Des compilations de grands classiques (signés Atari, Sega, SNK…) aux rééditions de prestige en passant par les consoles miniatures avec une sélection de hits vidéoludiques intégrés comme, aujourd’hui, la PlayStation Classic, les jeux du passé sont omniprésents en cette fin d’année. Mais de ces approches très diverses découlent des expériences qui ne le sont pas moins.
Qu’il est triste de penser que, pour Noël, certains ne recevront qu’un seul jeu vidéo en cadeau – un simple Red Dead Redemption 2, un pauvre Super Smash Bros – quand d’autres pourraient bien en avoir cent-cinquante. Oui, 150 : c’est le nombre de titres présents sur la version Switch de la compilation Atari Flashback, disponible depuis peu en édition américaine (compatible avec les consoles européennes) et attendue officiellement en France courant janvier. Alors, certes, il y a un truc : certains classiques vidéoludiques des années 1970-1980 comptent triple car leurs versions pour salles d’arcade sont accompagnées des adaptations pour les consoles préhistoriques Atari 2600 et 5200 et, par ailleurs, on compte ici beaucoup de simulations sportives plus pittoresques que passionnantes à jouer aujourd’hui, mais quand même.
Certes, aussi, certains jeux ayant marqué, pour le meilleur ou pour le pire, l’histoire des machines à jouer Atari sont absents pour des questions de droits (Star Wars, E.T., Pac-Man, Space Invaders ou toutes les productions Activision comme Pitfall!). Il n’empêche : c’est un vrai petit musée du jeu vidéo primitif (avec, ce qui est fort appréciable, des reproductions des manuels d’époque) qui est ainsi contenu dans la petite cartouche Switch (ou le modeste fichier de 375Mo à télécharger). Et les perles ne manquent pas : Tempest, Asteroids, Adventure, Yar’s Revenge ou encore Millipede – et, mon dieu, que Millipede est bon…
Une borne d’arcade à frabriquer
Notre autre chiffre du jour est le 1. Un, comme le nombre de jeu (au singulier, du coup) présent dans la luxueuse édition Retrocollector de Toki, disponible elle aussi sur la Switch. Toki fut un jeu de plateforme et d’action rigolo mais d’une importance historique discutable lancé dans les salles d’arcade japonaises en 1989 et adapté les années suivantes sur la plupart des plateformes ludiques de l’époque. On y dirige, à travers une série de niveaux riches en dangers, un humain changé en gorille et parti à la recherche d’une princesse qui s’est malencontreusement fait enlever. Mais, dans la boîte de cette nouvelle édition aux personnages et décors soigneusement redessinés à la main, le jeu lui-même n’est presque qu’un élément parmi d’autres, avec la bande dessinée, les lithographies et la mini-borne d’arcade en carton à monter soi-même pour y glisser l’écran de la Switch et faire comme si – comme si on était en 1989, dans une salle de jeu, avec éventuellement un jean Liberto, des Creeks aux pieds et une coupe de cheveux inspirée de celle de Morten Harket, le chanteur de a-ha.
Bon. Un ou cent-cinquante, l’élu magnifié ou l’abondance à défricher, le culte du dispositif ou le face-à-face avec les œuvres : entre ces deux extrêmes, l’industrie du jeu vidéo cherche la meilleure façon de faire exister (et d’exploiter commercialement) son passé qui, ce qui paraît logique, n’a jamais été aussi vaste : 46 années ont passé depuis Pong (qui figure d’ailleurs sur la compilation Atari Flashback) et le “rétro”, c’est désormais aussi le début des années 2000, la génération GameCube-PlayStation-Xbox, Super Mario Sunshine, Ico et Panzer Dragoon Orta.
Le charme des gros polygones
Aujourd’hui cohabitent trois approches. Il y a d’abord l’anthologie, qui, avec le temps, a gagné en sophistication. La récente et épatante compilation SNK 40th Anniversary Collection propose ainsi non seulement une bonne vingtaine de jeux d’arcade (Ikari Warriors, Alpha Mission, Prehistoric Isle, Athena…) pour certains excellents, mais aussi leurs adaptations sur console et une riche base de données sur les autres œuvres de son éditeur plus connu aujourd’hui pour la Neo Geo et The King of Fighters. Dans le même esprit, on recommande aussi chaudement Sega Mega Drive Classics, qui regroupe 50 titres des années Sonic-Golden Axe-Streets of Rage et vient d’arriver sur Switch, quelques mois après sa sortie sur les autres consoles, ou le Capcom Beat’em Up Bundle qui retrace joliment l’histoire d’un genre en sept jeux de l’éditeur japonais (dont les anthologies Mega Man, Street Fighter et Disney Afternoon sont aussi très fréquentables).
A l’opposé, on trouve la réédition de prestige : un seul jeu, mais remasterisé et/ou joliment emballé. Emballé, c’est aussi ce que l’on fut quand le grand Ikaruga apparut sur la Switch, quand Windjammers revint au premier plan ou quand Wonderboy : The Dragon’s Trap bénéficia d’un sublime lifting. La troisième et dernière tendance est plus étrange, car elle se focalise sur l’objet. Après les rééditions miniatures, ces deux dernières années, des NES et SNES de Nintendo, place cette année à la Neo Geo Mini et, surtout, à la PlayStation Classics qui intègre vingt jeux de la première console de Sony.
Cette PlayStation miniature souffre de certains défauts (à commencer par l’absence de version française, difficilement pardonnable pour une machine dont la vocation devrait aussi être de faire découvrir ces jeux à une nouvelle et jeune génération), mais qui remplit globalement sa mission : nous faire entrer en contact, non seulement avec des jeux (Oddworld : Abe’s Oddysee ou Ridge Racer Type 4, au hasard), mais avec une époque, c’est-à-dire aussi une esthétique, des valeurs, un rythme. Loin de la dictature de la netteté, les gros polygones ne manquent pas de charme (même si celui des gros pixels est plus renommés) et il y a quelque chose d’émouvant à se dire que c’est comme un voile, celui du temps écoulé, qui s’est déposé sur les images (pourtant inchangées, mais plus granuleuses que celles des jeux actuels) de Metal Gear Solid ou de Final Fantasy VII.
L’esprit de “Ready Player One”
Il y a une douzaine d’années, on se souvient que, dans la compilation Activision Anthology (dont on accueillerait volontiers une réédition sur les consoles actuelles, soit dit en passant) parue sur PSP avaient été inclus, en plus des jeux, une sélection de tubes des années 1980 (dont Take on Me de a-ha, que l’on exclut pas d’évoquer une troisième fois d’ici la fin de cet article). La décision était surprenante, mais elle rejoignait au fond le projet des mini-consoles Nintendo ou Sony, de la borne en kit Toki ou du menu de Sega Mega Drive Classics reproduisant une chambre d’ado avec téléviseur et étagère sur laquelle sont méticuleusement alignées les cartouches de jeux. Au-delà du commerce de la nostalgie et dans un esprit très Ready Player One, c’est l’idée que les jeux ne sont pas indépendants de leur temps et que, pour les apprécier pleinement, se laisser transporter un peu dans le passé, au moins mentalement, pourrait bien être nécessaire ou au moins intéressant. La principale réserve que l’on peut avoir est que, parfois, le fétichisme fait écran et que ce qu’on expérimente est au fond autre chose que le jeu lui-même.
Mais tant pis si les approches sont un rien contradictoires et leurs effets très divers. Et tant pis si, comme avec les futures consoles rétro-mais-pas-trop d’Intellivision et d’Atari, il est parfois délicat de faire le tri entre l’idéalisme (mes amis, retrouvons tous ensemble la simplicité des jeux d’antan !) et le marketing de la nostalgie. Car l’essentiel est ailleurs : jadis négligés par les éditeurs et souvent seulement sauvés de l’oubli par quelques passionnés, les jeux du passé n’ont jamais été aussi présents. On y joue comme à ceux d’aujourd’hui, non pas à la place mais à côté et en même temps. Il serait ainsi peut-être temps d’abandonner le mot “retrogaming” dont il n’existe d’ailleurs aucun équivalent pour la fréquentation des “vieux” films, livres ou disques (quand bien même il s’agirait de Scoundrel Days de a-ha). En 2018, on ne joue plus “rétro”, en touriste un brin moqueur ou en militant. On joue (à Assassin’s Creed, à Vanguard, à Ristar…), tout simplement.
Atari Flashback Classics (Atari), à paraître le 18 janvier sur Switch, environ 30€. Également disponible en trois volumes sur PS4 et Xbox One
Capcom Beat’Em Up Bundle (Capcom), sur PS4, Xbox One, Switch et PC, environ 20€
Sega Mega Drive Classics (Sega), sur PS4, Xbox One, Switch et PC, environ 30€
SNK 40th Anniversary Collection (SNK), sur Switch, environ 30€
Toki – Edition Rétrocollector (Microids), sur Switch, environ 50€
Console PlayStation Classic (Sony), environ 100€