Le Maif Social Club inaugure une exposition qui se penche sur les codes des réseaux sociaux, et leur impact sur le militantisme
Situé à Paris, dans le quartier du Marais, le Maif Social Club est un centre culturel hybride. À travers une exposition et des événements, il aborde trois fois par an une thématique différente. Du 4 octobre au 9 janvier 2020, l’honneur est au concept d’engagement militant à l’ère numérique. Grâce à l’exposition « Causes toujours ! Du hashtag à la rue », le.la visiteur.se est alors invité.e à questionner l’influence et l’efficacité des nouveaux outils du militantisme : les réseaux sociaux.
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Une exposition composite aux airs de parcours didactique
Reprenant le système populaire du hashtag, l’exposition se structure autour de 7 mots : #idéaux, #fiabilité, #pérennité, #implication, #viralité, #mobilisation et #responsabilité. Chacun est illustré par une définition concise, un texte introductif, une œuvre d’art contemporaine, un cas médiatique et l’avis d’un penseur. Travaillant main dans la main, les commissaires Laura Encinas – responsable innovation et stratégie pour le média engagé Usbek & Rica – et Anne-Sophie Bérard – commissaire d’exposition de métier et auteure – ont chacune utilisé leur expertise pour créer une exposition pluridisciplinaire.
Agencée comme un parcours pédagogique, l’exposition est aussi bien structurée dans la forme que dans le fond. À chaque hashtag son espace, celui-ci étant délimité par des grilles et possédant un code couleur. Grâce à cette organisation pointilleuse, le.la visiteur.se n’est jamais perdu.e, que ce soit dans l’espace ou dans le message de l’exposition. Comme l’explique Anne-Sophie Bérard, il était important pour Laura Encinas et elle de rendre intelligible le discours, et de proposer une exposition à la portée universelle.
Une invitation à la méfiance…
Que l’on se revendique militant ou non, on a tous été confronté.e.s à ce militantisme 2.0, celui qui s’exprime sous forme de likes, de memes ou de tweets. Si Anne-Sophie Bérard et Laura Encinas souhaitaient toucher le plus grand nombre, c’est parce que le sujet qu’elles analysent affecte tout le monde – mais que peu en parlent. C’est donc pour inciter les visiteurs.ses à prendre du recul sur ces nouveaux codes communicationnels que « Causes toujours ! » a vu le jour. Lorsqu’on demande à Anne-Sophie Bérard ce qu’elle voulait faire ressentir aux visiteurs.ses à travers son exposition, « le doute » sort de sa bouche sans aucune hésitation. « Aller clamer que, grâce à internet, on est tous capables de porter nos causes, les faire entendre et les faire gagner aurait été soit du mensonge, soit de la bêtise. » explique-t-elle. En effet, tout le parcours, est imprégné d’un certain scepticisme. Les textes accompagnant le hashtag #pérennité, par exemple, ne sont pas des plus optimistes : « sur le Web (…), les messages ont une faible espérance de vie et finissent par disparaître dans la surenchère d’infos. L’existence même d’une telle date de péremption interroge la notion d’engagement. » peut-on lire dans l’introduction au thème.
… mais pas au mépris
En revanche, ce scepticisme ne se veut pas cynique. Selon Anne-Sophie Berard et Laura Encinas, à l’ère de l’hyper connexion, c’est en étant aussi critique que hyper vigilant qu’internet devient un outil pertinent et efficace. De grands mouvements – qu’on appelle « révolutions numériques » – ont quand même vu le jour grâce à lui : #MeToo, les gilets jaunes, les Printemps Arabes etc. Selon Nikolaos Smyrnaios, enseignant-chercheur spécialiste des sciences de l’information et de la communication, faire naître des luttes militantes via les réseaux sociaux peut être véritablement efficace. Prenant l’exemple du hashtag #MeToo, il considère cela puissant de « forcer » un pays qui ne parle pas de harcèlement sexuel à enfin s’en préoccuper. Selon le chercheur, les réseaux sociaux sont très pertinents lorsqu’il s’agit d’imposer un agenda, d’encourager le peuple et le gouvernement à prendre position sur un sujet. Mais cela ne suffit pas.
Les réseaux sociaux oui, mais pas que
Ainsi, selon le spécialiste, pour construire un mouvement social durable et efficace, il faut s’organiser à l’aide de plusieurs plateformes. Au sein des réseaux sociaux eux-mêmes, pour commencer, car tous n’ont pas la même structure. Si l’on souhaite organiser un mouvement sans être réprimé, il peut être intéressant d’utiliser Facebook pour ses espaces privés (groupes…). Ensuite, il faudrait utiliser des moyens totalement indépendants des réseaux sociaux pour avoir un réel impact et changer le monde dans lequel on vit. Les réseaux sociaux à eux seuls n’aident pas un mouvement à se structurer, à changer de stratégie en cas de répression de l’Etat etc., l’exemple des gilets jaunes en est la preuve.
Se focaliser uniquement sur le côté obscur des réseaux sociaux est aussi néfaste que de ne voir que ses aspects positifs. Comme nous le rappelle Nikolaos Smyrnaios, internet est un outil fabuleux pour formuler des points de vue qui divergent des points de vue dominants – faculté qu’on retrouve moins dans les autres moyens de communication. Cependant, on ne peut s’en contenter. Tout comme l’exposition tire sa pertinence de sa polyphonie, seule une alliance de différents moyens peut amener à un changement sociétal fructueux.
Maif Social Club, 37 Rue de Turenne, 75003 Paris
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