Dix ans se sont écoulés depuis la sortie française du premier film de Xavier Dolan, J’ai tué ma mère (2009). Alors que son huitième film est à l’affiche, retour en musique sur dix ans de cinéma avec une playlist de 21 titres prélevés dans la filmographie du réalisateur canadien.
A l’occasion de la sortie de son huitième film, Matthias et Maxime, qui est actuellement en salles, TROISCOULEURS et MK2 se sont entretenus avec Xavier Dolan au sujet de son rapport à la musique. Dans ce podcast disponible sur Spotify, le réalisateur parle de la puissance émotionnelle des chansons qui l’ont marqué et de l’attention qu’il accorde à la bande-son de ses films.
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Un amour des sons et des atmosphères qu’ils véhiculent qui embaume toute la filmographie du cinéaste québécois, dont chaque morceau, comme une fleur, colore de sa nuance particulière des scènes mémorables, enveloppant les images d’un parfum tantôt voluptueux, tantôt âcre.
« Pour moi, la musique c’est deux choses. C’est la sexualité, le pouvoir : sentir qu’on est puissant à travers une musique, sentir qu’on est invincible à travers une musique, ou sentir qu’il y a quelque chose de sexuel, de sensuel qui s’opère, qu’on est désiré, qu’on est désirable, qu’on a envie de désirer quelqu’un. (…) Ou alors c’est tout simplement la nostalgie, la mélancolie, le temps qui passe, la vie, une espèce de sens automnal, un peu mélo de l’impuissance qu’on a tous devant la gravité de la vie, qu’on oppose à la légèreté de nos existences » analyse Dolan.
Un goût doux-amer
Sensualité et vague à l’âme ne cessent de s’entremêler dans son cinéma, où les émotions s’entrechoquent et suivent une ligne brisée qui va du plaisir aux larmes et des larmes au plaisir. L’emploi systématique d’une musique empathique, dont les sonorités (et les paroles) correspondent à l’émotion communiquée par l’image, laisse peu de répit aux spectateurs, embarqués le temps d’un film sur des montagnes russes émotionnelles.
Au désir impérieux et à l’exubérance des corps semble toujours faire écho une mélancolie bleutée, puisque même les titres les plus insolites que choisit Dolan découlent de sa propre nostalgie d’une époque révolue. Juste la fin du monde passe ainsi du récréatif Dragostea Din Tei d’O-Zone au vaporeux Une miss s’immisce d’Exotica, sans que la différence de registre ne crée de rupture d’effet. Car les deux morceaux tiennent sur le même fil du sentiment, sur cette zone limitrophe où le sucré se teinte d’acide et donne au souvenir ce goût doux-amer si propre au cinéma de Dolan – « bittersweet », disait The Verve.
Deux ans avant Juste la fin du monde et les pas dansés de Gaspard Ulliel, Léa Seydoux et Nathalie Baye sur le morceau d’O-Zone, la scène de danse impromptue de Mommy se déroulait sur le prémonitoire On ne change pas de Céline Dion, scellant l’amitié entre Diane (Anne Dorval) et sa voisine Kyla (Suzanne Clément), entraînées par le jeu séducteur du jeune Steve (Antoine Olivier Pilon). Une sensualité qui laissait place, plus tard dans le film, à Experience de Ludovico Einaudi, qui cristallisait si bien ce sens automnal évoqué par Dolan.
La musique au cœur du récit
Un morceau instrumental qui avait d’ailleurs inspiré au cinéaste la séquence rêvée par Diane, où l’on voit défiler des fragments de la vie imaginée de Steve, condensé d’un bonheur qui n’adviendra jamais. Dolan explique qu’il avait déjà l’idée de Mommy avant de découvrir Experience, mais que c’est le morceau d’Einaudi qui lui a permis de donner forme au film : « J’ai imaginé une mère qui fantasme un futur glorieux, heureux, accompli pour son fils difficile et puis est né le film après tout autour. »
Si la musique peut inspirer le scénario et vice-versa, autrement dit se placer avant (la musique suggère l’image) comme après l’image (l’image suggère la musique), Dolan explique par ailleurs qu’au fil du temps la musique s’est aussi déplacée de l’extérieur du film vers la diégèse (l’espace narratif de la fiction).
A ses débuts, les chansons jouaient « sur le film », imposant le choix d’un narrateur – Dolan lui-même – au monde de la fiction. Une forme de toute-puissance à laquelle le cinéaste a partiellement substitué un rapport plus direct entre le son et l’image. Le recours inconditionnel à la musique de fosse (qui n’existe pas dans la narration et que les personnages n’entendent pas) s’est estompé au profit d’une musique d’écran (que les personnages peuvent entendre). En faisant jouer la musique « dans le film », le cinéaste créait alors un lien plus étroit entre la bande-son et la narration et faisait de ses personnages les maîtres du son.
La bande-son comme archive des sentiments
La bande-son des films de Xavier Dolan peut diviser : excessive, trop sucrée, nécrosée par la variété et noyée par l’émotion. Qu’à cela ne tienne, Dolan reste fidèle à lui-même et se livre entièrement d’un film à l’autre, car « on a toujours un geste qui trahit qui l’on est » (Céline Dion), et continue de distiller dans ses œuvres la musique qui l’habite pour conjurer le sort réservé aux « chansons qui meurent aussitôt qu’on les oublie » comme le chantait Michel Legrand dans Les Moulins de mon cœur.
« Ce qui nous rend le plus heureux c’est les chansons qui nous parlent d’où on vient, de qui on était, de ce qu’on vivait quand on avait moins de soucis, quand on n’était pas encore baisés, quand on n’était pas encore dans la merde dans laquelle on est aujourd’hui, avec des gouvernements horribles, tyranniques, facho, qui détestent tout, l’environnement, les gays, l’Islam, à une époque où on avait un peu plus d’espoir, où on était plus green, où on pensait qu’on allait l’emporter, on savait que Bush allait débarquer, on était contents qu’Obama arrive, on était jeunes encore et c’est les morceaux de cette époque-là qui nous importent » conclut le cinéaste, balayant de ces paroles exaltées les critiques de ses plus fervents détracteurs.
La bande-son est donc envisagée comme une archive des sentiments, que dix ans de cinéma nous incitent à rouvrir. Alors que Matthias et Maxime est actuellement à l’affiche, voyage en playlist, donc, vers cet univers doux-amer. « Attache ta ceinture », comme dirait Diane :
Notre playlist, film par film (à écouter ci-dessous) :
J’ai tué ma mère (2009)
« Tell Me What To Swallow », Crystal Castles
« Noir désir », Vive la fête
Les Amours imaginaires (2010)
« Pass This On », The Knife
« Le temps est bon », Isabelle Pierre
Tom à la ferme (2012)
« Pleurs dans la pluie », Mario Pelchat
« Les Moulins de mon cœur », Michel Legrand
Laurence Anyways (2012)
« Moisture », Headman
« Pour que tu m’aimes encore », Céline Dion
« A New Error », Moderat
Mommy (2014)
« On ne change pas », Céline Dion
« Wonderwall », Oasis
« Vivo per lei », Andrea Bocelli, Georgia
« Experience », Ludovico Einaudi
« Born to Die », Lana Del Rey
Juste la fin du monde (2016)
« Natural Blues », Moby
« Dragostea Din Tei », O-Zone
« Une miss s’immisce », Exotica
Ma vie avec John F. Donovan (2018)
« Sulk », TR/ST
« Bittersweet Symphony », The Verve
Matthias et Maxime (2019)
« Work B**ch », Britney Spears
« Always On My Mind », Pet Shop Boys
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