Derrière la déferlante de sorties très attendues (Red Dead Redemption 2, Assassin’s Creed, Spider-Man), une vague de contestations autour des conditions de travail s’est fait jour dans l’industrie.
“Tout le monde est là !” Mario, Donkey Kong, Pac-Man, Solid Snake, Bayonetta, Mega Man, les villageois d’Animal Crossing… Il sont déjà plus de soixante-dix, et d’autres devraient peu à peu les rejoindre. Le gotha du jeu vidéo s’est donné rendez-vous pour se friter en toute amitié dans Super Smash Bros. Ultimate, le dernier grand jeu aux allures de gourmandise effectivement ultime pour les gameurs nippophiles d’une année animée. Ils sont tous présents et, pour être sûrs de ne pas passer inaperçus, Kirby, Sonic et les autres ont revêtu de très seyants gilets jaunes. Le monde du jeu vidéo est en colère et entend bien le faire savoir.
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On n’en est pas encore là mais, pour l’industrie vidéoludique, 2018 aura été l’année d’un certain rappel au réel. L’année où il sera devenu de plus en plus difficile d’ignorer que, derrière les jeux toujours plus spectaculaires et luxueux, il y a des gens qui travaillent dans des conditions pas toujours idéales et qui aimeraient bien qu’on les respecte un minimum et, aussi, qu’on les autorise à avoir une vie.
Cent heures de travail par semaine pour développer « Dead Redemption 2 »
Une petite phrase, une vantardise même, de Dan Houser, le directeur créatif de Rockstar Games, à quelques jours du lancement de son faramineux Red Dead Redemption 2, a mis le feu aux poudres. Pour finir le jeu, déclarait Houser dans un article hagiographique du site Vulture, l’équipe de développement a travaillé jusqu’à cent heures par semaine. Scandale. Mais non, assurait quelques jours plus tard Houser, on l’avait mal compris : il ne parlait que de lui-même et de quelques-uns de ses plus proches collaborateurs de la cellule d’écriture. Sans convaincre.
Peu après, paraissait sur le site Kotaku une enquête fleuve de l’indispensable journaliste américain Jason Schreier qui détaillait, des dizaines de témoignages à l’appui, la “culture du crunch” chez Rockstar. Le crunch, c’est cette période, souvent à la fin du développement d’un jeu mais pas seulement, où les horaires de travail deviennent déments et la pression sur les salariés, particulièrement intense.
C’est une (mauvaise) habitude très répandue et encore souvent jugée “normale” dans le monde du jeu vidéo. Parce que, vous voyez, ce qui compte, c’est la passion, et quand on aime, on ne compte pas (les heures au bureau).
Des méthodes de management douteuses
La polémique autour de Red Dead Redemption 2, qui faisait écho au livre Du sang, des larmes et des pixels (Mama Books) du même Jason Schreier paru en France avant l’été, n’a pas été le seul événement de ce type. Il y eut aussi la forte émotion suscitée par l’annonce brutale du licenciement, sans préavis ni indemnités, de la quasi-totalité des développeurs de Telltale Games en pleine production du jeu épisodique The Walking Dead.
Telltale qui, justement, était connu pour exiger énormément de ses employés. La France n’est pas épargnée : en janvier, une enquête menée par Le Monde, Mediapart et Canard PC dévoilait les méthodes de management douteuses du studio parisien Quantic Dream (responsable, lui aussi, de l’un des meilleurs jeux de l’année, Detroit : Become Human).
Le mois suivant, les salariés d’un autre développeur basé à Paris, Eugen Systems (Act of Aggression, Wargame), se mettaient en grève en dénonçant des “atteintes à leurs droits”. Du côté des joueurs, en 2018, il a bien fallu abandonner l’illusion que les jeux se font presque tout seuls, dans la joie et la bonne humeur. Tant mieux.
Pendant ce temps, sur nos consoles et nos PC, ce fut un feu d’artifice dont la forme pourrait être une autre preuve qu’après toutes ces années, le jeu vidéo arrive finalement à maturité. De plus en plus clairement, les sorties se classent dans trois catégories qui recoupent celles des autres industries culturelles.
Un tsunami de blockbusters
D’abord, il y a les blockbusters et productions de prestige. En la matière, 2018 a été royale avec, en plus de Red Dead Redemption 2, le meilleur Assassin’s Creed depuis peut-être une décennie, le très bon Spider-Man, le retour en forme de God of War, le Monster Hunter (sous-titré World) du renouveau, mais aussi Shadow of the Tomb Raider, Hitman 2 ou, au tout début de l’année, Dragon Ball FighterZ.
Pendant ce temps, les créateurs indépendants ne se relâchent pas et, de Celeste à Monster Boy et le royaume maudit en passant par Hollow Knight, Minit, Return of the Obra Dinn, Planet Alpha ou le merveilleux Dead Cells, nous ont offert certaines des expériences ludiques les plus inventives et surprenantes – et les plus émouvantes telles que Florence – de l’année.
Ils se sont par ailleurs trouvé une nouvelle plate-forme de prédilection avec la Switch, la success-story “matérielle” du moment. On ne compte plus les communiqués de développeurs indés se félicitant de voir leurs ventes sur la Switch dépasser celles réalisées sur toutes les autres machines cumulées.
Finie l’idée qu’un jeu chasse l’autre avant de disparaître à son tour
Mais les gros et les petits (jeux) ne sont pas seuls en scène : il y a aussi les vieux. Si elle ne date pas d’hier, la vogue des rééditions et remasters a pris une nouvelle dimension, au point que l’on aurait pu établir un deuxième top des meilleurs jeux pour ceux qui avaient déjà fait un premier tour de piste il y a cinq, dix ou quinze ans.
Parmi les candidats : Shadow of the Colossus et Shenmue, Dark Souls et Spyro, et aussi Diablo III, Lumines, Bayonetta, Burnout Paradise, Okami, The World Ends with You, Katamari Damacy ou Ikaruga. Certains y voient un manque d’imagination (et de prise de risque) des éditeurs.
https://www.youtube.com/watch?v=f4JqCmt9hzE
On peut aussi se réjouir de l’abandon de cette idée qu’un jeu chasse l’autre pour disparaître à son tour quand sa date de péremption supposée est arrivée. Car pourquoi, comme pour les livres, les films ou les disques, les grands jeux d’hier ne pourraient-ils pas être aussi ceux d’aujourd’hui ? Par ailleurs, 2018 fut aussi l’année de Fortnite. Une année explosive.
TOP 10 jeux
1 Tetris Effect (Monstars / Resonair / Enhance, sur PS4)
Authentique génie du jeu vidéo et père des déjà classiques Rez et Child of Eden, Tetsuya Mizuguchi livre avec Tetris Effect sa relecture très personnelle du plus célèbre de tous les jeux vidéo. Sidérant, notamment en réalité virtuelle, le résultat relève de l’expérience philosophique.
2 Red Dead Redemption 2 (Rockstar Games, sur PS4 et Xbox One)
Suite d’un western en monde ouvert de 2010 qui était jusque-là le chef-d’œuvre des auteurs de GTA, Red Dead Redemption 2n’a pas déçu. Mais quand même un peu (et heureusement) surpris par sa lenteur, pour ne pas dire sa langueur (entre deux scènes d’action spectaculaires). Grandiose.
3 Dead Cells (Motion Twin, sur Switch, PS4, Xbox One et PC)
Au confluent de deux tendances clés du jeu indé, le Rogue-lite (aux niveaux recréés aléatoirement à chaque partie) et le Metroidvania (dont les mondes s’ouvrent peu à peu), le titre du studio bordelais Motion Twin nous donne la fièvre depuis l’été. Ici brille une certaine idée du style.
4 Assassin’s Creed : Odyssey (Ubisoft, sur PS4, Xbox One et PC)
Spectaculairement relancée l’an dernier grâce notamment à sa franche conversion au genre RPG (role playing game), la saga Assassin’s Creed tutoie les sommets en lançant le joueur sur les traces de Socrate et d’Ulysse dans la Grèce antique. Ce jeu est un monstre – un merveilleux monstre.
5 Super Smash Bros. Ultimate (Sora / Bandai Namco / Nintendo, sur Switch)
Plus qu’une simple affaire de baston, le jeu Switch le plus attendu de l’année est une déclaration d’amour à tout ce qui fait le jeu vidéo. Plongeant plus de soixante-dix figures de son Panthéon nippon (Mario, Sonic, Pac-Man…) dans une multitude d’épreuves, il mérite son qualificatif : ultime.
6 Florence (Mountains / Annapurna Interactive, sur iOS)
7 Dragon Quest XI (Square Enix, sur PS4 et PC)
8 Overcooked 2 (Ghost Town Games / Team17, sur Switch, PS4, Xbox One, Mac et PC)
9 Detroit : Become Human (Quantic Dream / Sony, sur PS4)
10 Minit (Devolver Digital, sur Switch, PS4, Xbox One, Mac et PC)
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