Septuagénaire en colère et amoureux, Neil Young retrouve son groupe fétiche Crazy Horse pour un convaincant Colorado.
“It’s better to burn out than to fade away” (“Mieux vaut se consumer que s’éteindre à petit feu”). Ça fait déjà plus de quarante ans que Neil Young a signé, sur l’album Rust Never Sleeps (1979), le mantra auquel sa vie paraît obéir. Jusqu’à ce que ses forces l’abandonnent – espérons le plus tard possible –, le Canadien transformera ses émois en ballades mélancoliques et ses colères en brûlots électriques. La décennie qui s’achève l’a même vu redoubler d’efforts. Il s’est acoquiné avec les jeunots de The Promise of the Real, s’est attaqué à Monsanto, a enregistré avec Rick Rubin, tourné en solo, partagé ses nombreuses archives…
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Amitié et fureur
Malgré cette hyperactivité, qu’il reparte en studio avec sa formation fétiche de Crazy Horse n’a rien d’anodin. C’est souvent en lâchant les chevaux avec ses accompagnateurs aguerris qu’il a atteint les sommets, de Everybody Knows This Is Nowhere (1969) à Psychedelic Pill (2012), son album récent le plus substantiel – et pas uniquement parce qu’il était double.
Avec Crazy Horse, Young écrit une histoire d’amitié et de fureur qui, malgré les interruptions ou les défections – Frank Sampedro après Psychedelic Pill –, nécessite peu de braises pour redevenir brûlante. D’abord parce que le chanteur a régulièrement besoin d’exutoires rageurs.
Studio dans les Rocheuses
En février dernier, un mois après avoir enterré Pegi, son ancienne épouse, le vétéran canadien a eu envie de reprendre la route. Il a convié dans son bus ses complices favoris, Billy Talbot et Ralph Molina, qui forment depuis un demi-siècle une section rythmique inoxydable, mais aussi un autre proche, le chanteur-guitariste Nils Lofgren. Après la tournée, les quatre musiciens ont prolongé le plaisir de la communion en investissant un studio des Rocheuses, à plus de 2600 mètres d’altitude (avec bouteilles à oxygène à portée de main).
En une dizaine de jours, ils ont enregistré sur du matos analogique Colorado, d’après un répertoire prêt à l’emploi – pour la plupart, les chansons avaient été jouées en concert. L’heure n’est plus aux expérimentations et on n’aura sans doute jamais droit à une suite de Trans (1982) où l’Auto-Tune remplacerait le vocoder.
Impressionnantes cavalcades
Non, à 73 ans, Neil Young préfère continuer d’exploiter et de labourer le territoire americana, dont il a délimité les frontières au long de sa carrière. Après la rustique et country-rock avenante de Think of Me, menée par un harmonica, le géant et sa troupe se lancent ainsi dans une des impressionnantes cavalcades dont ils ont le secret. Sur She Showed Me Love, longue de près de quatorze minutes et traversée par des solos de guitare tempétueux, il enfourche avec conviction son cheval de bataille écologique comme sur l’orageux Shut It Down, où il réclame un reboot du système.
Mais s’il est préoccupé par l’avenir de l’humanité (Green Is Blue) et rattrapé par le passé (sublime Olden Days), il se montre aussi heureux du moment présent – Daryl Hannah et lui se sont mariés il y a un an. Colorado balance ainsi entre transe rock combative et d’émouvantes ballades énamourées (Milky Way, I Do). Oui, la bluette Eternity est trop chargée en sucre et le message d’ouverture de Rainbow of Colors aurait mérité autre chose que cette composition fade. Mais si Colorado devait être l’ultime baroud de Neil Young avec Crazy Horse, personne n’aurait à en rougir.
Colorado (Reprise / Warner)
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