Les fumets d’une cuisine cannibale orchestrée par Arthur Nauzyciel, où Marie-Sophie Ferdane fait mijoter ses partenaires de jeu dans un conte résolument féministe.
Sous le regard de deux grands-ducs perchés dans le décor, la pénombre de la salle se transforme en territoire sauvage propice aux récits inquiétants et fantasmagoriques. Dans la forêt profonde d’un pays du Nord, il était une fois quatre frères bûcherons et leur servante réuni·es par Pascal Rambert pour un huis clos cruel ;
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“J’avais envie d’écrire une histoire terrible de dévoration silencieuse. D’êtres humains qui se dévorent. Mais contrairement à ce que les siècles ont fait peser sur les femmes – et comment les hommes ont dévoré les femmes sans frein –, j’imagine là inverser le temps et donner des hommes à manger à une femme – pour qu’ils voient comment ça fait.”
Avec Mes frères, Arthur Nauzyciel a la primeur de monter une pièce écrite pour lui par Pascal Rambert. Ce dernier a pour habitude de créer ses propres textes. Une règle à laquelle l’auteur-metteur en scène fait ici exception, mû par le désir d’un dialogue entre son texte et les univers de deux spectacles d’Arthur Nauzyciel ; le drame transcendantal Ordet (La Parole) du Danois Kaj Munk, créé au Festival d’Avignon en 2008, et une fable apocalyptique de Marie Darrieussecq, Le Musée de la mer, montée en 2009 a Reykjavík avec la troupe du Théâtre national d’Islande.
Adama Diop, Pascal Greggory, Arthur Nauzyciel et Frédéric Pierrot font leur miel de ces personnages de brutes obsédées
Arrivant casqués, tronçonneuse en main, les frères rentrent du boulot après avoir traversé un amas d’arbres morts qui les range d’emblée du côté des destructeurs de la planète. L’immense cylindre métallique qu’ils habitent a des allures d’abri antiatomique. Ces rustres se révèlent être de méchants vicieux. Ils n’ont que haine pour leur fratrie et une seule pensée en tête, être le mâle dominant capable d’asservir la servante à ses fantasmes sexuels.
Ici, chacun porte sur scène son prénom. Adama Diop, Pascal Greggory, Arthur Nauzyciel et Frédéric Pierrot font leur miel de ces personnages de brutes obsédées, avec une subtile distanciation qui autorise les spectateur·trices à rire de désirs que leurs rêves déviants rendent aussi poétiques que grotesques.. Face à eux, Marie-Sophie Ferdane nous fait songer à cette Fiancée du pirate chère à Bertolt Brecht, au détail près qu’elle n’attend pas la venue d’un hypothétique libérateur pour les passer à la casserole et jouir de les voir, les uns après les autres, s’entre-dévorer.
Evoquant, par ses gestuelles et ses lumières, l’épouvante magnifiée des images du cinéma muet, le spectacle s’empare d’archaïsmes dignes des frères Grimm pour régler ses comptes avec une violence machiste contre laquelle il s’affirme sans pitié.
Mes frères de Pascal Rambert, mise en scène Arthur Nauzyciel, avec Adama Diop, Marie-Sophie Ferdane, Pascal Greggory, Frédéric Pierrot et Guillaume Costanza en alternance avec Arthur Nauzyciel. Du 10 au 21 novembre, Festival TNB, Rennes
{"type":"Banniere-Basse"}