Le comédien et la danseuse japonais·es se retrouvent sur le plateau dans “Le Tambour de soie”, entre tendresse bouleversante et cruauté intemporelle.
Selon les techniques d’un artisanat japonais ancestral, l’usage de la soie tressée est consacré à la résonance des instruments à cordes tandis que la peau tendue est réservée à la fabrication des percussions. L’idée de concevoir un tambourin de soie s’apparente à l’invention d’une chimère qui aboutit à la création d’un instrument contre-nature, incapable de répondre à l’usage pour lequel il est destiné.
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L’objet factice pourrait correspondre à la définition d’un simple accessoire de théâtre, mais l’art du nô s’en est emparé pour cristalliser l’impossible rapport qui pourrait exister entre un vieil homme et une jeune femme en filant la métaphore d’un questionnement délicat sur l’impuissance sexuelle liée à l’âge.
https://vimeo.com/459055339
Réunis une première fois en 2014 avec Yumé, un projet déjà inspiré d’un nô, l’acteur Yoshi Oïda et la danseuse Kaori Ito se retrouvent sur le plateau pour réactiver au présent la tradition théâtrale séculaire avec Le Tambour de soie.
Tout découle de la simplicité de ce moment de grâce
Après avoir été un grand classique du nô traditionnel, la pièce titrée en japonais Aya no Tsuzumi fait désormais partie du répertoire contemporain depuis qu’elle figure dans le recueil des Cinq Nô modernes signé dans les années 1950 par Yukio Mishima. Inspiré par la réécriture qu’en fait le poète, Jean-Claude Carrière a procédé pour les deux artistes à une adaptation sur mesure de cette histoire aux allures de conte cruel.
Tandis que le petit tambour de soie trône à l’avant-scène, pareil au fruit défendu d’un désir condamné à demeurer à jamais inassouvi, le spectacle s’ouvre sur la parenthèse intime du temps d’avant la représentation où chacun vaque à ses occupations. Un homme de ménage (Yoshi Oïda) passe un dernier coup de balai sur le plateau, un musicien (Makoto Yabuki) s’affaire autour des percussions, et une danseuse (Kaori Ito) s’échauffe sans prendre garde aux regards de ces deux-là.
Tout découle de la simplicité de ce moment de grâce. La mécanique du drame s’enclenche avec l’aveu du coup de foudre éprouvé par le balayeur et entraîne la réponse de la danseuse qui préfère lui lancer le défi de faire résonner le tambour factice pour obtenir un rendez-vous plutôt que décliner ses avances.
Un silence assourdissant
A la croisée de leurs carrières exemplaires, cette rencontre entre Yoshi Oïda et Kaori Ito devient prétexte à transmission dans une inversion des rapports de savoir entre le comédien et la danseuse. Avec sa silhouette de femme-enfant au charme irrésistible, celle qui nous a fasciné·es dans les chorégraphies d’Alain Platel ou le théâtre de James Thierrée va devenir l’initiatrice de celui qui fut le compagnon de route des aventures théâtrales de Peter Brook.
Qu’importe alors que le silence du fameux tambour de soie demeure assourdissant, c’est avec un bonheur sans pareil que l’on découvre Yoshi Oïda osant pour la première fois se confronter à la pratique de la danse à l’âge de 87 ans. Même si leur immense complicité a tendance à tordre le cou à la fable, la performance chorégraphique qui les unit à travers la pyramide des âges est une parade amoureuse aussi irrésistible qu’inoubliable.
Le Tambour de soie – un nô moderne texte de Jean-Claude Carrière, d’après Yukio Mishima, mise en scène, scénographie et jeu de Kaori Ito et Yoshi Oïda, avec Makoto Yabuki. Du 29 octobre au 1er novembre, Espace Cardin-Théâtre de la Ville, Paris
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