Vingt ans après la sortie de leur album culte « Heptagone », ATK est de retour avec un disque magnifique et une salve de concerts parisiens. L’occasion de s’entretenir avec ces pionniers du rap français était trop belle pour que nous la laissions passer. En compagnie de Cyanure, Tacteel, Antilop Sa et Test, nous sommes revenus sur l’histoire de ce groupe mythique, la disparition du regretté Fredy K et sur ce nouvel album (« On fait comme on a dit ») qui démontre que nos glorieux aînés n’ont rien perdu de leur maestria.
Le titre de l’album est « On fait comme on a dit ». Est-ce que c’était une promesse que vous vous étiez faite collectivement ? Quelle est sa signification ?
Cyanure – C’est une promesse tacite entre nous. La disparition de Fredy K a aussi fait que nous nous sommes éloignés les uns des autres mais on reste malgré tout liés à vie, avec ou sans cet événement. On se connaît depuis l’adolescence et on savait qu’on allait se retrouver, qu’un jour on referait quelque chose. Il y a eu plusieurs tentatives et là, ça a été la bonne.
Le tragique décès de Fredy K est-il une épreuve qui vous rapprochés ?
Test – Je pense que chacun avait besoin de faire son deuil dans son coin. C’était un moment difficile pour tout le monde et nous n’avions pas besoin de cela pour se rapprocher. Nous sommes liés par ce que nous avons accompli, par notre amitié… On a grandi ensemble, on a quasiment tous commencé la musique ensemble.
Fredy faisait figure de locomotive du groupe. Vous avez raconté à plusieurs reprises qu’il portait beaucoup de projets collectifs. Est-ce que ça a marqué un coup d’arrêt dans l’activité du groupe ?
Cyanure – Dans l’histoire d’ATK, il y a souvent eu une locomotive. Sur les premiers projets, ça a énormément été Axis ; il maîtrisait les machines, il nous enregistrait, il mixait les morceaux avec Tacteel. C’est lui qui a porté Micro Test et Heptagone à bout de bras. Par la suite, à la fin des années 1990, début des années 2000, à la période des premières séparations, Fredy a vraiment repris le flambeau avec tous les volumes d’Oxygène qui sont sortis. Il a monté un studio et c’est grâce à ce studio qu’on va enregistrer Silence Radio. Dans ce tronçon de l’histoire d’ATK, c’était lui la locomotive oui. Le ciment s’est cassé à son décès et on a dû trouver d’autres tracteurs pour mener la suite des projets. Il était le ciment entre nous tous qui prenait des nouvelles de chacun.
Quand l’idée de l’album « On fait comme on a dit » a-t-elle commencé à germer dans vos esprits ?
Cyanure – Dans notre tête, on voulait faire un album pour fêter les dix ans d’Heptagone. Fredy K est décédé en 2007 et on a fait le projet hommage et on n’a pas eu l’occasion de faire l’autre album. Ensuite chacun a suivi sa vie personnelle. Je pense que l’envie était partagée mais que ça pouvait réveiller certains sentiments, certaines douleurs… Un des trucs c’était aussi de se dire : passer après Heptagone, avec des années en plus dans les jambes, la question pouvait se poser.
Est-ce que vous aviez peur d’ébranler le mythe qu’a représenté Heptagone dans l’histoire du rap français ?
Cyanure – Il y avait une certaine peur de ça et il y avait aussi, après le décès de Fredy K, la question de l’identité du groupe en soit qui ne serait plus jamais la même. C’est presque un nouveau groupe même si FK est toujours présent dans nos textes. La vraie germination de l’album, en réalité, s’est faite après un morceau sur un projet de Templar d’Ul’team Atom où il a réussi à réunir plusieurs membres du groupe. A ce moment-là, on a tous eu la même idée, on s’est dit : « T’imagines que pour faire un album ATK, il faut que Test nous file deux solos, Antilop pareil, Freko pareil, etc. On se voit un week-end ensemble, on organise trois morceaux. Bilan, on a treize morceaux et donc notre album! ». De fil en aiguille, on est arrivé au résultat final qui ne ressemble pas du tout à ce que je viens de te raconter et c’est tant mieux. Les prémisses de ce truc-là remontent à il y a deux ans. Et encore, les vrais enregistrements et la vraie mobilisation du groupe entier, c’était au mois de mai.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile à mettre en place ?
Cyanure – Qu’on soit tous disponibles parce que déjà, géographiquement, nous ne vivons pas tous à Paris. On a chacun nos vies privées et puis il y a eu beaucoup de faux-départs. A une époque, Axis avait démarré un projet solo mais il aurait peut-être aimé que le projet soit plus collectif. Les planètes n’étaient pas alignées et c’est vrai que l’anniversaire des 20 ans nous a fait prendre conscience qu’il fallait s’y mettre. On s’est battu pour que ça sorte en 2018. On arrive vraiment à la fin de l’année là, histoire de marquer le coup. Symboliquement c’était important.
Tacteel – Pour ce disque là s’il fallait citer des locomotives, ce seraient Antilop et Cyanure. Ils ont porté le projet et sont venus nous voir un par un séparément pour nous dire : « Il y a ça dans les tuyaux, est-ce que tu es partant ? »
Antilop SA – Inconsciemment, on a essayé de respecter un pacte implicite. C’est clair que si tu demandes la genèse d’ATK à chaque membre du groupe, on aura tous un discours commun mais nuancé selon les cas. On se connait depuis très longtemps et on peut avoir des réactions différentes. Ce qui est sûr c’est qu’il y avait en nous ce pacte implicite de refaire un projet commun. L’invitation par Ul’team Atom, a été fédératrice. Comme l’a expliqué Cyanure, on s’est dit qu’il ne fallait pas grand chose pour que toute l’équipe soit au complet. Puis il a fallu évaluer les disponibilités de chacun, mettre une méthode de travail en place, etc. Je le dis et ne cesse de le répéter : nous sommes des artisans.
Quelle est la connexion entre Ul’team Atom et ATK ?
Test – Je les ai rencontrés en 1999. Simon aka Templar m’avait contacté chez mes parents. Il m’avait dit qu’il avait entendu nos sons et qu’il avait bien accroché. Il voulait qu’on lui fasse passer une K7. Nous nous sommes ensuite vus à Belleville et le contact s’est noué. Il y a tout de suite eu un lien, d’abord musical, et ensuite amical.
Vous venez pour la plupart de l’est parisien au sein d’ATK ? Le lycée Paul Valéry en point d’ancrage ?
Cyanure – C’était clairement un point central le lycée. On n’était pas tous de ce bahut mais c’était une grosse barre, c’est là où j’ai rencontré Tacteel pour la première fois…
Antilop SA – C’était un véritable vivier artistique ce lycée Paul Valéry…
Cyanure – Sur les 21, même si on était plus au final mais on garde le chiffre pour le symbole, il y avait Freko du 9, Watchos du 92, etc. Mais le point central restait l’Est parisien.
Comment vous positionniez-vous à l’époque par rapport aux autres collectifs parisiens ? Time Bomb qui est de la même époque ?
Cyanure – C’est à peu près la même époque et par rapport aux autres collectifs, et même par rapport aux autres rappeurs, quand on se croisait dans la rue, on sentait qu’il avait un look de b-boy, qu’il avait son petit sac à dos avec son tag dessus, c’était quelqu’un vers qui on allait en ouvrant les bras (rires). Ce n’était pas monnaie courante de rapper à l’époque. Ce qui passait sur les ondes ce n’était que ce qu’on appelait le rap commercial. Avec les autres collectifs, quand ATK a explosé, une grosse partie est allée chez Time Bomb, le groupe Jedi devenu Ghetto Diplomats, etc. Puis il y a eu l’émergence de La Brigade aussi… Mais nous en fait, on se situe une génération en dessous, on n’a pas beaucoup d’écart d’âge avec eux mais, malgré tout, on était les « petits » car à cette époque, un an ou deux d’écart ça comptait énormément. Une sortie de disque de retard c’était énorme.
Antilop SA – Le background d’un MC comme Zoxea, qui fait partie de notre génération, était bien plus impressionnant. Derrière lui, il y avait déjà les Sages Po’, il était affilé à Cut Killer, plein de faits d’armes qui mettaient la pression. Nous on était encore loin de tout ça (rires). Pour nous, c’était une référence, une institution.
Quelles étaient vos influences rap à l’époque ?
Test – La Cliqua, les Sages Po’, la FF pour les plus connus…
Antilop SA – Après il y avait des MC de l’ombre dont personne n’a jamais plus entendu parler par la suite et qui était super forts. Des mecs comme Sidi Omar par exemple, la liste est longue. C’est le côté ingrat de notre musique, il y a énormément de talents qu’on a vus passer dont personne n’entendra jamais parler.
Cyanure – Pour moi le point de départ, ce sont les émissions de Radio Nova, avec Lionel D et Dee Nasty dont sont sortis, on va dire, MC Solaar et NTM qui venaient faire leurs freestyles quand ils avaient 16 ans. Toute une ribambelle de pères fondateurs du rap sont passés par chez eux. A l’époque, il n’y avait que 30 mecs qui rappaient en France et ces 30 mecs sont passés dans cette émission.
Heptagone est considéré comme un album culte, inscrit au panthéon du rap français mais ATK pour le grand public n’est pas un groupe qui leur vient tout de suite en tête. Comment l’expliquez-vous ?
Antilop SA – Je pense qu’on n’a jamais connu de succès commercial parce que nous n’étions pas signés à l’époque en maison de disque. La plupart des artistes qui se retrouvaient dans une major à l’époque, c’était forcément détonnant. Tu avais les clips, le marketing qui allait avec donc, c’était plus identifiable dans le temps. On mesure l’importance et le poids qu’avaient ce genre d’institutions car elles faisaient la pluie et le beau temps. Aujourd’hui, il existe plein d’autres vecteurs de communication pour faire vivre sa musique mais à l’époque, il fallait être en maison de disque. Nous, on était underground et la majeure partie de notre public, c’est un public qui a grandi avec nous, en consommant les petits morceaux, les mixtapes et non pas à travers un album signé à toute patate chez Polydor… Nos lettres de noblesses se sont inscrites dans l’underground.
Tacteel – Quand on a fait Heptagone, on n’avait pas d’autre sensation que de faire quelque chose de super honnête. A cette époque, on n’était pas épaulé, on n’avait pas d’équipe forte, rien, du point de vue du label ou du management. L’album a fait sa vie tout seul en fait. A aucun moment, on s’est dit qu’on était en train de réaliser quelque chose de culte ou autre. Il s’est avéré que, les années passant, on a pris artistiquement des chemins différents… Le caractère mythique du truc tu ne peux pas l’évaluer quand tu es en train de le réaliser. C’est ça la magie d’Heptagone : le skeud est devenu mythique parce qu’on a croisé des gens 5, 10 ou 15 après qui nous ont dit : « J’ai grandi avec ce disque ». On m’a raconté que des gens jouaient 20 ans à des enterrements d’amis à eux qui étaient morts avant leur 20 ans. Le disque a eu sa propre vie.
Cyanure – La question nous fait plaisir car à l’époque d’Heptagone, on n’a pas fait de clips car c’était hors de prix ; on n’a pas eu de passage en radio nationale, même s’il y a eu un gros travail des petites stations. Qu’aujourd’hui, on nous dise encore qu’il s’agit d’un album culte, ça veut bien dire que le seul vecteur a été le bouche à oreille.
Comment s’est fait le rapprochement avec Zoxea, à l’époque d’Attaque à mic armé, qui a permis a beaucoup de personnes de vous découvrir ?
Test : Il avait son émission sur Générations dans laquelle on a fait un passage, en 1996. On était venu lui apporter un exemplaire de Micro Test. Le contact s’est fait naturellement, il ne se prend pas la tête Zoxea. C’est quelqu’un de très humble alors qu’on le voyait déjà comme une star (rires).
Cyanure – Après le disque, il nous a invités la semaine suivante à son antenne…
Test – Ce qui était dingue pour nous, car on n’avait fait quasiment aucune radio à l’époque. On avait une heure d’émission avec lui. C’était au-dessus de Planète Rap ! L’animateur en face de toi c’était Zoxea, pas Culcul la praline (rires)
Cyanure – C’est le journal de 20 heures de TF1 le soir des élections ! (rires)
Test – Après la radio, on a été amené à participer à la compilation Nouvelle Donne. Le concept était simple. Un MC connu avec d’autres moins connus. Nous, on ne connaissait que Kohndo, un pote de Cyanure et Zoxea vers qui on s’est dirigé naturellement. On a fait ce morceau qui nous a un peu mis en lumière, pour moi il s’agit du premier, Attaque à mic armé.
Antilop SA : On a rapidement pris la mesure des choses à l’époque. Je me souviens qu’on a eu des échos des artistes qui participaient au projet. Tu retrouvais déjà Kery James, Disiz la Peste, etc. Des artistes qui avaient certains faits d’armes donc on savait qu’on devait performer et on s’était mis la pression pour faire ce qu’on savait faire le mieux, du ATK.
Sur vos premiers morceaux, vous rappiez sur des instrus qui sortaient du carcan du rap traditionnel. On a l’impression que vous avez longtemps été dans une sorte d’expérimentation musicale ?
Tacteel – Le fait de puiser à ce point dans la variété française, on le doit beaucoup à Axis. Il avait ce truc pour aller choper tout ce qui se trouve devant lui, il ne se prend pas la tête (rires).
Antilop SA – Il faut rendre hommage à son père, Paul Scemama, qui est un musicien qui a travaillé avec de nombreux artistes et qui a procédé à une passation culturelle et musicale à son fils qui a été déterminante.
Test – A quinze ans déjà il avait un bagage musical au dessus de la moyenne.
Cyanure – Axis était capable de résultats incroyables avec un sampler en main. Il a un très gros bagage technique alors que Tacteel a lui un énorme bagage musical. En quelque sorte, Axis a été le Jedi de Tacteel pour toucher les premiers samplers mais à l’inverse, Tacteel a pu lui apporter une autre vision de la musique.
Beaucoup de rappeurs dans les années 1990 s’interdisaient de faire du chant mais pas vous. Pourquoi ?
Antilop SA – On ne se posait pas la question en fait. Tant que la vibe passait, que c’était validé par nos effectifs et qu’on y trouvait une cohérence, c’était bon.
Test – C’est dommage de se mettre des barrières, des étiquettes…
Cyanure – On n’avait pas d’école, pas de « grands ». Si on avait fait partie de 4 My People, B.O.S.S ou Beat de Boul par exemple, tu retrouves une sorte de « flow de crew » d’esprit commun avec, même si t’as d’excellents artistes, une sorte d’uniformité à un moment donné.
Antilop SA – Une philosophie commune…
Dès vos premiers textes, on a ressenti une profonde mélancolie et une vision assez pessimiste du genre humain. Une patine qu’on retrouve dans votre album, comment l’expliquez-vous ?
Test – C’est de la faute d’Axis, il ramenait sa vibe maussade à chaque fois (rires). Blague à part, c’est quelqu’un de très mélancolique et ça se ressentait dans beaucoup de ses samples. Ça nous parlait directement aussi. C’est notre pote, on marche avec lui.
Axis – Les instrus d’Axis étaient le meilleur écrin à l’époque pour mettre en valeur nos textes. On forme une clique à texte et c’était ce qu’on voulait mettre en avant. Et puis, c’est le reflet aussi de nos discours où l’on explique que nous sommes les fruits de notre environnement. Que ce soit Test, Fredy, Cyanure, etc. on essayait de coller au plus près à ce qu’on vivait au quotidien.
Un morceau comme L’affaire hot-dog où vous samplez le générique d’Arabesque, était-ce une manière de vous rebeller contre l’univers mélancolique d’Axis ?
Cyanure – C’est lui qui a samplé Arabesque ! Il arrivait à la fin du disque dont la structure est : deux morceaux tous ensembles, des morceaux de binômes et des solos. En fait sur les binômes, Apocalypse et Maximum de phase avaient le leur et nous, Légadulabo, il nous en manquait un. On avait pré-enregistré ce texte pour une première cassette Néochrome chez Loko. Le jour de la conclusion de l’album on s’est rendu compte qu’il nous restait cette interlude et on s’est dit pourquoi pas. Ce morceau, c’est une blague mais c’est aussi une façon de dire qu’on ne s’enferme pas dans la mélancolie. On peut rapper Tuer ou Mourir juste avant et finir avec L’Affaire hot-dog.
Antilop SA – Le morceau nous plaisait beaucoup. Pour l’illustrer musicalement, on a fait les chœurs à l’unisson à la fin. On n’avait pas de garde-fous et on faisait la musique qui nous plaisait. Tant que ça faisait sourire nos potes, on était content.
Freko venait aussi de Paris ? Comment l’avez-vous rencontré ?
Test : Il vient du 91. Je savais que vous alliez poster cette question (rires). En fait, nous on se connait tous plus ou moins. C’était quelqu’un d’introverti. Il y a longtemps, en 1995, on avait organisé une sorte de casting, où chaque personne amenait 5 francs pour pouvoir répéter. Il est venu, a posé ses 5 francs, aucun de nous ne le connaissait, on le regardait de travers un peu (rires). Freko est venu avec Watchos, qui était dans le même internat que lui. Ils avaient un groupe ensemble je crois, claqué, je le dis car il y a prescription depuis le temps (rires). Il nous avait écoutés à la radio, il est venu et à un moment on lui a dit : « Bon le nouveau, maintenant c’est à toi de rapper. » Il a pris le micro et, on ne va pas se mentir, on s’en foutait un peu, on écoutait d’une oreille. Dès la première rime… Il y a eu un calme plat. Tout le monde s’est retourné l’air de dire : « Non mais c’est sa voix ça ? ». Il a posé un truc qui a duré trois minutes mais qui était exceptionnel. Je me rappelle nous nous sommes tous levés et on l’a applaudi. C’est comme ça qu’il est entré dans ATK.
Quelle est l’origine de vos pseudos à chacun ?
Cyanure – Mon premier groupe s’appelait « Les chasseurs de primes », j’étais en cinquième. On enregistrait le mercredi pour se marrer. J’avais une bande-dessinée (il la sort de son sac), pour me servir de support d’écriture. Je cherchais, je cherchais et quand j’ai ôté ma feuille de papier, je me suis retrouvé face à la couverture de la BD de Spirou et Fantasio : Qui arrêtera Cyanure ? Le nom était trouvé.
Antilop SA – Ça remonte à ma première formation, quand j’étais dans mon bahut dans le XVIIIe, un collègue du groupe m’avait donné le nom Antilop à laquelle j’ai ajouté la particule « SA », pour « Société anonyme » (rires).
Test – Je me rappelais qu’avant de rapper, je disais toujours « Test, micro, test ». Axis qui n’en perd pas une m’a directement baptisé « Test ». C’est resté. Comme j’étais assez fin à l’époque, on m’appelait « L’os » dans le quartier. Un jour, un mec m’a appelé « Testos », et c’est resté.
Cyanure – Freko, c’est coffré à l’envers, à l’issue d’une garde à vue (rires)
Tacteel – Quand t’es DJ, tu galères, je suis passé à 14 noms différents mais c’était le plus imagé (rires).
Cyanure – Pour Fredy K par contre j’ai deux versions sur l’origine de son nom. Son prénom c’était Alfred et la référence à Freddy Kruger et aussi FK pour « Frère de Kesdo ».
Test – Non, ça c’est arrivé après. Un jour quelqu’un lui a dit : « T’es le frère de Kesdo ». Il a fait : « Ah mais ouais, ça c’est bon ! » (rires)
Cyanure – Je crois qu’on a fait tout le monde…
Test – Axis on s’en fout, il n’est pas là (rires).
Sur le titre Avoue que tu kiffes, Axis racontait l’histoire d’ATK à l’époque de la sortie d’Heptagone et confiait que vous n’aviez pas mesuré votre chance d’être ensemble. Est-ce que vous pensez que l’explosion du groupe était résistible ?
Cyanure – L’histoire du groupe est aussi ce qu’elle est car le groupe a explosé. Si on avait enchaîné avec un autre album, l’ensemble aurait peut-être moins brillé. Le groupe est entouré d’une aura de poètes maudits. Et aujourd’hui, il y a toujours un mec pour jouer les orpailleurs et conseiller d’écouter le groupe à des jeunes qui s’initient au rap. Après à l’époque, nous avons sans doute manqué de maturité. Pour Heptagone, j’avais 21 ans. Fredy devait avoir 16. Et l’on était pas forcément très bien entourés.
Antilope SA – Moi, j’adorais tellement rapper que j’ai eu envie de continuer en solo. Il y a une belle opportunité qui s’est présentée avec Nouvelle Donne et j’ai pas hésité.
Dans Ecoute écoute, Freko dit que le « rap reste votre train-train quotidien ». Durant toutes ces années, vous ne vous êtes jamais éloignés de la musique ?
Antilope SA – Il y avait un mec comme Test qui était une tête forte de la formation Noir fluo. Nous avons toujours été connectés à la musique. Nous sommes des artisans et c’est notre cœur de métier. Nous sommes restés dans une forme de léthargie ou d’abandon car nous avons été rattrapés par notre quotidien. Moi j’ai été adjoint d’animation dans le 77 par exemple.
Cyanure. Tout le monde pense que notre vie c’était ATK mais notre petit boulot, c’était la musique en fait. Le reste du temps, j’ai été chef de projet marketing et responsable com’.
Antilope SA – Oxmo Puccino disait « être célèbre n’est pas un signe de réussite ». Beaucoup de gens pensaient que compte tenu du succès d’estime d‘Heptagone nous roulions sur l’or, ce n’était pas du tout le cas.
Succéder à un album culte comme Heptagone ça doit forcément générer une forme de pression chez vous ?
Tacteel – Ce nouvel album c’est le jumeau d’Heptagone et d’un autre coté, nous sommes tous revenus avec une énergie différente. La vertu de ce disque c’est qu’il n’est pas du tout nostalgique. Il a le bon goût de pas vouloir faire du rap de kids par des mecs qui ont 40 balais ou du rap qui ne parleraient qu’aux personnes de l’époque. Après, la petite étincelle qui nous a fait remonter sur le ring c’est l’anniversaire des 20 ans et le fait de rendre hommage à Fredy mais après le disque était autonome en tant que tel. Il est pas innervé de flash-back, il y a quelque chose de très frais dans le disque.
Quel regard portez-vous sur le rap actuel ?
Tacteel – Je trouve ça beau et varié. Et c’est peut être un environnement qui nous aurait plu il y a 20 ans. A l’époque, le rap français était très codé. On s’autorisait des libertés mais à l’époque soit tu faisais du rap classique, soit tu étais un ovni.
Test – A l’époque, ils n’auraient pas toléré le quart de ce que l’on peut entendre aujourd’hui.
Cyanure – Ce qui est drôle c’est qu’entre Heptagone et cet album, tu retrouves aussi une partie du rap français, car Tacteel a bossé sur des projets plus électros et musicaux. Test était avec les Noir fluo, Antilop a fait son projet solo avec Nouvelle Donne, moi j’ai bossé avec Tacteel avec l’Atelier, Para One puis le Klub des sept. 7 était avec l’Association de dingos, des cailleras avec des bouteilles de whisky. On était des mecs très différents qui représentent toutes les chapelles du rap français.
Est-ce que vous trouvez que le rap français manque de mémoire par rapport aux pionniers de sa discipline ?
Antilope SA – Ta question est importante pas pour nous mais pour le patrimoine rapologique. Des médias comme Générations dont on a vu la création dans une radio associative n’ont pas su, à mon sens, mettre en avant les artistes qui ont fait cette culture hip hop. Il faut des archéologiques pour rechercher les histoires. Et il faut qu’il y ait plus de relais entre ancienne et nouvelle génération comme a pu le faire Sofiane avec NTM récemment.
Cyanure – Le rap a changé et deux ouvrages racontent bien cette préhistoire. Il y a le livre de Vincent Piolet, Regarde ta jeunesse dans les yeux, qui raconte toute l’histoire du rap français depuis la fin des années 1970. Et puis celui plus photographique de David Delaplace qui a permis de mettre un visage sur tous les MC de l’époque. C’est là où tu te rends compte ce que l’on doit aux 33 mecs qui ont été les pionniers de ce genre musical.
Est-ce que vous pouvez nous raconter votre fameux freestyle sur Fréquence Paris Plurielle au mitan des années 1990 ?
Cyanure – C’était une radio associative avenue du président Wilson à Saint-Denis. Pour y aller c’était une opération (rires). Je n’ai que des images où j’y allais l’hiver et qu’il faisait très froid. Il y avait une émission qui s’appelait Poulet radical où l’on a été faire des freestyles. A l’époque dans cette radio, il y avait un mec avec une console qui devait ressembler à une Gameboy. Ce n’était pas plus évolué que ça. Et puis tu avais des micros mais qu’un seul casque de retour. Pour rapper, il fallait se coller un walkman branché à la radio à l’oreille pour avoir un retour. Et ensuite à l’époque, c’était marrant mais il y avait un quart d’heure de freestyle et un quart d’heure de dédicaces. Autant te dire que les prestations étaient assez inégales…
Antilope SA – Le temps de remercier tous les arrondissements (rires).
C’est vrai que vous avez fait la première partie des Rita Mitsouko ?
Cyanure – A l’époque où on sort Micro Test, le disque était en vente chez quelques disquaires mais aussi…chez un poissonnier qui se révèle être le père de Freko. Il se trouve que parmi ses clients, il y a Fred Chichin et Catherine Ringer. Un jour, le père de Freko est tout fier de lui montrer l’album de son fils et il leur en donne un exemplaire. Et un soir, un mercredi, je reçois un coup de fil qui me dit : « Vous faites quoi vendredi soir ? Ça vous dirait de faire la première partie des Rita Mitsouko ». Ils avaient été plantés au dernier moment et ils cherchaient un groupe. Nous étions comme des fous, c’était à La Cigale. Le public était génial et je regrette de ne pas avoir davantage profité de cet instant car dès la fin du concert, nous sommes partis et l’on a pris un verre à coté. Nous n’avons pas assez savouré.
Antilope SA – C’est là que tu te rends compte que toute l’histoire d’ATK repose sur du bouche-à-oreille. Le disque n’a vécu et survécu que comme ça.
Comment vous expliquez qu’à votre époque, le rap s’écrivait surtout via des aventures collectives et aujourd’hui cela se fait surtout par des trajectoires individuelles ?
Cyanure – L’argent. On ne gagne pas d’argent avec ATK et si l’on en gagne, il est divisé par sept. Quand on a débuté, on le faisait pour le cœur et l’art. Les générations actuelles, elles le font aussi dans un objectif business et d’en vivre. Ils ont plein de modèles de réussite. Nous, nous n’en avions pas.
Avez-vous des contacts au sein de la nouvelle génération de rappeurs ?
Cyanure – Il y a des mecs comme Lomepal, Romeo Elvis ou MHD qui peuvent nous citer comme leurs références. Bref que des mecs devenus des stars du game.
Test – Quand il était plus petit, MHD me livrait mes pizzas. C’est un petit de ma cité. Je le connais très très bien. C’est un bon petit, il mérite tout ce qui lui arrive aujourd’hui. Il a écouté ATK. Je me rappelle qu’un jour, il est venu me voir en me disant : « J’ai kiffé cette phase de Testos, tu lui diras ». Je l’ai regardé et je me demandais s’il se foutait de ma gueule et en fait il savait pas que c’était moi (rires).
Cyanure – D’un autre coté, c’est pas étonnant. Tu te rends compte qu’il a fallu attendre 2018 pour voir le premier clip d’ATK ? Les gens ne connaissent pas nos visages.
Vous aviez une appréhension à remonter sur scène ?
Test – C’est la première date parisienne qu’on fait. On a la forcément la pression. On joue à domicile, on a pas le droit d’échouer. On est devant les gens qui nous aiment et on a envie de vraiment bien faire. De donner le maximum de nous-mêmes.
Cyanure – Je pense que l’on va tous écraser une larme. On va être face à des gens que nous n’avons pas vus depuis 20 ans. On va penser à Fredy évidemment, il y aura beaucoup de sentiments qui vont s’entremêler. Dans une petite salle, tu as le temps d’observer les visages et c’est d’autant plus émouvant de croiser les regards de ta famille ou de tes amis.
Vous allez forcément ressortir une émotion particulière en interprétant Qu’est ce que tu deviens ? sur scène, non ?
Tacteel – J’ai préparé ça en ressortant la version instru du morceau. J’ai gardé le couplet de Fredy K pour qu’on entende sa voix en live et je dois dire que je n’en menais pas large.
Test – Ce morceau est le plus émouvant car il y a le couplet de Fredy K qui résonne. C’est comme s’il s’adressait à nous de l’au-delà.
Cyanure – Le fait de l’interpréter 20 ans après, c’est symboliquement très fort. Qu’est-ce que l’on devient ? Eh bien, nous sommes toujours là. Ensemble.
Propos recueillis par Julien Rebucci et David Doucet