Samuel Paty, un professeur d’histoire-géographie, a été assassiné vendredi 16 octobre par un terroriste islamiste alors qu’il avait montré des caricatures de Mahomet dans un cours d’éducation civique. Comment le corps enseignant va-t-il dépasser ce choc ? Laurence de Cock, enseignante et chercheuse à Paris, analyse la situation.
Depuis l’attentat du 16 octobre à Conflans-Sainte-Honorine, le corps enseignant est toujours sous le choc. Laurence de Cock, enseignante à Paris, historienne et chercheuse en sciences de l’éducation, n’est pas encore complètement libérée de cette torpeur. Malgré tout l’autrice du livre Ecole (éd. Anamosa) nous livre son avis sur la situation que vivent les professeurs. Des enseignants désarmés face à certains parents d’élèves, et une formation qui ne considère plus la laïcité comme un élément qui doit être réfléchi avant d’être enseigné. Elle y voit une « déconsidération du métier d’enseignant et du rôle de l’école. »
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Vendredi 16 octobre, un professeur d’histoire-géographie a été tué pour avoir fait son métier. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Laurence de Cock – Comme la plupart des enseignants, j’ai un sentiment de paralysie et d’effroi. C’est une espèce d’incompréhension et de suspension de la raison. D’abord, parce qu’il y a un commis crime contre un enseignant, ensuite, parce que c’est un crime qui a une forme inédite, qui renvoie à l’imaginaire de la pire barbarie. Et enfin, parce qu’on a là un collègue d’histoire-géographie qui a été assassiné sur le contenu d’un cours sur la liberté. Tous les ingrédients sont réunis pour que l’on soit complètement sous le choc.
D’ailleurs, ce n’est pas fini. Ce n’est pas parce qu’on est 96 heures après les faits que c’est terminé. Pendant 45 min, j’ai regardé ma bibliothèque me demandant ce qu’on allait devenir. Le temps de la réflexion viendra bientôt, mais il est encore un peu tôt.
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Dans quelle mesure l’appel à la vindicte sur les réseaux sociaux mené par un parent d’élève quelques jours avant l’attentat témoigne-t-il d’une fracture dans la relation entre le corps enseignant et le reste de la société, selon vous ?
Ce n’est pas la première fois qu’un parent d’élève ou un membre de la société civile s’octroie le droit de photographier un cahier, relayer un contrôle ou faire part de ce que son enfant a raconté sur les réseaux sociaux, sous la forme de vidéos, de tweets, de posts Facebook. C’est de plus en plus fréquent.
Cela dit bien la fracture mais surtout la méconnaissance complète du métier d’enseignant et de ce que c’est qu’un cours. On ne peut pas isoler un tout petit bout et lui faire dire n’importe quoi. Un cours c’est long, c’est une succession de documents, de discussions avec les élèves, de moments conflictuels et de moments d’apaisement. Ce sont des rires aussi. C’est tout un tas de choses et ce n’est certainement pas résumable à un document ou à un exercice. Le fait que la société civile se donne ce droit-là c’est le symptôme de deux choses : une déconsidération du métier d’enseignant et du rôle de l’école. Comme si l’école c’était ce truc dont on pouvait faire le procès régulièrement sur les réseaux sociaux.
Le fait que les parents viennent demander des comptes aux enseignants, ça a toujours existé. Mais là ce n’est pas aux enseignants qu’on demande des explications, c’est une mise en procès public avant même d’avoir eu la moindre explication.
Je vais proposer la dissolution du CCIF et de BarakaCity, des associations ennemies de la République.
Il faut arrêter d’être naïfs et voir la vérité en face : il n’y a aucun accommodement possible avec l’islamisme radical. Tout compromis est une compromission. #Europe1— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) October 19, 2020
Depuis ce week-end, Gérald Darmanin multiplie les annonces : son vœu de dissoudre le CCIF et l’association Barakacity, de fermer la mosquée de Pantin, d’expulser 231 étrangers en situation irrégulière… Quelle est votre réaction face à ces propos qui ne prennent pas forcément en considération le temps de recueillement nécessaire à la famille et aux professeurs ?
Que l’extrême droite s’engouffre sur l’évènement n’a étonné personne, c’est son fond de commerce. Ils ont profité de cet événement pour perpétuer leur discours de haine. C’est navrant mais on ne s’attendait pas à autre chose.
Le gouvernement, c’est différent. Je suis très inquiète de cette réaction qui me semble plutôt être des gages donnés à l’opinion publique alors que ce que j’attends moi, et ce qu’on est un certain nombre à attendre, c’est un usage du droit et de la justice.
Sur la dissolution du CCIF et la fermeture de la mosquée de Pantin, pour moi la question est : comment est établi leur responsabilité dans ce crime ? Si leur responsabilité est établie, c’est à la justice de faire son travail. Si la justice n’a pas le temps de faire son travail et que ce n’est basé que sur des allégations, ça ne va pas, dans ce cas-là, cela veut dire que l’on n’est plus dans un état de droit.
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Après l'assassinat de #SamuelPaty, il est évident que ce qu'il faudrait mettre en place, c'est:
1) Une réforme.
2) Des formations.
3) Un observatoire.
(Le numéro vert, c'est déjà fait, apparemment.)— Didier Jodin (@didierjodin) October 18, 2020
Faudrait-il revoir la façon dont on considère la laïcité à l’école ? Il semblerait que tous les professeurs n’aient pas la même idée de ce qu’elle représente, ce qui est possible ou non de dire aux élèves et d’entendre de leur part.
Oui, de ce point de vue là, on a régressé. Pour les gens de ma génération, dont faisait aussi partie Samuel Paty, nous avons reçu une formation sur ces enjeux-là. C’était une formation assez solide sur ce qu’on appelle “l’enseignement laïque du fait religieux”. C’était obligatoire dans notre formation pour devenir enseignant. Je dirais qu’on est plutôt bien outillé sur ces questions-là.
Mais depuis 5 ou 6 ans, les plans de formations des enseignants sont devenus indigents. Cette question de l’enseignement laïque, du fait religieux, a été très marginalisée et remplacée par des vérités toutes faites, des cours prémâchés, au détriment d’une vraie réflexion intellectuelle. Comment articule-t-on la croyance et la raison ? Comment faire en sorte que les élèves qui ont des croyances adhèrent aussi à un discours de raison qu’est celui de l’école ? Cela ne se fait pas avec un kit pédagogique sur la laïcité.
De toute urgence, il faut aller voir ce qui existait il y a 15 ou 20 ans et s’en inspirer. C’est essentiel pour tous les enseignants plus jeunes qui sont sur le terrain, qui vont retrouver leurs élèves le 2 novembre et qui vont se sentir démunis. L’erreur serait de poursuivre dans la lignée de ce qui est en place aujourd’hui, c’est-à-dire une sorte d’injonction à la laïcité qui ne repose pas sur une profonde réflexion avec les élèves. La laïcité qui doit être un principe de dépassement et d’organisation pacifique des différences par le cadre républicain de l’école.
Images des rassemblements citoyens partout en France en mémoire de #SamuelPaty. Des rassemblements pour montrer notre attachement indéfectible à la liberté d’apprendre et d’enseigner ainsi qu’à la liberté d’expression.https://t.co/R8Eev6R1GOhttps://t.co/rccSaUqRnX
— SNES-FSU (@SNESFSU) October 19, 2020
Comment les professeurs peuvent-ils se relever quand Samuel Paty est devenu une victime de l’obscurantisme qu’il souhaitait combattre ?
Grâce au collectif. Le fait de puiser de la force chez les uns et les autres. Retrouver ce qui nous soude au-delà de ce qui nous divise. Retrouver de l’énergie, du courage, de la sève du métier. Se réaffirmer comme des experts. Afficher nos doutes, nos questions et essayer de les surmonter ensemble. Cela va être compliqué parce qu’il faut le faire à l’échelle de nos établissements, de nos réseaux, de nos disciplines et à l’échelle nationale. Comment reconstruit-on dans l’espace public un discours de légitimité, fondé sur des valeurs qu’on partage et de façon à ce que l’on ne puisse plus nous attaquer comme ça, de façon isolée et aussi violente ?
Propos recueillis par Pauline Thurier
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