Retour sur un article du hors-série « Les excentriques de la pop Française » de 2018, où l’on survole une petite partie de la carrière de Michel Polnareff, de ses débuts au disco. Du jeune premier romantique à l’excentrique tout de paillettes revêtu, Polnareff a pleinement vécu les années 1970 : libérées, sans tabous, et toujours empreintes de son génie.
L’année 1970 inaugure avec éclat une nouvelle décennie : à l’Olympia, du 14 au 25 janvier, Polnareff prouve que “le spectacle maintenant ne doit pas être simplement quelqu’un qui chante derrière un micro” : mise en scène millimétrée, jeux de lumière en veux-tu en voilà, costumes signés Yves Saint Laurent… C’est un triomphe. A la ville, Polnareff joue également la carte de la surenchère en achetant une énorme Harley-Davidson qu’il teste dans son appartement de Neuilly (sans grand succès, il la revendra à Johnny Hallyday), mais aussi un fusil à pompe, histoire d’échanger des coups de feu avec ses voisins en pleine nuit. Il a le don de les mettre très en colère lorsqu’il joue de l’orgue à 4 heures du matin… ou avec le chant impromptu de son coq domestique !
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Après une tournée mondiale réussie mais épuisante, il revient en France où, le 4 juin, il chante à Rueil-Malmaison. Le concert tourne mal, un spectateur se jette sur la scène et frappe le chanteur au bas-ventre et au visage en le traitant de pédé. Polnareff craque. Ses vacances d’été se dérouleront en cure de sommeil à Beaumont-sur-Oise, où il imagine Je suis un homme. D’après lui, la virilité peut s’enrichir d’ambiguïté, il ne voit absolument pas où est le problème et, surtout, il aime les femmes. A la rentrée, il est bouleversé par la mort de Lucien Morisse, patron du label Disc’AZ, suicidé le 11 septembre, mais s’envole ici et là pour assurer des concerts aux quatre coins du monde.
Haute définition
Le rythme infernal reprend, tandis qu’il enregistre Polnareff’s à Londres, en quadriphonie, aux côtés de Barry Kingston : “Lui me suit au doigt et à l’oeil (…), me considère comme un génie. Enfin un qui pense comme moi.” (1) A la basse, Herbie Flowers, et à la guitare, Jimmy Page. Polnareff propose un pop-rock éclectique, futuriste par moments et bourré de références, de jazz East Coast à la soul façon Motown, et sous influence de groupes comme Blood et The Chicago Transit Authority. Dès sa sortie, le 6 janvier 1971, l’album est un succès. Une nouvelle cure de sommeil, et le voici en forme pour un “jam boogie-woogie” avec Eddy Mitchell au château d’Hérouville, une tournée estivale avec quatre ravissantes “rockeuses vikings”, puis quelques dates avec Johnny Hallyday, comme pianiste.
Il introduit son nouveau look : cheveux frisottés et blonds, paire de lunettes sombres à la monture blanche. “C’est en me promenant un jour rue François-Ier à Paris que j’ai trouvé ma monture chez l’opticien Pierre Marly. Des lunettes noires qui avaient déjà sauté aux yeux de la sublime Sophia Loren. J’ai décidé de les faire miennes, mais blanches, pour qu’on puisse les distinguer de loin.” (2) Alors que sa myopie est un bon prétexte pour cacher son visage, son allure devient culte.
https://www.youtube.com/watch?v=94UUWg5u2PE
Il compose aussi deux bandes originales de film, pour Ça n’arrive qu’aux autres de Nadine Trintignant et La Folie des grandeurs de Gérard Oury (même de Funès est fan !). Il fait encore parler de lui lorsqu’il franchit la porte d’entrée coulissante du Concorde Lafayette dans sa Rolls-Royce vieux rose, demandant à la réception qui lui refusait une chambre à cause de ses turpitudes passées (trop de filles nues et de boucan) : “Vous êtes sûr que vous n’avez pas une chambre pour moi ?”
https://www.youtube.com/watch?v=5MsXs0iOJVs
Sa myopie est un bon prétexte pour cacher son visage, son allure devient culte.
Cachez ces fesses que je ne saurais voir
Dès le 6 janvier 1972, Polnareff commence l’année en fanfare avec le documentaire A bout portant, diffusé sur la première chaîne. Sans tabous, il évoque les boursouflures de son ego, sa passion récente pour le karaté, ses épisodes dépressifs, son désir de casser l’image de “jeune virtuose”. Quelques semaines plus tard, le single Holidays (avec La Mouche en face B) est un carton. L’été, il le passe en tournée avec son nouveau groupe de scène, le Dynastie Crisis. C’est avec lui qu’il va se produire à l’Olympia pour un spectacle baptisé Polnarévolution, du 6 au 22 octobre 1972. Tout de Paco Rabanne et de paillettes revêtu, Polnareff ne lésine pas sur les instruments en Plexiglas et le son 5.1, fait rentrer le sosie de Pompidou sur scène, invite une fille du Crazy Horse, déguisée en Polnareff, à montrer ses fesses au public…
https://www.youtube.com/watch?v=1ExQZWHyTlc
En effet, pour le promouvoir, une série de 6 000 affiches s’étaient invitées sur les murs de Paris le 2 octobre. Toujours caché derrière ses lunettes noires, le chanteur y dévoilait son postérieur nu sous une robe relevée. Le but : “secouer un peu cette France puritaine, coincée du cul” (3). Scandale, bien entendu, et attentat à la pudeur selon le tribunal correctionnel, qui condamne Polnareff à payer 10 francs par affiche. Morale de l’histoire : “au quotidien, le chemin de la provocation est une surenchère dans laquelle un artiste peut se retrouver grand perdant” (4).
Polnarévolution sort sur disque et se vend comme des petits pains, à l’instar du single On ira tous au paradis, enregistré en live avec une chorale improvisée formée par les auditeurs d’Europe 1, ce qui offre au titre un “sentiment de présence vivante” : “J’étais en rupture avec la norme bien-pensante et moralisatrice, et cette chanson exprimait parfaitement mon désir de liberté et d’égalité. Je n’écartais personne de la rédemption, tout le monde y avait droit.” (5)
Un bonheur populaire de courte durée, car son spectacle suivant, Polnarêve, ne s’annonce pas aussi bien. Entre tournée au Japon et vacances peu studieuses en Tunisie, Polnareff n’a pas eu vraiment le temps de le préparer. L’affiche, elle, est parfaite : il y apparaît entièrement nu, de face, son sexe dissimulé par un chapeau romantique – qu’il n’a pas besoin de tenir ! Il expliquera avoir été motivé par la charnelle présence de l’assistante de la photographe Tana Kaleya. En revanche, la première de Polnarêve, le 27 mars 1973 à l’Olympia, est un désastre : le public n’aime pas les nouvelles chansons, la mise en scène est bancale, les costumes, ratés. Après deux heures de show et un accueil glacial, Polnareff doit revenir chanter des reprises de rock et ses anciens succès afin de se rattraper auprès d’un public dubitatif. Dès le lendemain, la presse l’éreinte. La roue commence à tourner, et pas dans le bon sens…
Arnaque et exil
S’il y avait bien une chose dont Polnareff détestait s’occuper, c’était l’argent. Depuis le début des années 1970, il a donc laissé le champ libre à son homme d’affaires, Bernard Seneau. Mauvaise idée : à l’été 1973, en revenant exsangue d’une tournée internationale, il découvre qu’il est ruiné lorsqu’on lui refuse un paiement chez un libraire de la Côte d’Azur. Lui faisant croire qu’il était propriétaire de son appartement et de sa voiture, Seneau est parti avec son argent, sans avoir payé les impôts du chanteur. Voici le grand enfant dépensier qu’est Polnareff face au vide intersidéral d’un compte en banque et d’une dette au fisc d’un million de francs. Fini la belle vie fastueuse. Pour couronner le tout, sa mère décède, le laissant désemparé et ultra-déprimé. Cette fois, une énième cure de sommeil ne peut rien à son mal-être, et encore moins combler ses dettes.
“Il fallait absolument que je parte pour me reconstruire moralement.” (6) Quelques mois plus tôt, il déclarait au JT de la première chaîne qu’“une carrière sans les Etats-Unis n’est pas une carrière”. Le 10 octobre 1973, il embarque sur le paquebot France et traverse l’Atlantique en se jurant de ne plus jamais chanter en français. Il se fait, mondanités obligent, inviter à la table du capitaine. Après quelques mois à New York, il s’installe à Los Angeles. Il fait beau, chaud, les impôts sont loin et la fièvre artistique californienne lui plaît beaucoup. Il adopte aussi le mode de vie local : sport, sun bathing et chilling avec des amis aux cheveux longs.
Là-bas, la productrice et manager Annie Fargue le prend en main – sentimentalement et professionnellement. Elle fait jouer la concurrence entre le directeur d’Atlantic, Ahmet Ertegün (que Polnareff avait rencontré à son arrivée sans pour autant réussir à le convaincre), et le manager des Bee Gees, Robert Stigwood. Très vite, Polnareff signe chez le premier. Le label américain sort Polnarêve en 1974. Malgré la présence de titres comme Tibili ou L’homme qui pleurait des larmes de verre, ce n’est pas une grande réussite. L’album avait été enregistré à la va-vite. Au casting, son nouveau parolier Pierre Grosz, Jean-Loup Dabadie, et si Jean-Claude Vannier brille aux arrangements, c’est sans doute lui qui se chargea du mixage une fois Polnareff parti outre-Atlantique – ce que les fans lui reprochent.
Il compose la musique du film Lipstick de Lamont Johnson, dont le thème principal s’inscrit en pleine vague disco, alors très demandé dans les clubs US, particulièrement au Studio 54, où Polnareff adore se trémousser.
Vogue disco
Cependant, Polnarêve a eu l’avantage de le faire un peu connaître du public états-unien. Après une tournée “inoubliable et inoubliée” au Japon, Polnareff bat le fer tant qu’il est chaud. Retour aux studios. Et pas n’importe lesquels : Sunset Sound, MGM, Olympic, Davlon… Sachant qu’il a tout à prouver, le musicien fait appel à Lee Ritenour, Jim Gordon, Lee Sklar, Willie Weeks ou David Foster : “Je me sens obligé d’embaucher toutes les grandes pointures américaines, sans doute pour endormir mon insécurité.” (7)
USA, plus communément appelé Fame à la mode, raconte les méandres d’une histoire d’amour version anglophone. Il vit un grand moment de fierté quand le single Jesus for Tonight (1975), un joli folk groovy, se classe à la 35e place du Billboard. C’est une première pour un musicien français, même si la censure américaine l’attend au tournant et l’interdit de diffusion, choquée par ses paroles : “Je ne peux marcher sur l’eau / Je ne peux pas changer l’eau en vin / Mais laisse-moi être ton Jésus pour ce soir.”
Il compose la musique du film Lipstick de Lamont Johnson, dont le thème principal s’inscrit en pleine vague disco, alors très demandé dans les clubs US, particulièrement au Studio 54, où Polnareff adore se trémousser. Numéro 1 du Billboard dance ! Il pense atteindre son american dream et il exulte. D’autant plus qu’on le réclame à cor et à cri au bercail – où il ne peut pas poser un pied sous peine d’être arrêté. Le 26 octobre 1975, le directeur des programmes de RTL Roger Kreicher organise un concert exceptionnel au Forest National, à Bruxelles. Les fans débarquent par trains entiers. Sans sa sono coincée à la douane, Polnareff fait le show seul, doté du mégaphone d’un policier. Euphorie garantie.
Mais au fond, Polnareff reste mélancolique et, surtout, nostalgique de son pays. Ce qu’il exprime dans l’un de ses plus grands tubes, Lettre à France, composé dans un restaurant new-yorkais un soir d’hiver. En juillet 1977, le single réconcilie définitivement le chanteur avec son public français. En octobre 1978, au moment de la sortie de Coucou me revoilou, il revient en France afin de se présenter au tribunal correctionnel, qui reconnaît l’escroquerie subie. Or, il doit toujours plus d’un million de francs au fisc… De quoi retourner vivre sous le soleil californien, d’autant que Coucou me revoilou, qui a pris à Polnareff un an de travail entre Londres et L.A., n’a pas rencontré le succès escompté. Entièrement écrit en français, surtout par Polnareff, porté par le single Une simple mélodie, son ADN disco ne séduit ni le public français ni le public américain, d’ailleurs. Il est donc temps de dire bye-bye au label Atlantic et de s’octroyer trois ans de vraie pause, entre la Cité des anges et le désert.
1, 4, 7. Polnareff par Polnareff de Michel Polnareff et Philippe Manoeuvre (Grasset, 2004).
2, 3, 5, 6. Spèrme de Michel Polnareff (Plon, 2016).
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