Un besoin de retrouver ses racines, une culture musicale zouloue bien ancrée et une capacité à composer savamment avec peu d’outils sont les trois ingrédients du succès de Muzi. Le producteur sud-af sort “Zeno”, un nouvel album d’une richesse bluffante, forgé dans une vision internationale de son pays.
Le manque d’inspiration est une tare pour l’artiste. Souvent, ce dernier a la tête dans le guidon, des objectifs à atteindre, des sorties et des contrats à honorer. En fait, avant tout, il faut vivre, revenir à la source pour enfin cerner la marche à suivre, celle qui fait les albums marquants. Pour composer Zeno, le producteur sud-africain Muzi a dû quitter Berlin et retourner vivre dans son pays, auprès de sa mère et de la musique zouloue qui l’a bercée étant gamin. « Il fallait que je renoue avec mes racines. Alors je suis venu voir ma famille, et je ne suis jamais rentré en Allemagne. Tout ce que j’avais en tête, en mémoire, toute cette culture et cette énergie, je les avais en fait oubliées. Désormais tout est réel. »
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Effectivement, depuis 2013, plus Muzi produit, plus l’Afrique du Sud est prégnante dans sa musique. En témoigne l’un des titres forts de Zeno, intitulé Emsamu. Une digression électronique profonde, linéaire. « Emsamu signifie ‘l’autel’. Pas celui d’une église, plutôt celui qui rend hommage à mes ancêtres. » Mais trêve d’hommages, le single envoyé au front s’appelle quant à lui Good Vibes Only. Comme son nom l’indique, c’est d’une envie de joie communicative, de bonheur et de pays retrouvé qu’il s’agit.
Dans le berceau du gqom
Muzi n’a pas toujours créé cette musique joyeuse et symbolique. Il y a encore trois ans, il sortait Boom Shaka, un EP éclair conçu autour d’une bass music effrénée, plutôt sombre. A l’époque, l’influence électronique de l’Europe, qu’il a sillonnée du Danemark à Paris en passant par l’Angleterre, prime. On est bien loin du son qu’il incarne aujourd’hui. Muzi évolue, et cherche avant tout l’honnêteté dans sa démarche. S’il sent que sa musique n’est plus en phase avec son vécu et ses envies, il change de paradigme, ou de continent. Il ne s’enlise pas et ne tombe pas dans la facilité.
Pour comprendre cette attention toute particulière à vouloir rendre compte d’un état d’esprit et d’une période de vie en musique, il faut évoquer Empangeni, la ville qui l’a vu grandir. Située dans le sud-est du pays, elle fait partie de ses agglomérations assez grandes pour générer une frénésie, mais trop isolées pour être un épicentre culturel. C’est une pépinière, dont les talents partent tous ou presque. « Pour vivre la vie que tu veux vraiment mener, il faut partir. Je suis allé à Durban (la troisième plus grande agglomération du pays, ndlr), à 170 kilomètres de là pour suivre des études de médecine. Mais j’ai dû arrêter au bout de trois ans car je ne pouvais plus payer les frais de scolarité. » Alors, puisque l’option fac tombe à l’eau, Muzi se plonge dans la musique, au sein d’une ville connue pour avoir vu naître le gqom, genre musical électronique qui fait autorité en Afrique du Sud depuis environ sept ans.
Partir pour mieux vivre
Le bonhomme a déjà un bagage musical assuré. « Quand je vivais à Empangeni, j’ai eu un ordinateur pendant six ans, un truc horrible, complètement ouvert… On voyait les fils à l’intérieur, c’était une ruine. Mais il fonctionnait ! A l’époque, j’étais à fond dans Justice et Daft Punk, sans vraiment savoir qu’il s’agissait de musique électronique. J’adorais ça, je voulais comprendre comment ils pouvaient créer de tels sons. Si tu aimes quelque chose sans vraiment savoir ce que c’est, tu ne portes aucun jugement, c’est pur. Avec cet ordinateur, j’ai appris à composer de façon laborieuse, avec presque rien. C’est ce qui me pousse à toujours aller à l’essentiel aujourd’hui. Un ordinateur, un micro basique et un casque me suffisent. ‘Less is more’, comme on dit. » Le son de Muzi est épuré, centré sur l’émotion et non sur des arrangements infinis. On sait désormais pourquoi.
Empangeni a surtout enfanté des sportifs, des footballeurs notamment, comme les frères Sangweni, qui ont tous deux porté le maillot de l’équipe nationale. « Ils sont connus, mais on ne sait pas toujours qu’ils viennent d’Empangeni parce qu’ils ont quitté cette ville il y a longtemps pour vivre leurs rêves. » Âgé de 27 ans, Muzi fait partie de la première génération de Sud-africains à ne pas connaître l’apartheid. Lorsque Mandela est élu en 1994, le pays est en proie à des pics de violence. « Ma mère travaillait au tribunal, elle voyait toute la journée les conséquences des crimes commis dehors. Elle avait peur de tout ce chaos ambiant, j’avais donc un couvre-feu très strict à 17h. J’étais un enfant solitaire, c’est sûrement cela qui m’a amené à me plonger dans la musique. » Aujourd’hui, la ville est plus calme, mais la pauvreté qui gangrène tout le pays ne l’épargne en aucun cas.
Taillé pour l’export
Muzi vit maintenant à Johannesburg. C’est là que Zeno est né, même si plusieurs morceaux ont été enregistrés à l’étranger. Sunshine a vu le jour en Suisse, et inutile de préciser où le titre A Day In Paris trouve son inspiration. Mais l’un des moments phares de la tracklist est ce duo avec le chanteur de BCUC, Zithulele « J’ai connu les BCUC au sein du projet Africa Express (mené par Ian Birrell et Damon Albarn et dont le dernier album est sorti en juillet dernier, ndlr). On s’est rencontrés à New York, et on a enregistré le titre dans leur chambre d’hôtel. C’était dingue. » En résulte le morceau Ngeke, dernière piste de l’album, on ne peut plus sud-af, comme un point d’orgue à cette démarche de retour aux sources.
Mais dans Zeno, ce qui prime, c’est la variété de sons qui peuvent émaner, entre autres, des townships du pays. « A Durban, par exemple, il y a beaucoup de clubs, une vie nocturne très vivace. Il y a la possibilité d’expérimenter cela tout en étant connecté musicalement aux townships. Tu as les gars qui font du gqom, mais tu peux aussi avoir un type qui conduit un taxi et qui aura l’air hyper cool. A côté, tu en auras un autre qui adore les armes. Le style, la mode… Ces mecs sont fauchés, mais ils vont avoir des chaussures magnifiques. Ils ne ressemblent pas à leurs problèmes. » Faire mieux avec moins, encore. Zeno est finalement un panorama de la richesse des sonorités sud-africaines actuelles. Il est un album taillé pour l’export, certes, mais bien ancré dans ses racines. Entre l’inspiration zouloue évidente, le bagage accumulé en Europe et le besoin de spiritualité et de danse, Muzi ne veut plus choisir.
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