Pour cet acte V de la mobilisation des gilets jaunes, samedi 15 décembre, le nombre de manifestants était en baisse par rapport à la semaine dernière. Les forces de l’ordre ont systématiquement nassé les rassemblements, cassant la dynamique du mouvement. Nous avons suivi deux gilets jaunes d’Amiens à travers la capitale.
Clairsemée. C’est le premier adjectif qui vient à l’esprit en voyant l’avenue des Champs-Elysées en ce matin de l’acte V. Vers 9h, près d’un Arc de Triomphe cerné par les fourgonnettes des forces de l’ordre, ils sont au maximum quelques centaines de gilets jaunes pour cinq fois plus de gendarmes mobiles et de CRS. L’un d’entre eux se penche vers son collègue. « C’est les gentils là non ? » – « Le matin ils sont gentils. » – « Mais, c’est même un peu ridicule non ? »
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Parle-t-il du rassemblement famélique ou du nombre de ses collègues face à celui des manifestants ? Une seule chose est sûre, ils sont beaucoup pour peu. Pour l’acte V, 69 000 policiers et gendarmes ont été mobilisés sur le territoire français dont 8 000 dans la capitale où sont stationnés quatorze véhicules blindés. A 16h, selon le ministère de l’intérieur, on dénombrait 33 500 gilets jaunes dans le pays et 2 500 à Paris. Une mobilisation en baisse quasiment de moitié par rapport à la semaine dernière.
Moins de monde
Pour autant, samedi matin, certains quartiers de l’ouest parisien Paris ont pris des allures de siège. Pour accéder aux Champs, il faut contourner tout le secteur bloqué autour de l’Élysée et se soumettre à quelques contrôles sporadiques, nettement moins agressifs que la semaine passée. « Ça n’a rien à voir », lâche Vincent, 32 ans, présent lors de l’Acte IV et « contrôlé cinq fois de Gare du Nord aux Champs ». Le jeune homme de 32 ans vient d’arriver d’Amiens (Somme) avec Clémentine, 31 ans. Tout deux vêtus d’un gilet fluo. « Il y a vraiment moins de monde que samedi dernier, glisse-t-il à son amie. En plus ils ont l’air bloqués là non ? »
Il est 10h30 et la moitié des gilets jaunes présents sont déjà nassés par les forces de l’ordre au milieu des Champs-Elysées. Quelques minutes avant ils sont partis de l’Arc de Triomphe pour descendre l’avenue dont quasiment toutes les vitrines sont fermées, barrées par des planches de bois, avant de rebrousser chemin face à un barrage conséquent. Les slogans « Macron Démission » fleurissent de temps à autre, une Marseillaise est entonné ici et là, comme pour se donner un peu de courage. Des caméras aperçues sur le toit d’un immeuble déclenchent des salves de « BFM enculés ».
Puis, les manifestants sont finalement bloqués par les gendarmes mobiles qui mettent en place un début de nasse filtrante, sans que les officiers ne sachent exactement expliquer pourquoi. On comprend vite que c’est pour faire plusieurs petits groupes, plus faciles à gérer. Même si l’ensemble des gens présents ce matin sont calmes.
Blocages et nasse
Alain tient l’une des seule banderole de ce début de manifestation. « Transition : CNT, Armée Française SOS ». Il vient de la Loire et se dit proche du Conseil National Transition, un groupuscule d’extrême-droite. « L’armée doit venir sauver son peuple », assure ce jeune père de famille qui n’arrive plus à « nourrir correctement » sa petite fille.
Un avis qui laisse Valentin et Clémentine circonspects. Face à la nasse, les deux copains n’ont plus trop envie de rester sur les Champs. Sur les réseaux, plusieurs groupements politiques comme le NPA ont appelé à un rassemblement à Saint-Lazare pour rejoindre la place de la République ensuite. Pas loin, Eric Drouet, l’une des porte-paroles des gilets jaunes a émis l’idée de faire un sit-in pacifiste devant l’Opéra Garnier. La décision est prise, ils bougent sur Saint-Lazare pour rejoindre l’Opéra ensuite.
Mais pour sortir, il faut ruser car toutes les rues adjacentes aux Champs sont bloquées par les forces de l’ordre qui ne laissent sortir aucun manifestant. Les deux compères glissent leur gilet dans le sac, font mine d’habiter la rue de La Boétie et réussissent à passer le barrage grâce à l’aplomb de Clémentine. « C’est un peu comme en boite, il faut une fille pour rentrer », se marre-t-elle.
L’avenue laissée derrière, Paris est quasi-désert. Quelques contrôles ici ou là et toujours des rues entières barrées par les CRS. Qu’importe pour Vincent et Clémentine qui sont là parce qu’ils en marre « des injustices sociales ». Il est pâtissier, elle est psychologue dans un hôpital où les conditions de travail sont catastrophiques. « C’est un mouvement merveilleux, s’enthousiasment-ils. Ça a enfin éveillé les consciences ! »
« Les luttes du XXIe seront citoyennes »
Passés quelques barrages policiers, ils arrivent devant la gare Saint-Lazare. Ici, l’ambiance est toute autre. Une fanfare donne un côté festif au rassemblement. Mais le cortège qui aurait dû partir depuis déjà une heure est là aussi bloqué. Quelques centaines de manifestants attendent en groupes, collés mais distincts. Le NPA, la CGT, les anar. Chacun chante des slogans. Un seul en commun : « Macron Démission ». Tout le monde ne porte pas le gilet jaune, loin de là. Ici, l’ambiance est clairement à la politique partisane et syndicale.
On croise Franck et Michel. Le premier, de banlieue parisienne, est cadre à la SNCF, le second, de Périgueux (Périgord), ancien cheminot. Il parle d’emblée de la CSG qui grève sa retraite. Les annonces de Macron de lundi ? « Il nous a bernés. » Ils veulent rejoindre les Champs-Élysées parce qu’il faut que « les grosses enseignes de luxe restent fermées ». Et selon eux, le rassemblement de Saint-Lazare n’a pas lieu d’être. « Ici c’est pas les gilets jaunes », remarque Franck encarté à Sud. Aujourd’hui, c’est autre chose. Les luttes du XIXe et du XXe étaient syndicales. C’est un souvenir que je respecte. Mais celle du XXIe seront citoyennes. Je suis fier de ce qu’on vit. »
L’ambiance nettement plus politique de Saint-Lazare ne convient pas non plus à Clémentine et Vincent. Ce dernier est pourtant un militant, bénévole chez Fakir et fervent soutien de François Ruffin. « Aujourd’hui, je suis un gilet jaune, tranche-t-il. Mes idées politiques n’ont pas lieu d’être ici. On est des citoyens. » La décision est prise : direction Opéra. Là encore, impossible de bouger sans berner les CRS. Ils bloquent tout. Un gendarme mobile à Vincent. « T’es en manif, t’y restes. »
A l’Opéra, les « vrais gilets jaunes »
Après quelques négociations, ils arrivent finalement à s’extirper du traquenard de Saint-Lazare… pour tomber dans une nasse encore plus resserrée autour de l’Opéra. « Ah bah voilà, là c’est les vrais gilets jaunes », se réjouit Clémentine. Ils sont plusieurs centaines tous en jaune à occuper la place face au Palais Garnier, des marches de l’Opéra jusqu’au boulevard des Italiens.
L’ambiance est bon enfant malgré une dizaine de policiers à cheval au niveau de la bouche de métro. Tout autour, les accès sont bloqués par les véhicules de gendarmeries et des policiers casqués. Impossible de sortir de la place. Très vite, il devient aussi compliqué d’y rentrer. Quelques personnes haranguent la foule au micro. L’atmosphère reste joyeuse même si plusieurs déplorent ne pas « pouvoir manifester librement dans les rues de Paris ».
En hommage aux victimes de l’attentat de Strasbourg, une minute de silence s’organise tant bien que mal. Une rangée de gilets jaunes s’agenouillent, main sur la tête, en soutien aux lycéens de Mante-La-Jolie. Après le chant des partisans, une puissante Marseillaise s’élève de la place.
« On est chez nous »
Sur les marches de l’Opéra, plusieurs groupe de gilets jaunes sont côte-à-côte. L’un d’entre eux, tout près de Vincent et Clémentine, se met à crier. « On est chez nous, on est chez nous », vite repris par d’autres. Regard un peu gêné des deux Amiénois qui se gardent de reprendre le slogan frontiste. Un « Tous ensemble, tous ensemble » met finalement l’assemblée d’accord au grand soulagement des deux amis.
« Bon, je ne vais pas chanter « On est chez nous », mais notre force c’est le nombre, précise Vincent. C’est un mouvement citoyen, au-delà de la politique. Il y a l’extrême droite ? Bon bah ils sont là. Je n’ai pas à me sentir inférieur ou supérieur à eux. Ils sont citoyens aussi. » Selon lui ce mouvement peut gagner parce qu’il est « désorganisé« . « C’est ça notre force, pense-t-il. On fait peur au gouvernement parce qu’ils ne savent pas trop à qui s’adresser. En un mois, on a eu des avancées. Trop maigres, mais des avancées quand même. Il faut continuer. »
Un avis que ne partage pas Clémentine. La jeune femme pense que les gilets jaunes doivent se structurer. « Pour survivre, il faut qu’on s’organise. Là par exemple, il y a moins de monde, c’est clair. Je crains une stratégie de pourrissement de la part du gouvernement. On devrait se mettre tous d’accords sur trois revendications pour pouvoir les obtenir. »
Au nombre desquelles, le référendum d’initiative citoyenne, dont l’acronyme, RIC, apparait sur nombre de pancartes et banderoles, des Champs-Élysées à l’Opéra, en passant par les ronds-points de France. C’est la revendication politique qui émerge. Sans que personne ne sache vraiment en quoi il consisterait vraiment. « Il faudrait qu’on ait notre mot à dire sur certains aspects de la politique, décrypte Vincent, Un quorum de personnes qui pourraient déclencher un référendum sur telle ou telle question. »
« Le mouvement s’essouffle »
A mesure que les deux copains discutent, la situation se tend un peu sur la place de l’Opéra. Les gilets jaunes commencent à vouloir bouger, mais tous les accès sont barrés par les forces de l’ordre. Vers 13h, une première grenade lacrymogène est lancée. Quelques coups de gazeuses et une interpellations provoquent des huées.
Vincent et Clémentine décident alors de mettre le cap sur République, le dernier spot des gilets jaunes. Ils doivent être parmi les seuls qui réussissent à se faufiler à travers les barrages. De l’autre côté de la nasse, rue du 4-Septembre, une petite centaines de manifestants sont bloqués. Ils n’ont pas l’air de savoir s’ils veulent rentrer ou sortir. Ils décident finalement, eux aussi, de partir sur la place de la République.
L’ambiance parisienne est étrange pour cet Acte V. Tous les rassemblements sont nassés par des forces de l’ordre ultra-organisées. Des cortèges sauvages composés de quelques poignets de gilets jaunes parcourent les rues de la capitale en criant « Macron Démission ». Un coup ils sont repoussés, un coup ils s’en vont d’eux-mêmes. « Le mouvement s’essouffle », s’inquiète une dame qui tient une pancarte « RIC » au-dessus de sa tête.
« J’espère que ça va continuer »
Sur la place de la République, on est bien loin des images de la semaine dernière. Le rassemblement est tranquille. Quelques centaines de personnes, des stands de merguez, un peu de musique. « En terme de monde dans la rue c’est quand même décevant, explique Vincent qui s’efforce de rester optimiste. « Il y a quand même une brèche qui s’est ouverte, il faut continuer. »
Clémentine s’inquiète aussi. « Cette forme là est magnifique, elle est motivé par une vraie colère. Un ras-le-bol des gens qui n’en peuvent plus de ne plus vivre. Mais est-ce que ça ne va pas retomber dans l’indifférence ? Les gens vont-ils retenir la leçon ? Est-ce qu’aux prochaines injustices ils encaisseront ou ils seront vigilants ? Il ne faut pas lâcher. »
Vers 16h, alors que la nasse de l’Opéra s’ouvre finalement pour laisser les gilets jaunes se diriger vers République, des tensions commencent sur les Champs-Élysées. Quelques charges des forces de l’ordre s’enclenchent et des grenades lacrymogènes sont tirées. Objectif : disperser les manifestants.
A République, un policier nous glisse en aparté qu’il faut attendre le soir, que les casseurs risquent d’arriver à la nuit tombée, qu’ils doivent rester vigilant. Vincent et Clémentine eux, décident de rentrer chez eux. « C’était quand même une belle journée, souffle la jeune femme. J’espère que ça va continuer. »
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