Jérôme Garcin évoque Gérard Philipe et l’horreur d’une vie condamnée à s’arrêter précocement. Un livre d’une beauté crépusculaire et troublante, qui révèle l’intime de ce flamboyant au destin foudroyé.
Candide, incandescent, habité, Gérard Philipe était un acteur hors pair. Bien que ringardisé un temps par la Nouvelle Vague, il demeure le comédien emblématique de l’après-guerre, synonyme de résistance, de socialisme, du Théâtre national populaire, de Jean Vilar et de Max Ophüls.
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Trente-quatre films et une centaine de pièces de théâtre entre 1944 et 1959, quinze ans d’une trop courte carrière. Il est mort à 36 ans, emporté par un cancer foudroyant.
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Un destin cruel, scandaleux et tragique
Quand Jérôme Garcin, l’un des maîtres du roman d’inspiration biographique (Bartabas, roman, Le Voyant), voire autobiographique (La Chute de cheval, Théâtre intime), s’empare d’un tel destin, cruel, scandaleux, tragique, le résultat est à la hauteur de nos espérances.
Ce n’est donc pas en racontant les épisodes grandioses, la vie magnifique du jeune premier que Le Dernier Hiver du Cid révèle l’intime de son personnage. C’est, dans la veine des meilleures biofictions à la Joyce Carol Oates, en se risquant vers le quasi indicible, l’innommable, l’horreur d’une vie condamnée à s’arrêter précocement.
Gérard Philipe note dans son journal intime : “On dit souvent que le talent n’est pas méconnu. Cela est surtout vrai pour les écrivains, un romancier ou un auteur dramatique peuvent être découverts dix, trente ou cinquante ans après leur mort. Un comédien mène une lutte dangereuse avec et contre le temps.”
Lui qui menait une existence saine, sans excès, de père de famille ne savait pas – sa femme le lui cacha jusqu’à la fin – qu’un mal incurable le dévorait.
Une approche à la plus juste distance pour écrire la mort
Le style de Garcin est élégiaque, quasi proustien, une pastorale ou une symphonie romantique. Son approche de ce sujet délicat a la juste distance, la pudeur requises pour écrire la mort. Tandis que l’histoire se fait de plus en plus dramatique, la fin, irrémédiable, se dessine en creux, comme en négatif, la figure essentielle d’Anne.
Cette épouse, seule juge de son art, dont il cherche des yeux l’assentiment à la fin de chaque représentation. Une grande personne, comme le révèle ce type de circonstances exceptionnelles. L’amour total entre cette femme si discrète et cet homme solaire, flamboyant, qui séduisit les plus belles actrices de son époque, s’affirme in fine comme le centre névralgique du livre.
Conjurer le passage inexorable du temps
Il fait ainsi écho au Théâtre intime que Garcin consacra, en 2003, à Anne Philipe et à sa fille Anne-Marie, qui deviendra sa femme. Dans le dernier chapitre, l’auteur évoque la traversée du Luxembourg par la mère et ses enfants.
Ce jardin, le jeune couple en avait escaladé, quelques années plus tôt, la grille. Ils l’avaient parcouru cet autre hiver, couvert de neige, en se jurant élégance jusqu’au bout. Ainsi l’écrivain restitue-t-il à Anne-Marie une part de son père dont elle ne peut se souvenir, étant trop petite lorsqu’il disparut.
Et ainsi conjure-t-il, comme son beau-père voulait le faire avec le théâtre, le passage inexorable du temps. “Quelle pensée s’impose souvent à vous ? demandait à Gérard Philipe, avant qu’il ne tombe malade, un journaliste – L’urgence des choses que je dois faire. – Qu’est-ce qui vous étonne dans la vie ? – Sa brièveté.”
Le Dernier Hiver du Cid, de Jérôme Garcin, éd Gallimard, Collection Blanche, 208 p., 17,50 €
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