Les Canadiens de Corridor sortent leur troisième album “Junior“, enregistré dans l’urgence, avec Sub Pop, le mythique label américain.
Mercredi 10 avril 2019, la communauté scientifique s’affole. Un consortium international vient de publier la première photographie d’un trou noir. Le cliché du corps céleste est historique. Au même moment, dans un studio de Montréal, le producteur et musicien local Emmanuel Ethier travaille d’arrache-pied sur le mixage du dernier disque de Corridor.
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Epaulé par un ingénieur du son, il ne dispose que d’une poignée de semaines pour en tirer différentes versions, les soumettre aux membres du groupe dès leur retour d’une tournée américaine et espérer sortir les masters au plus vite.
Un sprint de six mois
Junior, le troisième album du quatuor canadien, sera achevé début mai. “Après ça, on est partis tourner en Europe. A la fin, j’étais détruit”, résume le guitariste et chanteur Jonathan Robert, installé début septembre dans un hôtel parisien. “On s’est quand même tapé un sprint de six mois où l’on était tous les quatre ensemble, en permanence, admet Dominic Berthiaume, bassiste et également chanteur. Tout était vraiment intense, mais c’était ce qu’on voulait.”
Depuis ses débuts en 2013 et la sortie de l’ep Un magicien en toi, Corridor n’a cessé de s’illustrer en prenant son temps. Chaque album, dont l’excellent Supermercado (2017), a toujours été le résultat d’assemblages et de bidouillages d’échantillons sonores, obtenus à longueur de nombreuses sessions d’improvisation.
Désireuse d’expérimenter pour mieux se renouveler, la formation de Montréal a donc logiquement accéléré son processus de création pour son troisième long format. A l’été 2018, une demo de quatre titres est enregistrée.
Le Légendaire label de Seattle
Le tourneur canadien du groupe se met alors en tête de lui trouver un label. “On n’avait plus aucune attente, donc on l’a laissé faire, relate Jonathan avec humour. Peu de temps après, il nous annonce que Sub Pop est intéressé, et que les mecs du label veulent nous voir en concert quelque part. On joue à New York, ils prennent l’avion. Le concert ne se passe pas trop mal, puis, trois ou quatre jours plus tard, on reçoit un contrat par mail.” Corridor devient le premier groupe francophone de l’histoire à rejoindre le légendaire label de Seattle.
Seulement, à part ses quatre demos existantes, le groupe n’a pas d’album clés en main à proposer. “Personne ne nous a mis la pression, observe le bassiste. Sub Pop voulait qu’on prenne notre temps afin de leur donner un disque qui nous satisferait à 100 %. Au contraire, on avait envie d’en faire un vite, de ne pas attendre une année de plus. Et pour que l’album puisse sortir cet automne, il devait être terminé en mai.”
“Cette expérience était hyper-éprouvante, on voulait donner le meilleur de nous-mêmes”, Jonathan Robert
En réaction, les quatre compères s’enferment dans une bulle créative pour plancher sans relâche sur ce troisième lp. Contraints de faire l’impasse sur leurs traditionnels jams, ils conçoivent de nouveaux morceaux à l’arraché, se basant sur le peu d’idées accumulées jusque-là. En six semaines, le disque est enregistré, prêt à être mixé.
“Cette expérience était hyper-éprouvante, on voulait donner le meilleur de nous-mêmes”, affirme Jonathan. Dominic poursuit : “On ne parlait pas de ça entre nous, mais vu que l’album sortait sur Sub Pop, on ressentait quand même une petite pression… On n’avait pas le droit à l’erreur.”
“On voulait attirer l’attention sur la répétition”
De cette urgence, Junior tire un pouvoir d’attraction intense et immédiat. Les premières secondes de Topographe, construites autour de motifs de guitares reproduits à l’infini, sonnent comme le début d’une cavale sans issue. Le labyrinthe sonore présent sur les albums précédents a laissé place à un tunnel perpétuel, une chute libre semblable à celle de l’astronaute David Bowman du 2001 : l’odyssée de l’espace de Kubrick, qui progresse sur l’ensemble des dix titres.
Plus produits et davantage linéaires en raison d’une rythmique empruntée à la Kosmische Musik, les morceaux défilent au son du ballet des guitares typiques des Montréalais et s’habillent des voix éthérées de leurs chanteurs, toujours en français dans le texte. Les patterns se répètent, les structures hypnotisent.
“Nos anciennes sorties étaient beaucoup plus fouillis, tu pouvais trouver quinze idées à la fois sur une chanson, se marre le guitariste. Ici, on a essayé d’épurer tout ça. On voulait attirer l’attention par la répétition. Et puis quand tu as une bonne idée, c’est bien de la faire durer longtemps ! Même au niveau des textes, on ne s’est pas attardés sur des concepts ou des thématiques comme on avait pu faire avant. J’ai écrit des choses plus directes, qui parlent de moi, de nous, de notre entourage.”
Brouiller toute notion de temps et d’espace
Junior est un trou noir où passé, présent et futur ne font qu’un. Entre pop sixties, krautrock, rock psychédélique et post-punk, les Canadiens brassent les époques et absorbent les genres. Ils déforment les rythmes, se jouent des cadences, allant jusqu’à brouiller toute notion de temps et d’espace. La fulgurance des singles Topographe, Domino et Pow est ainsi contrebalancée par des plages au bpm ralenti (Agent Double, Grand Cheval et la sublime Bang) ou aux divagations planantes (les outros de Goldie et Milan).
“Notre musique, comme nos pochettes et visuels, peut donner l’impression que tout a été fait il y a quarante ans, mais ça pourrait tout autant être quelque chose de très actuel ou de futuriste… On est incapables de mettre le doigt dessus”, conclut Dominic. Alors que les scientifiques ont immortalisé l’apparence du fameux corps céleste, Corridor s’en est allé l’explorer.
Album Junior (Sub Pop/PIAS)
Concerts Le 1er novembre, Lyon (Sonic), le 2 novembre, Nantes (Festival Soy) et le 4, Paris (Point Ephémère)
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