Le 1er octobre sur Netflix a débarqué l’indémodable Clueless, teen movie par excellence réalisé par Amy Heckerling dont on fête le vingt-cinquième anniversaire cette année. Retour sur l’aura d’un monument de la pop culture.
L’adolescente, Cher Horowitz, est une Barbie plus vraie que nature à la plastique irréprochable, habitant un manoir immaculé sur les hauteurs de Beverly Hills. Sa regrettée maman est morte lors d’une liposuccion qui a mal tourné et son gentil papa n’est rien d’autre qu’un requin d’avocat. Avec sa meilleure amie Dionne, elles arpentent les couloirs du lycée dont elles sont les reines, munies de leurs téléphones dernier cri et se réfugient dès la moindre contrariété dans leur centre commercial préféré.
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Bref, tout commence pour le mieux dans le monde des teen movies, bourrés de leurs habituels stéréotypes aussi jouissifs qu’exaspérant, accompagnés d’une bonne dose de second degré. Alicia Silverstone, repérée dans le clip kitchissime d’Aerosmith « Crying », prête ses traits à notre héroïne. Bienvenue dans l’american way of life des années 1990 où consumérisme rime avec nihilisme.
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Girls will be girls
Seulement voilà, en quelques minutes, Clueless vient de révolutionner un genre qui s’essoufflait depuis quelques années déjà. Si l’on ne sait pas de quand date précisément la naissance du teen movie – de l’époque de La Fureur de vivre ou dans les années 1980 avec le succès des films de John Hughes (Seize bougies pour Sam, Breakfast Club, La Folle journée de Ferris Bueller) ? – toujours est-il que l’on oscille généralement entre un Christian Slater et un Tom Cruise, icônes des buddies movies : films de mecs obsédés, à quelques détails près, par la perte imminente de leur virginité.
La réalisatrice excellait d’ailleurs déjà dans ce domaine, ayant à son actif Ça chauffe au lycée Ridgemont ou Johnny le dangereux. Pourtant en 1995, Heckerling décide de placer un groupe de filles au centre de son histoire. Ce choix nous paraît des plus banals aujourd’hui, mais il lui vaudra de se voir refuser l’entrée de la 20th Century Fox – qui juge le scénario « trop féminin » – et d’atterrir chez la Paramount, pour le plus grand plaisir de sa société sœur, MTV.
Fake Plastic Trees
Au-delà de son casting de filles branchées, l’intemporalité de Clueless est due bien sûr à son sujet. Et pour cela Heckerling choisit le meilleur modèle, l’indétrônable Jane Austen et son roman Emma. Pour résumer, notre protagoniste joue les entremetteuses et souhaite faire le bien autour d’elle, même si elle ne connaît pas grand-chose au monde qui l’entoure – d’où le titre « clueless » à savoir « aucune idée ». De ce parfait mariage entre romantisme naïf et satire décapante résulte la recette gagnante : un récit d’apprentissage en bonne et due forme sur fond d’ambiance délicieusement sarcastique.
Pour moderniser le tout, la réalisatrice s’infiltre dans un vrai lycée pour recueillir les toutes dernières expressions du moment, à l’image du « as if !« , entré depuis au Panthéon des répliques cultes. Avec ses dialogues ciselés et ses punchlines par centaines, Clueless se veut aussi rafraîchissant et dynamique que ses héroïnes. Autre indice de son originalité, sa bande-son légendaire : ode au toc avec Fake Plastic Trees de Radiohead, à l’insouciance avec Kids in America ou Alright de Supergrass et à la mélancolie douce avec la reprise des Cranberries, Away.
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« Nobody’s perfect ! »
Si Clueless est un pur produit de son époque et capte avec brio l’essence des années 1990 – Cher connaît Hamlet sur le bout des doigts grâce à Mel Gibson, adore les cours d’aérobic de Cindy Crawford et toutes les filles du lycée se font refaire le nez – la force du film tient surtout à la description sensible qu’il fait de cet âge ingrat, à l’orée d’un monde adulte qu’on dénigre autant qu’on envie. Dans un égocentrisme permanent, tous les personnages se cherchent et se rêvent autre, sans prêter attention à leurs camarades. La jeune fille ne remarque par exemple pas que son nouvel amoureux a un penchant un peu trop prononcé pour Tony Curtis (« Nobody’s perfect !« ).
Le diktat général semble imposé par le cinéma lui-même : se mettre en scène quoiqu’il advienne. L’héroïne règle donc les lumières lors de son premier rencard et tente une pose sexy sur son lit avant de finir carrément au sol. Son demi-frère quant à lui, hipster en devenir, se balade avec un livre de Nietzsche sous le bras, qui fait plutôt office de sac à main. Posant un regard affectueux sur ses personnages, qu’elle moque autant qu’elle sublime, la réalisatrice fait finalement preuve d’un sens accru de réalisme : peindre cette époque de l’adolescence à l’immaturité bénie que beaucoup viendront à regretter. La virginale Cher n’est d’ailleurs pas si peste qu’elle en a l’air puisqu’elle avoue préférer les dessins animés aux soirées dépravées.
Hot chick forever
Clueless enfantera bon nombre d’héritiers : autres adaptations sulfureuses de grands classiques de la littérature (Roméo + Juliette, Dix bonnes raisons de te larguer, Sexe Intentions) et ouvrira la voie au règne des hot chick au grand écran. Ce dernier sera renversé dans Lolita Malgré Moi ou Easy Girl, mais retrouvé plus tard dans The Bling Ring de Sofia Coppola ou encore Spring Breakers d’Harmony Korine. Moins punk et corrosif que son double Fatal Games à l’humour noir certain, le long-métrage trouvera une place de choix dans la pop culture, toujours sagement transgressive.
On ne compte plus les références au film, qui se déclinera d’abord en une série de 62 épisodes jusqu’en 1999 : le clip d’Iggy Azalea featuring Charlie XCX « Fancy » misera sur son côté le plus bitchy. Tinashe ou Ariana Grande reprendront l’ensemble à carreaux culte de Cher. Un futur reboot ainsi qu’une comédie musicale sont en préparation et une application permet même d’obtenir le fameux dressing connecté de l’adolescente. Succès critique et public dès sa sortie, Clueless a révolutionné le genre du teen movie et fixé dans l’ambre un style – une manière d’être, de se vêtir, de parler – qui 25 années après sa sortie garde un pouvoir d’attraction intact.
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