Ils s’étaient déjà rencontrés pour un album en 2016, La Rivière Atlantique. Cette fois, la cinéaste entraîne le chanteur dans l’aventure extravagante de son quatrième long métrage. Récit d’une ciné-popée, entre Paris, Venise et Tanger.
Alien Crystal Palace. C’est le titre du quatrième long métrage d’Arielle Dombasle. C’est Nicolas Ker qui l’a trouvé, un soir, “sur internet grâce à un générateur”. “Je tapais des trucs au hasard, j’ai vu ça et je me suis dit : c’est bon, c’est ça le titre”, explique Ker derrière ses lunettes de soleil. Dans un café du IIIe arrondissement de Paris, en terrasse, Arielle et Nicolas sont assis côte à côte.
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Elle boit un thé, lui un Picon bière. Depuis 2014 et une rencontre au Cirque d’Hiver pour un concert de charité, les deux sont inséparables. En octobre 2016, ils ont sorti un premier album conjoint, La Rivière Atlantique. Et quasiment au même moment, ils ont commencé à bosser sur un projet de film.
Projet, le mot est faible : il s’agit plutôt, vous allez le voir, d’une épopée. “On a commencé à griffonner quelques idées sur la nappe d’un restaurant chinois. L’histoire part des textes des chansons que Nicolas a écrites pour La Rivière Atlantique”, explique Arielle Dombasle. L’histoire, elle, a mis du temps à s’écrire.
https://www.youtube.com/watch?v=PyrRLamZM9c
Au départ, il y a une ébauche de scénario sur lequel Ker a travaillé avec un ami à lui, Florian Bernas, urgentiste et grand fan de rock. Arielle Dombasle aime plusieurs aspects du scénario, mais veut aller plus loin. Elle se greffe dessus, mais les sensibilités s’opposent. Autour de l’histoire, le combat fait rage. Gentiment rage, les deux s’adorent.
« L’androgyne, c’est la complémentarité d’un homme et d’une femme »
Pour avancer, le duo appelle comme arbitre le grand Jacques Fieschi, scénariste pour Pialat, Jacquot et Assayas, entre autres. Objectif : accomoder les liens réels entre Dolorès Rivers et Nicolas Atlante, entendez Dombasle et Ker, les héros du film. Fieschi, à coups de maïeutique discrète, parvient à trouver un deal, mais les deux partent tourner sans avoir véritablement signé quelque accord de paix que ce soit.
Pourtant l’essentiel est là : raconter en creux, dans Alien Crystal Palace, le coup de foudre artistique entre deux sensibilités que tout pourrait opposer mais qui s’entrechoquent et se complètent entre lumière divine et chaos. C’est ce que dans le film Ker et Dombasle appellent “l’androgyne”, mettant cette phrase dans la bouche de la géniale Joana Preiss : “L’androgyne, c’est la complémentarité d’un homme et d’une femme, qui sont très différents mais qui ont la même force.” Tout est dit.
A eux seuls, ces quelques mots résument l’aventure qui rassemble Arielle Dombasle et Nicolas Ker dans leur art. Le film sera tourné à Paris, Venise et Tanger, avec un casting proprement hallucinant, regardez plutôt : Arielle Dombasle et Ker donc, mais aussi Michel Fau, Joséphine de La Baume, Asia Argento, Christian Louboutin, Thaddaeus Ropac, Zoé Le Ber, Vincent Darré, Ali Mahdavi, Theo Hakola, Yaz Bukey, Joana Preiss donc, et même l’immense Jean-Pierre Léaud. Tous vont participer à cette aventure cinématographique et rock qui sera sur les écrans le 23 janvier 2019, et à laquelle nous avons eu la chance de goûter dès l’été dernier, invité que nous fûmes sur le tournage.
Tournage dans un temple rosicrucien
C’était dans le IIIe arrondissement, déjà, dans un temple rosicrucien. Arielle Dombasle explique calmement son rôle à Michel Fau, alias Hambourg, sorte de gardien pro-actif du subconscient, entouré de filles sublimes aux seins nus. Nicolas Ker fait les cent pas, une bouteille de whisky à la main. Joana Preiss porte une perruque orange. Et hop, “ça tourne !” A peine trois répliques prononcées, Ker se met à hurler et interrompt les acteurs : “Non, non, non, c’est pas comme ça, c’est pas ça le script !”
Arielle Dombasle, d’un calme absolu, s’avance vers lui pour discuter, elle le calme. On reprend même si Ker n’est pas 100 % OK sur le script. “Vraiment, à cause de cette histoire de script, j’étais ivre de rage pendant tout le tournage”, explique Nicolas Ker. Arielle Dombasle : “Nicolas, vous étiez surtout ivre tout court.” Ker explose de rire. La complicité entre les deux est phénoménale.
“Arielle a une patience d’ange avec lui. Nicolas n’est pas facile » Vincent Darré
Vincent Darré, grand ami d’Arielle, en témoigne : “Arielle a une patience d’ange avec lui. Nicolas n’est pas facile, il vit dans une certaine urgence qui correspondait d’ailleurs parfaitement à l’urgence qui se dégageait du tournage, car c’est un film qui s’est fait sans moyens. Nicolas, il y a des jours où on l’adorait, et des jours où on le détestait, mais grâce à Arielle tout passait, elle est d’une telle bienveillance avec lui. A un moment, nous tournions une scène devant une mosquée à Tanger, et il s’est mis à hurler ce qui a déclenché une semi-émeute. Et là heureusement encore, c’est Arielle qui a sauvé l’histoire.”
Nicolas Ker en mascotte du film
Saoul et survolté tout au long du tournage, Ker, en plus de tenir le premier rôle du film avec Arielle Dombasle, en devient également la mascotte. “A un moment j’ai regardé l’équipe technique et j’ai dit : j’ai compris, ce film, c’est comme Disintegration de The Cure, c’est ça qu’on doit faire. Et je sais pas pourquoi, les gens ont adhéré à ce truc.”
Arielle Dombasle acquiesce entre deux gorgées de thé. Sur le tournage, elle a laissé Ker s’exprimer à la fois comme acteur et comme métronome, gérant ses colères, ses absences et ses coups de génie au même niveau. Asia Argento confirme l’impact du gars Ker.
“Nicolas est formidable, j’ai adoré tourner avec lui. Il est d’une sensibilité phénoménale. Entre deux prises, il m’a expliqué un truc sur moi, sur la façon dont mon père m’utilisait dans ses films. Il connaît très bien le cinéma de mon père, et ce qu’il m’a dit a débloqué beaucoup de choses chez moi.”
Joséphine de La Baume ajoute : “Il est très éloquent, il est très bon dans l’improvisation. Il est très rock’n’roll, très compliqué, faut être en forme, mais c’était plutôt amusant de tourner avec lui. Nicolas sait donner une force incroyable à un personnage.” Arielle Dombasle : “J’ai tout de suite su que Nicolas incarnait l’évidence des acteurs : il ne joue pas, il est.”
« Le cinoche ? C’est bien payé, et moi j’ai toujours besoin de thunes »
Chaque matin sur le tournage, à Paris, Tanger ou Venise, Ker déboule aux alentours de 7 ou 8 heures. Dans un état proche de l’Ohio. Mais c’est le film avant tout, il est présent comme jamais. “J’écrivais une biographie pour chaque figurant, pour que tout le monde se sente dans le film. D’ailleurs, pour moi, il n’y a pas de figurants, il n’y a que des acteurs muets”, dit-il sous le regard complice d’Arielle Dombasle.
Et qu’en pense le Nicolas Ker acteur ? “Moi, je m’en foutais totalement, je défendais le script. Le cinoche ? C’est bien payé, et moi j’ai toujours besoin de thunes. Moi, acteur, que ce soit Plus belle la vie ou Les Charlots au stade olympique, je dis oui !” Arielle Dombasle : “Au stade olympique, ça serait compliqué pour vous Nicolas, non ?” Nouvel éclat de rire.
Nicolas Ker reprend : “Je sais jusqu’où je peux aller, alors j’avais dit à l’assistant réal, si jamais un jour je pète un câble et que je vais trop loin, le mot de code c’est swordfish, espadon. A un moment donné, dans le hall du Raphaël, je me suis mis à faire n’importe quoi. Il est venu, il m’a pris dans un couloir et il m’a dit ‘espadon, mec’. Et je me suis calmé direct.”
Michel Fau, Theo Hakola et Christian Louboutin au casting
Arielle Dombasle : “Oui, mais en même temps tout le monde avait pris de la drogue dans les couloirs de l’hôtel et les caméras avaient tout filmé : sniffage de vraie coke ! La police est venue avec des martinets, on a eu chaud !” Ker : “Mais non Arielle, c’était du sucre en poudre.” Elle fait la moue. Arielle Dombasle est l’ange gardien de Nicolas Ker, et il le sait. Il la regarde avec un respect immense.
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Elle l’a tiré de bien des situations.“Je sais que je suis dur, mais il y a cette grâce chez Arielle qui parvient à faire tenir presque n’importe quoi ensemble. Des gens comme moi, notamment. Sur le tournage, elle a été admirable de patience, parce qu’elle savait exactement où elle allait.” Asia Argento ne dit pas autre chose : “Un tournage d’Arielle, c’est cadré mais aussi extrêmement libre. J’aime de moins en moins tourner, mais pour elle je dirai toujours oui, ses films sont comme des aventures.”
Michel Fau nourrit l’éloge : “Arielle est unique. C’est la seule femme au monde qui peut vous parler d’Yvonne Printemps et de Nietzsche dans la même phrase. Elle est extraordinaire. Elle a fait ce film avec des bouts de ficelle. Je me rappelle que quand on a tourné les scènes dans le temple rosicrucien, elle m’a fait une loge de fortune dans un couloir avec une chaise qu’elle a trouvée. »
« Elle passait sans cesse devant moi pour aller chercher des trucs derrière un frigo qui n’était pas loin. Je me disais : mais qu’est-ce qu’elle fout ? C’est juste qu’elle avait mis ses affaires derrière le frigo, parce qu’il n’y avait pas d’autres endroits. Arielle, c’est la débrouille.”
Entre giallo et œuvre érotique
Theo Hakola, ancien tenancier d’Orchestre Rouge et de Passion Fodder, parfait dans un rôle de flic. “Je me souviens du tournage à Tanger, dans la rue. On a tourné partout dans la ville, des trucs très durs à faire, il y avait des bandes partout autour. Elle a une énergie folle, Arielle. Parfois je ne savais pas trop quel était mon rôle, ni ce que je faisais, mais je l’aurais suivie partout.”
C’est cette énergie qui fait d’Alien Crystal Palace un objet aussi fascinant que déroutant et attachant. Un peu giallo, un peu thriller, un peu film érotique et beaucoup film métaphysique, c’est un objet étonnant que Christian Louboutin, excellent dans le film, juge plus “destiné aux galeries d’art qu’au cinéma”. Il ajoute : “Ce film est une performance, c’est ce qui en fait la force.”
C’est aussi une œuvre déjà culte, qui divisera, mais qui montre encore à quel point la complicité entre l’ancien Poni Hoax Nicolas Ker et l’égérie rohmérienne a fait mouche, une nouvelle fois. Après un disque, et désormais un film, où s’arrêteront donc les aventures de Ker et Dombasle ? Car, Alien Crystal Palace est là pour le confirmer, il s’agit bien d’aventures. C’est assez rare pour être signalé.
Alien Crystal Palace d’Arielle Dombasle, avec Nicolas Ker, Michel Fau, Joséphine de La Baume, Asia Argento, Christian Louboutin, Thaddaeus Ropac, Zoé Le Ber, Vincent Darré, Ali Mahdavi, Theo Hakola, Yaz Bukey, Joana Preiss, Jean-Pierre Léaud. Sortie le 23 janvier 2019
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