L’embourgeoisement du cinéma de Jean-François Richet (« Mesrine ») atteint son niveau maximal avec cette fresque en costumes ronronnante consacrée à l’aventurier mi-réel mi-fictif Eugène-François Vidocq. Mis à part le faste de la reconstitution historique et la certaine tenue formelle du projet, pas grand chose à se mettre sous le chapeau. (Spoilers)
Cet article comporte des révélations sur l’intrigue de L’Empereur de Paris.
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Après s’être échappé de façon spectaculaire des plus grands bagnes du pays, l’aventurier François Vidocq (Vincent Cassel) tente de se faire oublier sous la fausse identité d’un marchand de tissus. De retour à Paris sous le règne de Napoléon, il rencontre une jeune voleuse et se fait démasquer par de vieux compagnons d’infortune. En échange de sa lettre de grâce, il propose au chef de la sûreté ses services pour combattre la pègre, menée par deux inquiétantes figures de son passé…
L’Empereur de Paris s’inscrit dans une veine bien répertoriée du cinéma hexagonal, celle du récit d’aventure en costumes à la fois populaire et patrimonial dont Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas constituerait la source littéraire. On y retrouve la reconstitution historique fastueuse, la galerie de visages connus et les marqueurs culturels propres à ce genre de fresques prétendument rassembleuses, auquel on pourrait rattacher L’Homme au masque de fer ou Fanfan la tulipe. Il succède à l’improbable Vidocq de Pitof, premier film français entièrement tourné en HD dans lequel l’ex-voleur devenu policier était incarné par Gérard Depardieu.
Une fresque en costumes beaucoup trop sage
Mais là où le Vidocq de 2001, véritable bric-à-brac informe à haute teneur nanardesque, expérimentait à tout va (et surtout dans le mauvais sens) mais avec gourmandise, celui de 2018, volontairement sobre et réaliste, pèche un peu par retenue. Richet, qu’on a connu plus inspiré, semble avoir placé son entreprise sous la loi du risque minimum. Les acteurs restent tous dans leur zone de confort (Cassel est taciturne, Ménochet bougon et Luchini volubile) et la mise en scène assez illustrative, exceptés une caméra à l’épaule nerveuse durant les affrontements et quelques plans grue inspirés.
Le film n’évite par non plus les nombreux écueils propres à un pan de la fiction historique made in France, récemment saillants dans Un Peuple et son roi de Pierre Schoeller : artificialité pesante des dialogues, didactisme politique, scènes d’action un peu toc et humour mal distillé. L’Empereur de Paris manque de puissance d’incarnation, et d’un souffle capable de transposer à l’écran le potentiel feuilletonesque et délirant du matériau d’origine. Quand on pense aux Detective Dee de Tsui Hark ou, dans une moindre mesure, aux Sherlock Holmes de Guy Ritchie, notre Vidocq national paraît bien sage.
Où en est le duo Cassel – Richet ?
Le film se montre plus gênant dans le traitement de ses deux seuls personnages féminins, interprétés par Freya Mayor et Olga Kurylenko. Inscrites d’emblée dans une dynamique érotique avec le personnage principal, elles sont réduites à des fonction narratives extrêmement phallocrates : Annette est la prostituée au grand coeur à sauver, la baronne la courtisane manipulatrice à dompter. Constamment mise en danger, utilisée comme monnaie d’échange et in fine assassinée, la première ne sert qu’à motiver la quête de vengeance du personnage, quand la seconde est opportunément évacuée du récit une fois son rôle d’intrigante accompli.
À ce parfum macho échappé d’Un moment d’égarement (2015) s’ajoute un sous-texte conservateur qui prend à rebours l’élan anarchique du diptyque Mesrine (2008). Le Vincent indomptable a laissé place à un Cassel tête baissée, ex-voleur collaborant avec la police et exécutant les criminels sans autre forme de procès. Le Premier Empire est glorifié au détour d’un dialogue comme ayant sauvé la France de l’anarchie postrévolutionnaire, Fouché décrit la politique de Napoléon en s’emparant de la rhétorique macroniste et la foule en colère est comparée à une meute d’animaux…
Le Duo Cassel – Richet, un peu rouillé, semble s’être embourgeoisé et avoir rejoint la norme dans le même mouvement résigné qui accompagne l’étonnante dernière séquence du film, qu’on se gardera ici de dévoiler. Aveux de regrets à demi-mots ?
L’Empereur de Paris de Jean-François Richet (Fr., 1h50, 2018), avec Vincent Cassel, Freya Mayor, August Diehl…
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