protéger », sur un terrain sur lequel est prévue l’installation d’un club de surf et d’un bassin de surf artificiel – la Bergerie Surf Camp -, a suscité son lot de tensions.
Le 20 juillet dernier, en fin de matinée, alors que se préparait une manifestation d’occupation du site à l’appel de Terres Communes – un collectif paysan et d’habitants du pays de Retz qui “milite contre l’accaparement des terres” -, une trentaine d’agriculteurs et d’habitants favorables à ce projet de surf camp a en effet fait irruption avec trois tracteurs et du lisier, comme le relate Ouest-France.
“Les gendarmes qui étaient présents ont d’abord bloqué les agriculteurs, avant de cesser de les contenir. C’était hallucinant ! Ceux qui venaient s’en prendre à nous avaient des bâtons, des barres de fer, des marteaux, j’ai extirpé des malheureux de sous les pneus d’un tracteur”, relate Hubert Morice, un paysan membre du collectif. Au final, c’est l’agriculteur propriétaire du terrain, situé à dix kilomètres seulement de l’océan Atlantique, qui sera transféré aux urgences, blessé au visage.
Si depuis, un groupe de manifestants a réussi à y converger – via une manifestation dimanche 20 octobre -, plus question d’occuper le futur site d’implantation du surf park pour Terres Communes. Les militants ont à présent installé leur “ZAP la vague” sur un terrain non loin de là, à Chauvé, prêté par Hubert Morice. Mais la lutte ne s’arrête pas là, comme le souligne son fils Yoann, maraîcher bio et membre du collectif : “La bétonisation, c’est presque plus grave que l’agriculture intensive, car il faut beaucoup plus de temps pour rendre le sol concerné de nouveau fertile.”
Terres communes, devenu la bête noire de la Fnsea locale, s’alarme de la consommation d’eau de 11 050 m3 d’eau par an prévue par les porteurs du projet afin de créer des vagues artificielles – de façon à bénéficier, comme il est écrit sur le site du surf camp, d’une “vague parfaite, disponible tous les jours sur demande, quelle que soit la météo”. Et ce, alors que la Loire-Atlantique et la Vendée sont les zones de la région les plus exposées au stress hydrique.
“Si la sécheresse s’était prolongée de 15 jours cet été, Nantes aurait vécu une situation de crise aiguë vu la fragilité de ses réserves d’eau. On a bien vu l’assèchement radical des abords de la Loire en amont de Nantes, du côté d’Ancenis”, remarque Loïc de Terres Communes, qui doute par ailleurs de la pertinence d’un tel équipement pour répondre à la demande actuelle des surfeurs. Le site du surf camp avance en effet que le projet va créer des emplois et “accompagnera l’extraordinaire engouement pour les sports de glisse et formera, peut-être, les futurs champions des JO de 2 024 à Paris”, tandis que Yoann Morice, lui, estime que l’“on veut toujours créer de nouveaux besoins alors que c’est justement ce qui nous a menés dans le mur”. Comme le souligne l’AFP, la communauté de communes a décidé de déclasser les huit hectares nécessaires au surf camp, jusqu’ici considérés comme « espaces agricoles pérennes », tandis que les porteurs du projet affirment qu’en guise de compensation, douze autres hectares auraient été reclassés comme terres agricoles.
Le réseau zadiste mobilisé
Sollicité par les Inrocks, le préfet de Loire-Atlantique Claude d’Harcourt n’a pas donné suite. En revanche, les entrepreneurs derrière le projet de Bergerie Surf Camp, à qui n’a pas encore été délivré de permis de construire, sont plus loquaces. Ils seraient en pleine phase d’ajustement, notamment pour être dans les clous par rapport à l’étude environnementale à laquelle ils devront se plier. “Nous travaillons en priorité sur les consommations d’eau”, nous explique Thibault Coutansais, l’un des deux porteurs du projet, qui regrette que le conseil départemental, probablement rebuté par un Notre-Dame-des-Landes bis, ne les soutienne plus. Et ce, alors que selon lui “il avait connaissance de notre projet à travers le plan local d’urbanisme. La région est un peu propice à la contestation, parmi les opposants se trouvent d’anciens zadistes, ils ne s’en cachent même pas d’ailleurs”.
Reste que si des vétérans de Notre-Dame-des-Landes ont pu apporter leur expertise, les interconnexions sont bien plus complexes. Lesquelles reposent avant tout sur la « ZAD mobile », un collectif nomade d’une centaine de personnes qui comprend plusieurs militants de la ZAD du Moulin, à Strasbourg. La ZAP de Chauvé a également filé un coup de main à la ZAD de Bretignolles. “La lutte n’est pas juste locale, plein de copains viennent de Paris”, ajoute Juliette, occupante de Chauvé. “Dans une période de convergence des luttes, de Gilets jaunes, on s’attaque à un symbole bourgeois, emblématique d’une certaine aisance”, résume Loïc de Terres Communes. Le collectif a aussi désormais en ligne de mire un projet de 1 10 hectares de zone industrielle à Frossay, en bord de Loire. Secteur qui avait été aussi submergé en partie il y a dix ans… par la tempête Xynthia.
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